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Santé - Santé mentale

Hausse des suicides : l’Espagne cherche un remède à ce « tabou » sociétal

Hausse des suicides : l’Espagne cherche un remède à ce « tabou » sociétal

Marta Álvarez Calderón, psychologue, et Juan Carlos Chapinal, technicien du service d’urgence Summa 112, dans une ambulance au centre logistique de Las Rozas près de Madrid. Javier Soriano/AFP

« Onze personnes se donnent la mort chaque jour en Espagne, ce chiffre augmente et les mesures nécessaires ne sont pas prises » : onze ans après le suicide de son fils, Victoria de la Serna s’indigne du manque toujours criant de prévention dans un pays où le sujet reste tabou.

À ses côtés, sa fille María Fernández-Cavada, 31 ans, prend l’exemple des accidents de la route ou des féminicides qui, contrairement aux suicides, font l’objet de nombreuses campagnes de prévention et ont baissé ces dernières années en Espagne.

« La mort est taboue, mais le suicide l’est encore plus (... ) Alors que c’est une bombe atomique qui détruit ta famille », ajoute la jeune femme en jetant un œil aux photos de son frère, Luis, posées devant elle.

Avec environ huit suicides pour 100 000 habitants par an, selon les derniers chiffres officiels, l’Espagne est en dessous de la moyenne européenne (11,3 en 2019, selon la Banque mondiale).

Mais alors que cette dernière baisse depuis 20 ans, les chiffres grimpent en Espagne, sans que cela puisse être expliqué par l’impact de la pandémie ou des réseaux sociaux, ni par les niveaux

d’anxiété ou de pauvreté.

Avec un nouveau record en 2022 : 4 097 suicides, contre 3 371 en 2002. Des chiffres officiels « clairement sous-estimés », s’exclame le psychologue clinicien Javier Jiménez, président honoraire de l’Association de prévention et d’accompagnement des familles RedAIPIS-FAeDS.

Selon lui, bon nombre des 8 000 morts accidentelles recensées chaque année dans le pays sont des suicides en raison du manque d’« autopsies psychologiques ».

« Les statistiques des autres pays sont plus fiables, car le tabou est moindre », affirme ce spécialiste, rappelant la persistance de l’héritage de la religion catholique, qui a longtemps stigmatisé le suicide comme un péché, privant les personnes ayant mis fin à leurs jours de sépulture religieuse.

Le psychologue dénonce aussi la prescription quasi systématique de médicaments et la difficulté d’accès à un suivi psychologique tant en raison du coût que du manque de thérapeutes.

Prise de conscience

La pandémie de Covid-19 a toutefois entraîné une prise de conscience sur les enjeux liés à la santé mentale en Espagne, traumatisée au printemps 2020 par une première vague de contaminations particulièrement violente et l’un des confinements les plus stricts au monde.

Le gouvernement a débloqué 100 millions d’euros entre 2022 et 2024 pour un plan national consacré à la santé mentale, compétence qui revient habituellement aux régions.

Un numéro vert a été lancé au printemps 2022. Bilan : 15 000 appels le premier mois et 335 appels quotidiens en moyenne depuis.

Fin février, le Parlement a approuvé à l’unanimité un projet de loi visant à créer un congé payé de 15 jours pour les proches de personnes ayant des pensées suicidaires avec un risque élevé, évalué par un médecin, de passer à l’acte. Les détails de mise en œuvre sont toujours en discussion.

« C’est le minimum », commente Victoria. Après le suicide de son fils, sa « douleur » et son « désespoir » se sont heurtés à « un manque de ressources pour les premiers instants », avec des services d’urgence pas assez formés.

La région de Madrid (près de sept millions d’habitants) a été pionnière en créant en 2019 une unité de psychologues dans son service d’urgences.

Ils sont six, formés tant pour les accidents que pour les suicides ou les violences de genre, à se relayer 24h/24 pour accompagner les secours sur plus de 500 interventions par an.

Trouver du réconfort

« Hier, nous avons eu le cas d’un homme avec des idées suicidaires. Sa femme venait de mourir », raconte Marta Álvarez Calderón, psychologue clinicienne du programme.

Estimant que le risque qu’il passe à l’acte était faible, elle n’a pas recommandé d’hospitalisation, mais elle reste préoccupée et s’attend à un appel de sa part.

Elle se souvient aussi du cas d’un homme s’étant suicidé devant ses quatre enfants : « Notre travail est alors d’écouter et surtout de déculpabiliser les proches. »

Pour Marta Álvarez Calderón, il est nécessaire d’augmenter le nombre de psychologues formés, mais aussi de « lever le tabou » dès l’adolescence dans les écoles, car « en parlant, on diminue la stigmatisation ». « Le suicide est évitable », notamment grâce à la prévention, abonde l’Organisation mondiale de la santé.

C’est dans le cadre d’un groupe de parole associatif que Victoria a trouvé « un espace de réconfort protégé, sans jugement ». Elle intervient aujourd’hui dans les discussions pour venir en aide aux autres.

« J’ai longtemps menti sur la mort de mon frère, car je ne voulais pas être confrontée à la réaction des gens », ajoute sa fille, María. « Mais aujourd’hui, si mon témoignage peut aider ne serait-ce qu’une personne... »

Mathilde DUMAZET et Noemi GRAGERA/AFP

« Onze personnes se donnent la mort chaque jour en Espagne, ce chiffre augmente et les mesures nécessaires ne sont pas prises » : onze ans après le suicide de son fils, Victoria de la Serna s’indigne du manque toujours criant de prévention dans un pays où le sujet reste tabou.À ses côtés, sa fille María Fernández-Cavada, 31 ans, prend l’exemple des accidents de la...
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