C’est à l’issue de sa deuxième réunion de la journée de lundi que le Conseil des ministres a adopté toute une série de mesures visant à limiter drastiquement l’entrée et la circulation des migrants syriens entrés illégalement sur le territoire libanais. L'exécutif a aussi prévu d'envoyer une délégation à Damas pour aborder le dossier.
Le dossier est récemment remonté dans l’échelle des priorités du gouvernement sortant de Nagib Mikati, notamment après que l'armée a commencé à signaler, depuis près d'un mois et à une fréquence devenue régulière, des arrestations et des reconduites à la frontière d'individus entrés illégalement au Liban par voie terrestre. Les mesures prévues pour permettre à l’État libanais de contrôler la situation ont été énumérées par le ministre sortant de l’Information, Ziad Makari, qui a relayé les principaux points du communiqué rédigé par le Conseil des ministres et publié par l’Agence nationale d’information (ANI, officielle).
Plusieurs responsables sécuritaires avaient été conviés au Conseil, dont le commandant en chef de l'armée Joseph Aoun, ainsi que le directeur de la Sûreté générale par intérim, Élias Baïssari.
Armée et forces de sécurité
Les forces de sécurité et l’armée ont été appelées à coopérer pour renforcer les contrôles aux frontières terrestres et maritimes et cibler les « itinéraires empruntés » par les migrants qui entrent illégalement au Liban. De même, il a été réclamé à ces deux institutions de lancer des opérations « conjointes globales et coordonnées » contre les réseaux de passeurs, pour les arrêter et les renvoyer devant la justice, après avoir « fermé les points de passage », et confisquer leurs actifs ainsi que leurs « fonds ». La même disposition impose enfin une « couverture médiatique » sur toutes les opérations mentionnées.
Le Conseil a également appelé à intensifier les efforts pour « empêcher l’entrée des migrants clandestins » et à prendre des mesures « immédiates » pour renvoyer en Syrie ceux qui tentent illégalement d’entrer au Liban, à multiplier les réunions entre les sous-conseils de sécurité et les mohafazats proches des zones de passage et enfin à renforcer les effectifs en réaffectant notamment du personnel chargé de missions de protection ou de gardes de personnes « en violation de la loi », conformément à une précédente décision du Conseil des ministres du 28 février dernier.
Ministère de l’Intérieur
Le ministère de l’Intérieur et des Municipalités s’est également vu confier plusieurs tâches, dont celle de publier une circulaire imposant aux municipalités de « signaler immédiatement tout mouvement ou tout rassemblement suspect liés aux déplacés syriens » sur les territoires relevant de leur compétence, spécialement s’il s’agit de mouvements de passeurs. Le ministère va également ordonner le lancement d’enquêtes visant à créer des bases de données sur les migrants dans chaque municipalité.
Le ministère de l’Intérieur doit également se mobiliser afin de faire cesser toutes les « infractions et violations » relatives aux infrastructures (électricité, eau, réseau d’assainissements) et faire « respecter le code de la route » ; réprimer de façon « sévère » les propriétaires de commerces détenus par des Syriens sans licences, soit en les faisant fermer et déférer devant la justice . Il devra également appeler « toutes les associations », qu’elles soient ibanaises ou étrangères à coopérer avec les autorités sous peine de sanctions.
Autres ministères
Les ministères du Travail, de l’Industrie, de l’Économie ont également été mis à contribution, avec pour principale mission d’intervenir pour dissuader les institutions et les entreprises locales de faire travailler illégalement des étrangers. L'un des mesures prévoit ainsi de préparer une hausse des taxes payées par les travailleurs étrangers afin qu'elle soit incluse dans le budget de 2024. Quant au ministère de la Justice, il devra demander aux procureurs de mettre les bouchées doubles pour engager des poursuites contre les passeurs et leurs complices, et d’accélérer également les procédures d’expulsion. Le ministère de l’Information doit de son côté lancer des campagnes de sensibilisation « sur les dangers des passages clandestins ».
Enfin, le ministère des Affaires étrangères devra demander au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) « d'intensifier la coopération avec les ministères et les agences de sécurité et militaires » afin de faciliter le retour des migrants syriens en toute sécurité dans leur pays. Le palais Bustros doit également « intensifier les efforts diplomatiques » pour sensibiliser les partenaires du Liban sur la « gravité » de la situation, notamment à la lumière de la « faiblesse et l’amenuisement » de la capacité des autorités libanaises à contrôler la contrebande, que ce soit par voie terrestre ou maritime. Le ministère doit également plaider pour une solution qui permette « d’améliorer les conditions de vie du peuple syrien » et « l’inciter à rester sur ses terres », c'est-à-dire sur le sol syrien.
Le Conseil des ministres a aussi décidé de former une délégation dirigée par le ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, et qui se rendra en Syrie pour le dossier des migrants. Le ministre concerné a informé Mikati qu'il avait déjà contacté Damas pour fixer une date.
Le communiqué publié appelle enfin toutes les institutions concernées à établir des rapports périodiques qu’ils devront soumettre au Conseil des ministres. Le gouvernement sortant a par ailleurs remanié une commission ministérielle précédemment formée lors du Conseil des ministres du 13 juin dernier pour en confier la direction au ministère des Affaires étrangères et y intégrer le secrétaire général du Conseil supérieur de défense et le directeur général de la sûreté générale par intérim.
Quorum retrouvé
La majorité de ces mesures ont été discutées lors de la première réunion du Conseil des ministres programmée lundi matin. Mais faute de quorum, cette réunion a été finalement remplacée par une réunion consultative sous la houlette de Nagib Mikati. Pour pouvoir se tenir, un Conseil doit rassembler les deux tiers des membres du gouvernement (23 ministres et le Premier ministre).
Outre les 5 ministres proches du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), qui boycottent les réunions du Conseil depuis la fin du mandat du président Michel Aoun, le 31 octobre 2022, trois de leurs collègues, actuellement en déplacement à l'étranger ont également manqué la réunion du matin : les ministres sortants du Tourisme Walid Nassar, de l'Environnement Nasser Yassine et de l'Agriculture Abbas Hajj Hassan. Un scénario similaire a failli se reproduire lundi après-midi, mais le quorum a finalement été atteint plus d’une heure après le début de la réunion.
Dans la matinée, le Premier ministre sortant a qualifié le dossier des migrants syriens de « danger existentiel ». « L'armée et le reste des organes sécuritaires font leur devoir, mais il faut prendre une position nationale unifiée dans l'approche de ce dossier », a-t-il ajouté.
Depuis le début du conflit en Syrie en 2011, le Liban a accueilli environ 1,5 million de Syriens, soit le nombre le plus élevé de réfugiés par habitant au monde. Quelque 839 000 d'entre eux sont enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), mais le nombre exact de Syriens au Liban reste flou, le gouvernement libanais ayant demandé au HCR de ne plus les enregistrer depuis 2015. Le 9 août dernier, Abdallah Bou Habib avait annoncé que le Liban avait « conclu un accord avec le HCR concernant la transmission des données relatives à tous les réfugiés syriens présents sur le territoire libanais ». Mais, à ce jour, le Liban n’a toujours pas obtenu d’informations à ce sujet.
Budget de 2024
En parallèle du dossier des migrants syriens, les ministres sortants ont également poursuivi l’examen de l’avant-projet de budget de 2024, le premier depuis des lustres à avoir été transmis dans les temps par le ministère des Finances. L’exécutif espère pouvoir le renvoyer au Parlement avant le début de la session ordinaire d’automne, qui commence lors de la deuxième quinzaine d’octobre.
Selon une source au gouvernement que nous avons contactée mais qui a souhaité rester anonyme, les ministres n’ont pas encore définitivement tranché le sort de l’article 20 qui prévoit d’augmenter la TVA d’un point, contrairement à ce qu’a laissé entendre le ministre sortant des Travaux publics et des Transports, Ali Hamiyé (Hezbollah), dans une déclaration fait à la sortie de la réunion lundi soir et relayée par l’ANI. Cette même source a indiqué que le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, avait présenté le préambule annexé à l’avant-projet, soit le texte introductif qui en décrit les grands principes, sans plus de détail.
Pour rappel, le budget de 2023 n’a toujours pas été voté et le ministère des Finances a annoncé il y a une semaine l’avoir envoyé au Parlement.
De se substituer à notre armée.
13 h 07, le 12 septembre 2023