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Société - Liban

Deux semaines après l'attaque à Om, Mar Mikhaël entre silence et résistance

L'interruption d'un Drag show par des « Soldats de Dieu » le 23 août laisse les bars du quartier sur le qui-vive, avec un mot d'ordre : attendre que les choses se décantent et rester sur ses gardes.

Une affiche sur la porte d'entrée du bar Riwaq, depuis l'intérieur : « Si vous êtes raciste, sexiste, homophobe, transphobe, harceleur ou con, n'entrez pas ». Photo Raphaël Abdelnour

Trois hommes bloquent la route. Débardeur blanc, muscles saillants juchés sur des motos, le regard fixé sur Sako Sislian. « J'ai tout de suite senti leur mauvaise énergie. Je les ai vus passer deux coups de fil, j'ai commencé à douter ». Le gérant de Riwaq les observe derrière la vitrine de son bar, évalue ; ils ne sont qu'à quelques mètres. Une voiture s'arrête, leur fait des appels de phare, l'un d'eux se retourne. Après avoir lancé un regard mauvais et un bref coup de menton, les trois hommes s'écartent enfin.

Depuis l'agression d'un Drag show à Om il y a plus d'une semaine, voilà deux fois que des hommes suspects scrutent ainsi l'établissement de Sako. Le patron a attendu, vigilant, craignant le pire qui n'est heureusement jamais arrivé. « Je fais deux fois plus attention », confie-t-il. Des amis ont même conseillé à Sako de porter une croix autour du cou, histoire de montrer patte blanche à des éventuels Soldats de Dieu galvanisés... « Je sais, c'est absurde », lance-t-il avec un rire jaune.

Éviter « l'ostensible »

À seulement quelques minutes à pied de Om, le bar Riwaq est réputé pour son inclusivité et sa tolérance envers les personnes LGBTQ+. Sur la porte d'entrée, une pancarte donne le ton : « Si vous êtes raciste, sexiste, homophobe, transphobe, harceleur ou con, n'entrez pas. »

Sako Sislian, co-gérant du bar Riwaq à Mar Mikhaël, le 31 août 2023. Photo Raphaël Abdelnour

Alors forcément, l'attaque à Om les a secoués. Dès le soir même, Sako Sislian et son personnel se sont concertés. « Je les ai briefés, leur ai dit de faire attention. J'ai aussi suggéré de laisser les choses se calmer et suivre leur cours, sans organiser d'événement ostensible », explique-t-il. Par ostensible, entendez LGBTQ+. Comme gêné par ses propos, Sako reprend : « Enfin bien sûr, on va continuer à soutenir la communauté. Mais on ne veut pas provoquer un drame, imagine si cinquante gars débarquent, on fait quoi ? » Sa priorité : rester discret, pour rester en sécurité.

Même son de cloche dans un autre bar de Beyrouth où des couples LGBTQ+ ont l'habitude de se détendre. Un safe space, là où la communauté n'a pas à se cacher. « Ne me citez pas, ni mon établissement. Par sécurité pour les clients », jette la gérante à la vue du calepin. Puis, avec un regret dans la voix : « On a toujours autant de gens qui viennent malgré ce qui s'est passé. Mais les couples homos montrent moins de signes d'affection, s'affichent moins ». Une barmaid entend la conversation, l'interrompt : « Quand il y a eu l'attaque, j'étais de service. Les clients ont commencé à payer rapidement et à partir, on était tous choqués ». Puis elle sert machinalement deux verres à un client qui attend. « Il faut bien continuer... ».

Pour mémoire

"Nous n'avons pas peur d'eux" : colère de la communauté LGBTQ+ après l'attaque à Om

Drag show reporté, vigilance permanente

L'agression à Om par les Soldats de Dieu a aussi des conséquences directes, matérielles, sur la vie et les activités de la communauté. Un show de Narcissa, une Drag Queen libanaise active depuis 2018, était prévu la semaine suivant celui qui a été attaqué par le groupe extrémiste chrétien. « On a dû le reporter pour raisons de sécurité, ce qui ne m'était jamais arrivé. C'était une décision difficile, mais nécessaire », indique-t-elle à L'Orient-Le Jour. 

Narcissa le confie aisément : elle est toujours inquiète. Le stress de la nuit du 23 août reste palpable. Les messages de ses amis, la terreur immédiate, le fait d'apprendre que Latiza Bombé et Emma Gration ont dû se démaquiller en cachette. « Mon cœur s'est effondré, je me suis sentie nerveuse et agitée ». Puis immédiatement, réfléchir à une réponse. Narcissa assure que son show n'est que partie remise, et qu'elle travaille ardemment « sur un nouveau contenu » qui sera bientôt partagé.

Tenter de dépasser le trauma, tant bien que mal, c'est aussi ce que le personnel de Om tente de faire, en silence. Contactés, aucun des responsables du bar ne souhaite s'exprimer, préférant oublier l'agression du 23 août. En début de soirée, les tables sont clairsemées, les visages des serveurs vaincus par la fatigue. Hors de question pourtant de laisser la tristesse s'installer ; le DJ responsable de la « soirée orientale » prévue fait son entrée, comme à son habitude. Et restaure l'ambiance originelle de l'Om qui s'amuse, et qui assume.

Focus

La communauté LGBTQ+ du Liban désormais cernée de toute part

À une table, Raëd et Omar sirotent leurs cocktails comme si de rien n'était. De passage au Liban pour une semaine, ces deux Jordaniens ont choisi Om pour leur première... et dernière soirée. « On est arrivé vendredi, deux jours après l'agression. On a bu un verre ici et on est revenu une semaine après. Ça ne change rien pour nous », lance Raëd. « Certains de nos potes n'ont pas voulu venir, mais nous on est là ! », ajoute Omar, fier de soutenir l'établissement. Tous deux espèrent assister bientôt à un Drag show ici, eux qui n'en ont jamais vu.

Des spectacles, il y en aura, Narcissa le promet. « En tant qu'artiste, j'ai toujours utilisé et j'utiliserai toujours l'art Drag comme une sorte de réponse à tout ce qui se passe ». S'il faut faire profil bas pour le moment, le Liban aura toujours ses Queens et l'extravagance qui va avec. Malgré les intimidations. « Ça passera. Comme tout dans la vie, rien n'est constant ni éternel. Tant que nous sommes forts et déterminés ». Narcissa se réapprêtera devant son miroir, terminera son maquillage, et se trouvera belle. Elle comme toutes les autres.

Trois hommes bloquent la route. Débardeur blanc, muscles saillants juchés sur des motos, le regard fixé sur Sako Sislian. « J'ai tout de suite senti leur mauvaise énergie. Je les ai vus passer deux coups de fil, j'ai commencé à douter ». Le gérant de Riwaq les observe derrière la vitrine de son bar, évalue ; ils ne sont qu'à quelques mètres. Une voiture s'arrête, leur...

commentaires (4)

Je trouve inquiétant la provocation. Pourquoi des shows? Si tout le monde est pareil, pas besoin de provocation dans la situation actuelle. La fierté Gaie n'a pas sa place ni au Liban ni ailleurs. Je connais des vrais homosexuels, et ce n'est pas des shows qu'ils veulent, mais vivre comme les autres. Le Liban n'a pas besoin de cette provocation inutile.

Hélène SOMMA

21 h 49, le 10 septembre 2023

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Commentaires (4)

  • Je trouve inquiétant la provocation. Pourquoi des shows? Si tout le monde est pareil, pas besoin de provocation dans la situation actuelle. La fierté Gaie n'a pas sa place ni au Liban ni ailleurs. Je connais des vrais homosexuels, et ce n'est pas des shows qu'ils veulent, mais vivre comme les autres. Le Liban n'a pas besoin de cette provocation inutile.

    Hélène SOMMA

    21 h 49, le 10 septembre 2023

  • Une affiche sur la porte d'entrée du bar Riwaq, depuis l'intérieur : Si vous êtes raciste, sexiste, homophobe, transphobe, harceleur ou con … rejoignez le parti ou les soldats de Dieu?

    Gros Gnon

    21 h 24, le 06 septembre 2023

  • Bien vu le panneau sur la porte ?

    Emmanuel Durand

    20 h 18, le 06 septembre 2023

  • C’est surtout la justice qui est à montrer du doigt. Comment peut on vivre dans un pays où la justice se met aux abonnés absents lorsqu’il s’agit de la sécurité des citoyens du pays qui se font agresser sans que personne ne leur vienne au secours. Lorsqu’un des mafieux se fait attaqué juste verbalement, la justice se montre impitoyable et efficace même si les faits sont avérés et prouvés quant aux accusations que les citoyens révèlent et pour lesquels ils sont sévèrement jugés? Justice où es tu? Que font tous ces voyous toujours en liberté? Vous attendez quoi pour réagir avant que la loi de la jungle ne devienne la seule qui vaille dans notre pauvre pays?

    Sissi zayyat

    11 h 41, le 06 septembre 2023

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