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Moyen-Orient - TÉMOIGNAGES

Trente ans plus tard, les Palestiniens de la génération Oslo racontent

Ils étaient âgés d'une vingtaine d'années le 13 septembre 1993. Trois décennies après, ils se remémorent leur état d’esprit.

Trente ans plus tard, les Palestiniens de la génération Oslo racontent

Des Palestiniens rassemblés pour marquer le 15e anniversaire de la mort du leader palestinien, Yasser Arafat, le 11 novembre 2019 à Ramallah, en Cisjordanie. Abbas Momani/AFP

13 septembre 1993. Le monde a les yeux rivés sur Washington, où le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, échange une poignée de main historique avec le dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, sous le regard du président américain Bill Clinton. Une rencontre qui scelle les accords de paix d’Oslo, censés ouvrir une nouvelle page de l’histoire israélo-palestinienne. Au même moment, les Palestiniens des territoires occupés par l’État hébreu en 1967, d’Israël ou des camps de réfugiés en exil sont partagés. Certains exultent, d’autres se méfient et craignent pour l’avenir. Âgés à l’époque d’une vingtaine d’années, trois Palestiniens reviennent aujourd’hui pour L’Orient-Le Jour sur leur vécu de l’ère Oslo.

Nidal, 20 ans à l’époque, de Nazareth (plus grande ville arabe d’Israël), aujourd’hui en France : La paix pointait son nez

Ce 13 septembre 1993, j’étais très heureux. Et ému, en ayant à l’esprit que la paix pointait son nez. Je me disais qu’enfin la Palestine verra le jour. Enfin, nous pourrons visiter les pays arabes librement. L’OLP pourra rentrer en Palestine et, surtout, notre emblème national, Arafat. J’y croyais fermement à l’époque, car il y avait une volonté des deux parties de mettre fin au conflit et à l’occupation israélienne. Autour de moi, les réactions divergeaient. Certains ne croyaient pas du tout au processus d’Oslo, en vertu du principe selon lequel la Palestine devait être entièrement libre, ou parce qu’ils ne faisaient pas confiance aux Israéliens. Je pensais au contraire que nous n’avions plus à nous inquiéter de l’expansion de la colonisation israélienne sur les territoires palestiniens. Cet espoir a grandi au fil du temps jusqu’à l’assassinat de Rabin (tué à bout portant par un jeune extrémiste juif proche des courants radicaux du sionisme religieux, le 4 novembre 1995) puis l’arrivée au pouvoir en Israël de Benjamin Netanyahu (en 1996). Nous, Palestiniens, avons compris que la politique de ce dernier était de faire durer les négociations le plus longtemps possible afin d’annexer le maximum de terres. De façon générale, nous n’avons jamais cessé de subir l’oppression de l’occupation israélienne dès que les Israéliens avaient un avis différent de celui de l’Autorité palestinienne (AP). En réalité, au-delà de ça, nous avons été pris entre deux feux : oppressés par Israël et par l’Autorité en même temps.

Najat, 23 ans à l’époque, palestino-algérienne, aujourd’hui à Jénine : Beaucoup de jeunes autour de moi s’opposaient aux négociations de paix

Au moment d’Oslo, j’étais étudiante à l’université en Algérie. J’y suis née et j’y ai grandi avant d’aller en Jordanie puis à Jénine (nord de la Cisjordanie, NDLR). Lorsque le premier accord d’Oslo a été signé, on en parlait beaucoup entre étudiants palestiniens et algériens. Je me souviens l’avoir bien accueilli, mais je m’interrogeais sur ses conséquences.

J’avais toujours rêvé de rentrer en Palestine. Pour moi, la reconnaissance de l’OLP était le moyen le plus légitime d’y rentrer et d’y vivre. Alors que je militais au sein du Fateh, beaucoup de jeunes autour de moi appartenaient à divers partis politiques qui s’opposaient aux négociations de paix et aux accords. C’était très difficile de les convaincre. J’acceptais les pourparlers, car je me disais que c’était un premier pas vers la création d’un État palestinien. Mon père, dont la famille avait été chassée de Haïfa durant la Nakba en 1948, avait à son tour vécu la Naksa en 1967, et s’est réfugié en Algérie où notre famille avait le statut de réfugiés. Pour nous, c’était donc un rêve de rentrer en Palestine pas comme des réfugiés. Ces accords pouvaient nous y ramener. Pourtant, nous ne sommes pas partis avec la plupart des Palestiniens qui vivaient en Algérie ou d’autres pays arabes, car ma mère craignait pour nous. Nous y sommes retournés en 1997, mais sans papiers. Aujourd’hui, bien sûr, la désillusion a fait surface. Les accords se sont avérés catastrophiques. Je vis dans le camp de réfugiés de Jénine, où j’ai vécu les massacres israéliens commis en 2002 pendant la seconde intifada. J’ai vu comment les soldats ont tué de jeunes Palestiniens, des femmes, des enfants, des personnes âgées. Ma voisine, qui n’a eu comme tort que d’ouvrir sa fenêtre pour regarder ce qu’il se passait dehors. Lorsque les soldats israéliens pénètrent dans les camps pour nous tuer, la police palestinienne se retire. Tout ça, à cause de la coordination sécuritaire prévue par Oslo. Imaginez ce que pensent les habitants du camp.

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Les Palestiniens étaient inquiets de l’expansion de la colonisation israélienne sur le territoire palestinien. Celle-ci n’a jamais cessé. Et les camps étaient censés être des « places d’attente » jusqu’à ce que nous retournions dans les régions de 1948 qui sont occupées par Israël. Mon village n’est pas le camp de réfugiés de Jénine, mais Haïfa. Chaque réfugié doit retourner dans son village natal.

Ces questions auraient dû être réglées lors des négociations. Mais rien n’a été fait. Résultat : plus d’espoir, de résolution en vue, le monde est silencieux, la cause palestinienne est marginalisée. Même les États arabes normalisent maintenant avec Israël.

Avec Oslo, on a aussi récolté la division entre la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas, et la Cisjordanie, par le Fateh. Le corps palestinien est divisé. J’étais naïve de penser qu’on pouvait agrandir, avec cet accord, notre entité gouvernementale et obtenir un grand État palestinien. Oslo n’est qu’un échec. Aujourd’hui, nous revendiquons à nouveau tous nos droits : créer un État libre et indépendant avec comme capitale Jérusalem, et obtenir le droit de retour pour tous les réfugiés dans leur village natal. Point final.

Mohammad, 25 ans à l’époque, de Gaza, aujourd’hui en Égypte : Les gens croyaient qu’ils étaient sur le point de réaliser notre rêve d’indépendance

À l’époque d’Oslo, j’étais un jeune journaliste qui travaillait comme correspondant pour plusieurs agences de presse. De ce que j’ai observé en couvrant l’actualité, les Palestiniens ordinaires étaient remplis d’espoir. Imaginez que vous soyez dans le désert et que vous aperceviez un cours d'eau au loin, vous ne penserez à rien d'autre qu'à atteindre cette rivière et à savourer la sensation de boire de l'eau. C'était le sentiment des gens normaux. Nous étions sur le point de réaliser notre rêve d'indépendance. Ils ne se demandaient pas si l'État serait une république démocratique, communiste, islamique – rien de tout cela. La plupart d'entre eux ne pensaient qu'à l'indépendance et à ce que cela représenterait de sortir de ce système : plus d'occupation, de prison, d'armée israélienne, de service de renseignements, de détention, d'humiliation, de siège, de frontière entre nous et la Cisjordanie ainsi que d'autres régions du monde. Nous serions libres et nous volerions comme des oiseaux. C'était notre rêve.

Mais nous sommes rapidement entrés dans l’ère des attentats-suicides (dès 1996, des groupes palestiniens armés ont commencé à commettre des explosions quasi hebdomadaires en Israël, facilitant notamment l’arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyahu cette même année). Nous avons découvert que chaque acte kamikaze commis à Tel-Aviv à cette époque avait été calculé de manière très précise afin d'empêcher tout progrès dans les pourparlers de paix avec Yasser Arafat.

Opposés aux accords d’Oslo, le Hamas et les islamistes se préparaient déjà avant cela à prendre le pouvoir, via des œuvres de charité, de la distribution de nourriture et d’argent à la population… Ces détracteurs de l’AP comptaient ses erreurs et tentaient de les amplifier, comme s’ils oubliaient que le véritable ennemi était Israël. Ils posaient ainsi les jalons de leur victoire aux élections législatives de 2006, qui a conduit à la guerre entre les deux factions et la mainmise du Hamas sur Gaza, qui continue jusqu'à présent d’opprimer l’enclave. En tant que journaliste, je voyais bien ces évolutions sur lesquelles l’OLP posait un regard relativement naïf. Ce n’est que par la suite que je suis devenu très proche de l’AP, exerçant comme porte-parole officiel du ministère des Affaires étrangères, avant de quitter Gaza.

Trente ans après Oslo, ma famille et moi vivons à l’étranger, comme c’est le cas de beaucoup de Palestiniens qui étaient partie prenante des événements. Aujourd’hui, nous sommes tous éparpillés partout dans le monde, divisés, et nous avons perdu espoir en un pays qui nous unit.

13 septembre 1993. Le monde a les yeux rivés sur Washington, où le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, échange une poignée de main historique avec le dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, sous le regard du président américain Bill Clinton. Une rencontre qui scelle les accords de paix d’Oslo, censés ouvrir une nouvelle page de...

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""Un an après, que devient le mouvement « Femmes, vie, liberté » ?"" ""Accords d'Abraham : quel bilan, 3 ans après ?"" ""Trente ans plus tard, les Palestiniens de la génération Oslo "" Il y a 40 ans, jour pour jour, la guerre de la Montagne a changé la face du Liban. Quel bilan ?

Nabil

11 h 48, le 16 septembre 2023

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  • ""Un an après, que devient le mouvement « Femmes, vie, liberté » ?"" ""Accords d'Abraham : quel bilan, 3 ans après ?"" ""Trente ans plus tard, les Palestiniens de la génération Oslo "" Il y a 40 ans, jour pour jour, la guerre de la Montagne a changé la face du Liban. Quel bilan ?

    Nabil

    11 h 48, le 16 septembre 2023

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