Née à New York, Maria Callas est retournée à 13 ans dans son pays d’origine. Elle se produira dans ce même amphithéâtre en 1944, et, plus tard, en 1957, après son triomphe international.
L’association avec Callas se poursuit avec le choix du metteur en scène français Tom Volf. Auteur, photographe, metteur en scène et grand admirateur de Callas, Volf a publié plusieurs livres sur elle, et a réalisé Maria by Callas, le film français le plus regardé en 2018. En 2019, il adapte son livre, Maria Callas, Letters & Memoirs, pour le théâtre avec Monica Bellucci. La pièce tourne à travers le monde en anglais, français et italien, y compris dans ce même Odéon d’Hérode Atticus en 2021.
Pour Norma de Bellini, Volf réussit à occuper l’immense scène de l’amphithéâtre sans la remplir, chose que beaucoup d’autres metteurs en scène auraient fait en raison des dimensions gigantesques du théâtre. Les chœurs, qui représentent les villageois et les guerriers gaulois, sont sur scène à plusieurs reprises, mais Volf les garde immobiles. Ainsi, l’attention du public se concentre sur les protagonistes. Placés sur scène de manière solennelle, ils sont semblables aux chœurs des tragédies grecques de Sophocle et d’Euripide. Dans ce lieu, et en raison de la puissance dramatique de cet opéra, cela est fort habile.
Un autre lien avec Maria Callas, le choix du chef d’orchestre. Le Greek Symphony Radio Orchestra est brillamment dirigé par l’américain Eugene Kohn, qui avait accompagné La Callas au piano lors de ses derniers récitals et de ses cours de maître au Julliard School à New York en 1971/72. Il avait aussi accompagné la grande rivale de Callas, Renata Tebaldi, ainsi que Franco Corelli et le jeune Luciano Pavarotti. Il s’agit d’un chef d’une grand sensibilité pour la musique lyrique.
Enfin, le choix de l’interprète du rôle-titre est un grand honneur pour le Liban : Joyce El-Khoury, soprano libano-canadienne qui incarne ce rôle pour la première fois. Cette artiste hors pair vient de triompher dans Carmen au Festival Oper im Steinbruch en Autriche en juillet et août, et en mai à Montréal dans Madama Butterfly de Puccini.
L’action se déroule en Gaule, territoire sous occupation romaine. La grande prêtresse gauloise Norma est secrètement la maîtresse de Pollione, le proconsul romain, avec qui elle a deux jeunes enfants. Pollione est amoureux d’Adalgisa, jeune novice du temple et amie de Norma. Quand Norma découvre la liaison, elle est furieuse et essaie de convaincre Adalgisa d’emmener ses enfants avec elle et de partir avec Pollione. Adalgisa refuse et pense pouvoir convaincre Pollione de renoncer à elle et de revenir vers Norma. Elle échoue. Venu enlever Adalgisa au temple, Pollione est alors arrêté et condamné à mort par les Gaulois. Norma l’interroge et lui donne sa liberté à condition de renoncer à Adalgisa. Il refuse. Norma avoue alors publiquement être l’amante de Pollione, se condamnant ainsi à mort. Ému par la noblesse de Norma, Pollione retrouve sa passion pour elle, et décide de mourir avec elle. Ils montent au bûcher ensemble.
Le rôle de Norma est un des plus exigeants du répertoire. La légendaire cantatrice allemande Lili Lehmann (1848-1929) en disait : « Il m’est plus facile de chanter les trois Brünnhilde (Anneau des Niebelungen, Wagner) que de chanter Norma. » Ce rôle exige une soprano capable de maîtriser la colorature du grand air Casta diva au premier acte et, aussi, de communiquer le pathos du deuxième acte.
Joyce El-Khoury a non seulement maîtrisé les énormes exigences vocales du rôle, mais a aussi réussi à exprimer la gamme des émotions de l’héroïne : l’amour maternel dans « dormono entrambi...i miei figli » qui précède le duo du deuxième acte « Mira, o Norma » avec Adalgisa, la rage d’une amante jalouse, et aussi, l’amitié dans ce même duo. Puis, dans son duo avec Pollione, la colère de l’amante rejetée : « in mia man, alfin tu sei » et une âme noble dans leur duo final « moriamo insieme ».
Le ténor grec Mario Frangoulis, vedette très populaire en Grèce, interprétait le proconsul Pollione. Très polyvalent, cet artiste est aussi un interprète de musique pop qui chante en cinq langues (grec, anglais, français, italien et espagnol), ainsi qu’un chanteur de comédies musicales comme Les Misérables. Bel homme, charismatique sur scène, il était plus que convaincant dans son rôle. Par contre, il a eu quelques problèmes dans les aigus de l’air « Meco all’altar di Venere » au premier acte, mais ensuite, et surtout vers la fin de l’opéra il semblait transporté par la présence de la cantatrice.
La prêtresse Adalgisa était interprétée par la jeune soprano américaine Theresa Carlomagno. Excellente comédienne ayant une bonne présence sur scène, Carlomagno a une jolie voix mais une émission vocale un peu maniérée. Bien qu’originalement écrit pour une soprano, ce rôle est le plus souvent chanté par une mezzo. Vocalement, le plus important est que la voix d’Adalgisa s’harmonise avec celle de Norma dans leurs deux duos, « O rimembranza » au premier acte et « Mira o Norma » au deuxième. Heureusement, ce fut bien le cas.
La basse serbe Sava Vemić était Oroveso, le père de Norma et le chef des Gaulois. Il était imposant sur scène et sa voix profonde est chaleureuse. Il était émouvant dans sa scène finale avec Norma où elle le supplie de veiller sur ses enfants.
Le spectacle fut un succès total, fortement apprécié par le public de l’amphithéâtre totalement plein. Avec une capacité de 5 000 personnes, il est d’une taille idéale pour un spectacle de cet ordre. D’ailleurs, l’acoustique est excellente, surtout comparée à celle d’autres théâtres antiques beaucoup plus vastes. C’est admirable de la part de la compagnie de production du spectacle, Lykofos, une entreprise privée, de monter un événement si grandiose. On espère qu’il sera suivi par de nombreuses productions lyriques. On espère aussi que ce succès inspirera des productions semblables au Liban, tout aussi riche dans son patrimoine historique.
commentaires (1)
Quelle fierté!! Quand joyce el khoury chantera. -t - elle Maestro Becharra el khoury?
Robert Moumdjian
00 h 59, le 02 septembre 2023