Plusieurs banques libanaises ont récemment recommencé à rémunérer des dépôts à terme en dollars « frais ». L’Orient-Le Jour a pu confirmer qu’au moins quatre enseignes proposent actuellement ce type de produits financiers à leurs clients, qui implique de bloquer un certain montant sur un compte, dont certaines depuis plusieurs mois.
Les dollars frais désignent les « vrais dollars » échangeables aux taux du marché (autour de 89 000 livres pour un dollar actuellement), par opposition aux dollars bancaires ou « lollars » bloqués par les restrictions mises en place au début de la crise il y a quatre ans et limitant illégalement l’accès des déposants à leurs devises. Pour rémunérer un dépôt en « fresh », la banque place généralement les montants auprès de sa banque correspondante à l’étranger ou investit dans des obligations sûres, comme les bons du Trésor américain, dont les taux d’intérêts oscillent actuellement entre 5 % et 5,5 %.
Le retour de ce service dans le catalogue des institutions financières peut surprendre dans la mesure où le système financier libanais a été assimilé par de nombreux experts à une pyramide de Ponzi depuis le début de la crise financière en 2019. Quatre ans après, les banques libanaises, comme leurs clients, n’ont toujours pas de visibilité sur leur avenir. Et le processus de redressement du pays est toujours paralysé par l’inertie délibérée de la classe dirigeante.
SGBL, BoB et BEMO
La SGBL, qui faisait partie des plus grandes banques du pays avant la crise, a franchi le pas cet été. Selon son service client que nous avons contacté, l’enseigne propose depuis un mois à ses clients de bloquer des montants en dollars frais pendant un certain temps en échange d’une rémunération sur la période concernée. Un des placements prévoit de rémunérer des dépôts allant de 10 000 à 50 000 dollars bloqués pendant des périodes allant de 3 mois à un an, avec des intérêt allant de 3 à 4 %. Les clients souhaitant déposer plus de 50 000 dollars peuvent négocier le montant des intérêts versés avec la banque. Toujours selon le service client, les fonds sont déposés « à l’étranger, ni au Liban ni à la banque centrale ».
Autre établissement majeur, la Bank of Beirut a également commencé à proposer ce type de produits, selon trois sources souhaitant rester anonyme par souci de discrétion – un cadre travaillant dans le secteur bancaire, un client et un membre du service client de l’enseigne concernée. « Ils ont commencé en janvier dernier avec des dépôts à terme en « fresh », en dollars mais aussi en livres libanaises, mais avec des modalités assez strictes », assure la source bancaire. Contacté, le service de presse de BoB n’a pas encore répondu à nos sollicitations. La distinction entre livres libanaises « fresh » et « bira » (les fonds déposés dans les banques libanaises avant la crise) suit à peu près la même logique que les dollars.
Également contacté, le PDG de la Banque BEMO, Riad Obegi, assure que son établissement « n’a jamais cessé de proposer à ses clients de placer leur argent dans des dépôts à terme et de les rémunérer en fonction des taux d’intérêts appliqués sur le marché », mais que la demande pour ce type de produit était longtemps inexistante, compte tenu de la situation au Liban. Il reconnaît que la donne n’a pas changé pour le moment.
Le cas I&C
I&C Bank, pour Investment & Capital Bank (né de la mue de FFA Private Bank), a pour sa part été jusqu’à investir dans une campagne d’affichage publicitaire pour promouvoir son offre de dépôts rémunérés. Son cas est particulier dans la mesure où il s’agit d’une banque d’investissement qui propose depuis novembre dernier des services bancaires aux entreprises et aux particuliers fortunés, tandis que la SGBL, BoB et BEMO sont des banques commerciales.
I&C propose des dépôts bloqués à moyen et long terme avec des intérêts supérieurs à 3 % ainsi qu’un autre type de produit, un compte à vue rémunéré à 3 % et à partir duquel le client peut retirer ou utiliser pour provisionner des paiements, une fois une « courte période de temps passée ». Ces dépôts sont « garantis par des bons du Trésor américain » et « ne comportent ni risque de change ni risque de crédit », assure I&C sur son site internet. Elle précise qu’il s’agit de dépôts fiduciaires couverts par la loi libanaise de 1996 et qui ne sont donc pas incorporés au bilan de la banque qui les détient, ce qui garantit l’intégrité des fonds déposés
Quelle que soit leur spécialité, les banques qui proposent ce type de produit cherchent principalement à stimuler l’appétit des déposants et redynamiser l’activité du secteur. « En termes de revenus, une majorité de banques ne peut plus compter que sur les commission prélevées sur les transactions, l’activité de prêt ayant été réduite à néant. En commençant par les dépôts, nous espérons faire un pas dans la bonne direction pour modifier cette dynamique », explique un cadre de la SGBL souhaitant rester anonyme.
D’autres banques n’ont cependant pas encore franchi ce pas, à l’image de BLOM Bank, Bank Audi et Byblos Bank dont nous avons contacté soit les directions soit les services de communication. Contacté, le secrétaire général de l'Association des banques Fadi Khalaf a assuré ne pas avoir d'informations sur le nombre de banques ayant décidé de proposer de rémunérer les dépôts en dollars frais.
Frilosité des déposants
Les déposants sont pour leur part assez frileux compte tenu du fait qu’ils ont été abandonnés à leur sort par les autorités depuis le début de la crise, affirme Fouad Debs, cofondateur de l'Union des déposants, une association formée pendant la crise et qui s’est fixé pour objectif de défendre les droits des personnes lésées par les restrictions bancaires.
« Nous n’excluons pas que certaines banques qui ont été mieux gérées que d’autres peuvent proposer des dépôts à terme en « fresh » avec suffisamment de garanties pour que leurs clients puissent dormir sur leurs deux oreilles. Mais il faut garder à l’esprit que ces banques évoluent dans le même environnement que celui qui a conduit l’économie du pays à imploser ».
Riad Obegi pense pour sa part qu’un changement de la politique monétaire menée par la Banque du Liban pourrait donner un nouveau souffle à l’activité de dépôt et à terme, de prêt. Le gouverneur en place depuis 1994, Riad Salamé, a en effet achevé son 5e mandat le 31 juillet dernier et c’est désormais le premier vice-gouverneur Wassim Mansouri qui assure l’intérim avec un style qui tranche jusqu’ici avec celui de son prédécesseur.
Il n’est pas dit cependant que cela suffise à convaincre suffisamment de déposants à prendre le risque de rapatrier leur argent ou à le sortir de leur bas de laine pour le déposer à la banque. Les causes de la crise n’ont pas encore été adressées, tandis que la distinction entre dollars frais et dollars bancaires n’est pour l’instant reconnue que par des circulaires de la BDL, vu que le Parlement repousse depuis 4 ans l'adoption d'une loi sur le contrôle des capitaux à même de trancher cette question. Le Liban doit enfin toujours trouver une formule pour absorber plus de 70 milliards de pertes nettes accumulées par l’État, la BDL et les banques sans sacrifier les droits des déposants.
De toute façon, entre 3 et 4% sur des comptes à terme dans une banque étrangère sont les conditions actuelles dans la prise de risque des banques libanaises dans ou hors bilan.
14 h 25, le 20 août 2023