Rechercher
Rechercher

Lifestyle - La Mode

Rana Cheikha crée des chaussures à la croisée de Feyrouz et de Marina Abramovic

Au-delà de la mode, la haute couture et la joaillerie dans lesquelles les Libanais ont réussi à se distinguer comme chefs de file, la cordonnerie fait son entrée sur la scène locale où de nouveaux créateurs et créatrices réexplorent avec talent un artisanat naguère à l’abandon. Rana Cheikha en fait partie.

Rana Cheikha crée des chaussures à la croisée de Feyrouz et de Marina Abramovic

Des chaussures à la fois basiques et sophistiquées, bizarres et familières, antiques et pourtant si contemporaines. Photo DR

Avec la campagne massive que mène la marque en ce moment sur les réseaux sociaux, impossible pour les internautes libanais de passer à côté de ces chaussures à la fois basiques et sophistiquées, bizarres et familières, antiques et pourtant si contemporaines. En voulant expérimenter la création de souliers, Rana Cheikha a créé un phénomène. Les derbies, bottillons, sandales, mules ou mocassins qui sortent de sa boîte se distinguent par une forte identité stylistique et visuelle. Ils ont en commun un idéal de confort et de durabilité, mais aussi leur attribution à des régions du Liban : sandales Assia teintées de couleur sienne, comme la terre de cette région de Batroun qui produit des poteries en terre de la même couleur  ; sandales Kawkaba inspirées d’un petit village de Rachaya où des vignes, des arbres fruitiers et des oliviers millénaires veillent sous le regard de l’étoile du matin  ; mocassins Medan, sandales Lala, mules Joon, derbies Ain… Pas un nom de produit qui ne soit un clin d’œil à un lieu où la beauté persiste envers et contre tout.

La trace des paysages

C’est que Rana Cheikha est une amoureuse de ce pays. Elle y a passé son adolescence après avoir grandi dans le Golfe dont, confie-t-elle, le désert et les eaux demeurent en elle comme « des éléments de tranquillité ». « Dès mon adolescence, j’ai vécu à Beyrouth, ville chaotique et pleine de vie, où je suis restée pour étudier les arts graphiques », précise la créatrice, qui poursuit : « J’ai ensuite déménagé entre Doha, où j’ai travaillé comme graphiste, Florence, où j’ai appris à fabriquer des chaussures, et Beyrouth à nouveau, où j’ai enseigné la création de chaussures à titre privé et dans une école de mode, puis j’ai vécu entre l’Ouganda, le Nigeria et le Portugal. Des expériences et des influences qui font toutes partie de ce que je fais en tant que designer. » On embarque avec elle dans un train un peu fou qui semble choisir ses escales au hasard. Les paysages se succèdent, et chacun laisse en elle sa trace à la fois humaine et esthétique. Ces expériences se répercutent dans son processus de création : « Je suis inspirée par mes voyages constants et mes contacts avec différentes cultures. Je rencontre de nombreuses personnes intéressantes − designers, artistes, techniciens, etc. − qui m’enseignent leurs approches uniques et m’aident à découvrir quelque chose de nouveau pour l’incorporer dans mon travail, intentionnellement ou non. Cela le rend personnel, et c’est l’aspect le plus important pour moi », confie-t-elle.

Pour signer l’identité de sa marque, Rana Cheikha choisit une finition au point de croix, des coutures en « X » qui révèlent le travail de la main. Photo DR

Florence et la troisième dimension

Née dans une famille d’artistes, père architecte, frères et sœurs aînés graphistes et architectes d’intérieur, la créatrice baigne, en grandissant, dans une potion magique dont elle ne cherche pas à se désintoxiquer. Mais si elle s’inscrit volontiers dans la tradition familiale, si elle passe de la publicité au marketing et au graphisme, elle est très vite frustrée à l’idée de voir ses projets détournés par les commanditaires : « On attendait de moi que je troque ma vision et mon expression contre celles de quelqu’un d’autre. » « À un moment donné, j’ai ressenti le besoin d’aller de l’avant et de réaliser un produit plus tangible que je pourrais utiliser pour traduire mes propres pensées, en quelque chose que je pourrais expérimenter. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de retourner à l’école pour obtenir un master en design de chaussures et d’accessoires », explique-t-elle. Après le papier et les écrans, il lui fallait enfin explorer la troisième dimension.

L’idée est heureuse, surtout parce qu’elle la conduit à l’école Polimoda, à Florence, où l’attend une immersion qu’elle qualifie de « paradisiaque ». « À Florence, berceau de la Renaissance, l’art et la culture sont présents à chaque coin de rue. Ce musée en plein air vous offre une éducation gratuite rien qu’en vous promenant dans ses rues et en observant, ce qui se fait de plus en plus rarement de nos jours. De plus, c’est le centre du monde du cuir et des fabricants de chaussures », se souvient celle qui se faufilait dans les ateliers de chaussures de la ville de la Renaissance, dans les sous-sols des bâtiments historiques où officient fournisseurs et fabricants. Et c’est une épiphanie : « Dès lors, j’ai su que c’était ma voie. » L’aventure commencée il y a quatre ans donne naissance à une véritable entreprise qui assure désormais du travail à des cordonniers au Liban même. Pour signer l’identité de sa marque, Rana Cheikha choisit une finition au point de croix, des coutures en « X » qui révèlent le travail de la main.

Utiliser la créativité pour fabriquer des produits qui ont une belle esthétique, tout en restant pertinents et fonctionnels. Photo DR

Trouver une formule viable

« Lorsque j’ai créé ma marque, confie Rana Cheikha, je me suis inspirée d’un monde que j’avais créé en reliant Feyrouz et Marina Abramovic, en associant leurs styles expressifs, leurs racines et leur capacité à briser les frontières. Je me suis sentie liée à leurs émotions et j’ai découvert un parallèle dans ma propre vie. J’ai tout examiné, des paroles et de la cartographie aux performances et à l’art expérimental. » Comme pour tout créateur, la principale difficulté dont elle souffre au début de son projet est de trouver l’équilibre entre le plaisir de créer, et la difficulté de plaire et de trouver une formule viable. « Utiliser la créativité parallèlement à la conception dans le but de fabriquer des produits qui ont une belle esthétique tout en restant pertinents et fonctionnels, tout en ayant surtout un sens financier, c’est la recette parfaite », conclut-elle aujourd’hui.

Et quand on l’interroge sur ses projets dans un futur proche, la créatrice, qui a déjà à son actif un modèle pour bébé et une collaboration avec la marque de jeans libanaise Jean 327, baptisée Raml 327, répond sans hésiter : « Je veux définitivement être plus inclusive envers les hommes, d’autant plus que j’ai reçu pas mal de demandes ! Je pense que je vais très bientôt élargir la gamme de tailles et de modèles pour proposer une gamme masculine. » Engagée, elle annonce par ailleurs vouloir se concentrer sur la promotion des valeurs de la slow fashion afin de réduire l’impact de la mode jetable sur l’environnement. « Tout cela en développant de nouveaux marchés, bien sûr ! » lance celle qui, portée par un succès grandissant, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

Avec la campagne massive que mène la marque en ce moment sur les réseaux sociaux, impossible pour les internautes libanais de passer à côté de ces chaussures à la fois basiques et sophistiquées, bizarres et familières, antiques et pourtant si contemporaines. En voulant expérimenter la création de souliers, Rana Cheikha a créé un phénomène. Les derbies, bottillons, sandales, mules ou...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut