Vainqueur du prix Goncourt en 1993, Le rocher de Tanios d’Amin Maalouf tente de reconstruire, entre mythe et réalité, l’histoire d’une adolescence éprise dans le bouleversement social qui a eu lieu au Liban à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’était l’époque des cheikhs et des sultans, mais aussi celle des empires et des colonies européennes. L’histoire se déroule à une époque où l’Angleterre et la France affirmaient leur influence diplomatique puis coloniale sur le Moyen-Orient et la péninsule Arabique. Le village fictif de Kfaryabda, considéré comme le village natal de l’écrivain lui-même, est le lieu où le narrateur Gebrayel raconte à l’auteur et à l’audience l’histoire d’un drame qui changera à jamais le visage de ces montagnes. Amin Maalouf, l’auteur, admet à la fin du roman avoir construit le décor autour du drame réel qu’a été l’assassinat d’un patriarche, suivi de la fuite de l’assassin à Chypre et de son éventuelle séduction par un espion, aboutissant à son exécution. Si Le malentendu de Camus parvient à matérialiser l’émotion et l’inconsciente pulsion d’un meurtre, Le rocher de Tanios met en lumière toute la tendresse et la fébrilité du cœur qu’un père peut éprouver pour son fils, et qui le poussera à commettre sans arrière-pensée l’assassinat du patriarche religieux de la montagne de son émir. Il y a là de quoi en faire un martyr de la révolution des paysans de Tanios Chahine, celle qui a réellement eu lieu cent ans avant Gérios dans ces mêmes montagnes. L’acte lui-même symbolise également la fin d’une ère historique, l’éveil d’une classe paysanne et la naissance d’un humanisme au sein des peuples druze et chrétien des montagnes, ou du moins est-ce ce que nous fait croire le récit. Gérios, par son acte, signe non seulement sa propre exécution, mais aussi celle de son fils qui fuit avec lui la nuit même du meurtre, et le village, au lieu de s’ébranler par la flamboyante escapade de l’assassin, le poursuit pour le capturer. Ce même village sera celui qui accueillera, une fois l’émir des montagnes exilé, Tanios, le fils de Gérios, en héros.
À travers ce roman, Amin Maalouf nous expose toutes les complexités d’un peuple qui, avec le recul historique dont nous disposons aujourd’hui, n’a jamais vraiment changé. C’est l’histoire de deux villages, de deux cheikhs, d’une identité aussi changeante qu’absente parfois et d’une opinion publique tout autant influençable, d’un patrimoine culinaire que nous portons toujours avec fierté et de la liberté que procure la connaissance, conduisant la brillante jeunesse libanaise vers des contrées d’outre-mer.
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.
Je l’ai lu , d’ailleurs j’ai 14 livres d’Amin Maalouf tous super
21 h 17, le 21 septembre 2023