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Culture - Hommages

Sa « maman » partie, le cinéma libanais est orphelin

Figure incontournable du cinéma libanais, Aimée Boulos a accompagné la renaissance du 7e art et des arts de la scène dans un Beyrouth en train de panser les blessures de la guerre, au début des années 90. Sa disparition à l'âge de 90 ans laisse ses proches émus et reconnaissants. Témoignages.
Sa « maman » partie, le cinéma libanais est orphelin

Aimée Boulos menait de front de nombreux projets et... appels téléphoniques. Photo DR

Roger Assaf, dramaturge, metteur en scène, acteur

« À l’ombre de ton prénom

Toute la lumière du monde

Un arc-en-ciel de signes

Tu es et resteras « Aimée »

J’ai cru en ta magie. Aussi vrai que tu as fait ce que d’autres rêvaient, aussi vrai que tu as inventé un pays possible, un pays sans laideur et sans mensonge, un pays où la culture n’est pas un luxe, mais un travail acharné, une terre à défricher, avec la foi d’un paysan qui sème parce qu’il a la foi, qui aime ce que les saisons lui donneront, parce qu’il a aimé ce qu’elles produiront avant même d’en connaître les fruits.

Avec toi, Aimée la si bien nommée, les mots art, culture, cinéma, théâtre, avaient un sens peu courant dans les instituts et les académies, ils signifiaient d’abord et avant tout : amour. Aimer le cinéma, le théâtre, c’est bien. Aimer ceux qui le font jusqu’à l’oubli de soi, c’est leur donner la dimension qui dépasse et transcende leur calibre esthétique et technique, perceptible pour nous, artistes ou spectateurs. Les œuvres qui sont nées dans les espaces que tu as créés pour nous, avec la foi, l’énergie et la formidable passion dont tu as fait preuve, ainsi que les œuvres qui se sont épanouies par la suite au-delà de leur foyer, portent toutes l’héritage discret que tu nous as laissé :

l’art est amour, et l’amour est oubli de soi.

Pour tout cela, Aimée, nous t’aimions, nous t’aimons et t’aimerons, mais nous ne t’oublierons pas.»

Maya de Freige, présidente de la Fondation Liban Cinéma

« Prononcer le nom d’Aimée Boulos ne se faisait jamais sans évoquer le cinéma libanais : l’un et l’autre étaient indissociables.

En fondant l’Institut d’études scéniques et audiovisuelles suivie de la Fondation Liban Cinéma, c’est bien elle qui, visionnaire, a mis en lumière le vivier de talents libanais ainsi que tous les atouts qui pouvaient faire de notre pays un centre de production cinématographique dans le monde arabe.

À la Fondation Liban Cinéma, nous ne faisons que suivre son exemple en poursuivant sa mission, forts de ses enseignements, de sa détermination et de sa volonté de convaincre, toujours avec le sourire ! »

En compagnie du réalisateur Youssef Chahine lors de la visite de ce dernier à Beyrouth, en février 1998. Photo DR

Élie Yazbeck, ancien directeur de l’Iesav*

« Chère Aimée Boulos. Nous ne pouvons que vous dire aujourd’hui un immense “Merci !”. Merci pour tout ce que vous avez fait pour le Liban, pour la culture, pour ses jeunes, et surtout pour nous, qui avons été vos étudiants... Vous nous avez permis de rêver, de vivre notre rêve, de le réaliser pleinement. En 1989, lorsque je vous ai rencontré la première fois dans votre bureau, je ne savais pas encore que vous étiez la personne qui allait m’ouvrir la voie à une très belle aventure de vie. Ce jour-là, vous m'aviez dit, alors que j’hésitais encore quant à mes études : “Laissez votre cœur être votre guide, ayez confiance en vos choix, n’ayez peur de rien”. C'est ce que j'ai fait. »

*Institut des études scéniques et audiovisuelles de l'Université Saint-Joseph

Alice Mogabgab, présidente du Beirut Art Film Festival

« Le départ d'Aimée Boulos laissera un vide certain au sein de sa grande famille, parmi ses nombreux amis, au sein de la communauté de l'Iesav et auprès de plusieurs générations de réalisateurs, acteurs et metteurs en scène libanais.

La vie de cette pionnière fut un modèle de plénitude, d'accomplissement et de réalisation ; le film Le Petit bonheur, projeté durant le BAFF en 2022, est une inspiration.

Son souvenir demeurera vivace dans l'esprit de ceux qui l'ont admiré et aimé. »

Hady Zaccak, réalisateur, chargé d'enseignement et coordinateur des études fondamentales à l'Iesav

« Cette nuit, j’ai rêvé de ma mère que j’ai perdue il y a quelques mois, et je l’ai vue très bizarrement dans un cadre des années 90. Je me suis réveillé avec un certain malaise et j’ai appris la disparition d’Aimée Boulos qui était aussi notre mère à nous tous, étudiants de l’Iesav.

Je suis rentré à l’Iesav en 1992, avec toute une génération qui sortait de la guerre et qui voulait faire du cinéma. Et il y avait cette grande dame, Aimée Boulos qui, dès la première entrevue, nous a fait sentir qu’on entrait dans notre maison. Dans une capitale détruite, elle tenait cette maison pleine de vie qui est devenue la nôtre. À travers elle, nous avons redécouvert la ville. Elle avait réussi à réunir tout le monde au sein de cette université que ce soient les grandes figures du théâtre comme Jalal Khoury, Roger Assaf, Alain Plisson, Michel Jabre ou du cinéma et de la télévision comme Antoine Remi qui allaient devenir nos professeurs. L’Iesav des années 90 réunissait deux Liban, celui de la guerre et celui qui se demandait s’il était en période de reconstruction ou s’il était en période de trêve.

Avec Aimée Boulos, nous étions dans un Liban en continuelle reconstruction.

Elle a joué un rôle essentiel dans mon éducation. Lorsqu’elle a su que j’écrivais un livre sur l’histoire du cinéma libanais alors que j’étais étudiant, elle était la première à proposer son aide pour éditer le livre. Idem pour mon premier film en 16mm que l’Iesav a produit dans le cadre de ma maîtrise. Elle avait invité les grands du cinéma comme Youssef Chahine, Abbas Kiarostami, Michel Khleifi, Atom Egoyan et d’autres pour partager leurs expériences avec les étudiants de l’Iesav et parrainer les promotions.

Elle menait toujours de front de nombreux projets, même après avoir terminé son mandat à l’Iesav, à travers la Fondation Liban Cinéma.

Cette figure de la mère pour les étudiants peut être valable pour le cinéma libanais en général.

Elle était grande, elle a accueilli tout le monde. Une image d’ouverture et de générosité qu’on souhaitait et qu’on souhaite toujours avoir pour notre pays. Un Liban qui comprend toutes les orientations politiques et artistiques. Un Liban qui peut écouter et qui peut produire.

Une passion indéfectible pour le cinéma. Photo DR

Josyane Boulos, directrice du théâtre Monnot

« “Tu es la fille d’Aimée Boulos ?” est une question que l’on m’a souvent posée. Évidemment, je ne suis pas sa fille bien qu’elle ait un fils qui s’appelle Nagi Boulos comme mon frère, une fille qui s’appelle Mirna Boulos comme ma sœur et cette dernière est née un 18 novembre comme moi… comme quoi nos destins ne pouvaient que se rencontrer.

Les chemins de nos deux familles se sont croisés maintes fois. Le parcours d’Aimée est tissé de liens profonds avec notre histoire familiale, une histoire qui s'étend de la création de la CLT (Compagnie libanaise de télévision) à la naissance de projets audacieux. Le nom de “BOULOS Frères”  est une référence très connue dans le milieu de l'électronique au Liban. Tous ceux qui ont vécu l'âge d'or de l'avenue des Français n'ont pas oublié l'enseigne de ces établissements spécialisés dans le commerce des appareils de radio, disques et tourne-disques. Les trois frères, Fouad, Boulos (le mari d’Aimée) et Joseph, étaient les représentants de très grandes marques européennes, dont la « Pye », célèbre firme anglaise. Ils devaient par la suite représenter aussi le constructeur allemand Grundig. Ils avaient équipé la station de Tallet el-Khayat. Et mon père Jean-Claude Boulos faisait partie des pionniers de la création de la télé au Liban.

Mais la portée de son héritage va bien au-delà du succès de la CLT. Aimée a laissé une empreinte indélébile dans les domaines de l'éducation et de l'art. À travers l'école d'audiovisuel l'Iesav, elle a donné vie à une vision audacieuse, unissant ses forces avec celles de Jean-Claude Boulos et d’autres visionnaires. Cette école, conçue avec amour et soutenue par sa détermination inébranlable, a servi de tremplin à de nombreuses aspirations artistiques. Et continue de le faire aujourd’hui.

L'école de cinéma professionnelle Proffil incarne la passion et la collaboration dont Aimée a toujours fait preuve. La conjonction de talents entre ALBA, Iesav et Fémis Paris a été possible grâce à son énergie incessante et à l'impulsion fournie par Dominique Chastres de l'Institut français. Diriger cette école a été un honneur que j'ai eu la chance de vivre, portant le flambeau du rêve qu'elle a contribué à réaliser.

Et puis il y a le théâtre Monnot, un endroit où le rêve et la réalité se rencontrent. Aimée a conçu ce théâtre avec la même passion dévorante qui me guide aujourd'hui dans sa direction. Chaque recoin du théâtre porte son empreinte, chaque scène est imprégnée de son amour pour les arts de la scène. Aimée, une force qui a transcendé les limites du temps et de l'espace pour toucher nos vies. Sa lumière continuera de briller à travers les projets que nous poursuivons. Alors que nous pleurons sa perte, gardons son héritage vivant en faisant preuve de la même passion, du même dévouement et de la même détermination qui l'ont toujours animée. Et réjouissons-nous également d'avoir eu la chance de croiser sa route et de partager des moments précieux avec elle.

Repose en paix, chère Aimée, sachant que ta présence continue de rayonner dans nos vies. »

Betty Taoutel, metteure en scène, actrice

« La porte de son bureau était toujours grande ouverte... Elle nous y accueillait avec son regard bienveillant et son doux sourire de maman... toujours prête à nous écouter.

Une mère qui portait si bien son nom “Aimée”... et qui nous aimait tant !

Aimée Boulos n'était pas notre directrice, c'était notre deuxième maman à tous et (contrairement à la majorité de nos parents biologiques), elle nous a permis de rêver encourageant notre engouement pour le théâtre et le cinéma et l'injectant de sa passion qu'elle nous communiquait au quotidien...

Elle a toujours soutenu mon travail et n'a pas tardé à m'engager, fraîchement diplômée, au rang des professeurs.

Aimée Boulos nous faisait confiance, et nous ne voulions pas la décevoir..

Personnellement, je lui dois Beaucoup ! Parce qu'elle m'a énormément soutenue dans tous mes projets et a suivi de très près mon parcours...

Elle s'inquiétait pour nous comme une mère s'inquiète pour ses enfants.

Il y a moins d'un mois, alors qu'elle était fatiguée, elle a demandé à me voir... Elle cherchait toujours à avoir des nouvelles de ses étudiants comme pour être rassurée que tout allait bien pour eux, alors que c'était à nous de nous inquiéter pour elle... À notre dernière rencontre, qui fut très émouvante, j'ai ressenti les adieux dans son regard mais je n'ai pas voulu croire au générique de fin.

Elle est partie, “Aimée” de tous ceux qui l'ont connue. »

Lina Abyad, dramaturge, metteure en scène

« Cette femme fut exceptionnelle ! Pour les arts du théâtre et du cinéma. J’ai rencontré Aimée Boulos lors d’un cours que j’ai donné à l’USJ. Elle maîtrisait parfaitement l’art d’être proche des étudiants (une écoute exemplaire), mais aussi des professeurs tout en gardant un regard sur l’ensemble du programme. Et puis sa fidélité à tous ceux qui sont passés par l’institution qu’elle dirigeait était le signe même de son attachement à ceux qui avaient servi l’USJ et ceux qui l’avait choisie pour leur formation ! C’est à un repos bien mérité qu'Aimée Boulos a enfin droit aujoud’hui. Qu’elle repose en paix. »


Cet article a été modifié le lundi 14 août à 17h pour inclure le témoignage de l'homme de théâtre Roger Assaf.  

Roger Assaf, dramaturge, metteur en scène, acteur« À l’ombre de ton prénomToute la lumière du monde
Un arc-en-ciel de signes
Tu es et resteras « Aimée »J’ai cru en ta magie. Aussi vrai que tu as fait ce que d’autres rêvaient, aussi vrai que tu as inventé un pays possible, un pays sans laideur et sans mensonge, un pays où la culture n’est pas un luxe, mais un travail acharné,...

commentaires (4)

Une triste nouvelle. J'espere quel le pays saura lui rendre hommage

Baddoura Rafic

21 h 53, le 14 août 2023

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Commentaires (4)

  • Une triste nouvelle. J'espere quel le pays saura lui rendre hommage

    Baddoura Rafic

    21 h 53, le 14 août 2023

  • R I P Aimée

    Citoyen Lambda

    15 h 03, le 14 août 2023

  • Le souvenir de Madame Boulos est intimement lié à des moments magiques de mon enfance.Nagy son fils était un de mes meilleurs amis durant de longues années au collège des maristes à Champville.Je croisais également Fady, Samir et Mirna au gré des goûters d'anniversaire et des après midis,ludiques,studieux et enchantés. J'ai surtout en mémoire les sièges du salon oriental dont les sièges recouvraient une bibliothèque secrète. Il suffisait de soulever le couvercle pour que se révèlent à nous d ' immenses trésors cachés. Après la librairie Antoine,la bibliothèque du collège,c'était chez les Boulos que je puisais les merveilleux livres (que je rendais par la suite ,évidemment )qui m'ont aidé à grandir ...Madame Boulos était toujours là pour nous encourager et nous motiver Toujours rayonnante,bienveillante,ferme ,juste et protectrice,égale à elle même et d'une tendresse infinie.En l'évoqueant plus de ,cinquantaine ans après, il me semble à chaque fois , remonter instantanément le couloir du temps.Et pour moi ce sont des images et des sentiments impérissables.

    Bahjat RIZK

    13 h 21, le 14 août 2023

  • Le souvenir que je garderai de Aimée Boulos sans l'avoir connue personnellement, ce sont les séances de ciné-club au cinéma Empire Achrafieh à la fin des années 80. Grâce à elle, toute une génération de jeunes et de moins jeunes a découvert les incontournables du cinéma. Merci pour tout votre rayonnement... Monique Geara

    Geara Robert

    10 h 31, le 14 août 2023

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