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Nos Lecteurs ont la Parole

Élias, Manon, Mohammad, Annie, Ziad, Khaldiya et moi...

Il y a de ces dates d’anniversaire que nous ne devons ni taire ni négliger, ce sont les dates de deuil où on gémit, où on compatit et on pleure aussi. Des dates où on regrette amèrement les séparations, on déplore les divisions, on crie le départ vers l’infini, d’un parent, d’un ami. Les dates où on se souvient d’une tragédie, d’un cataclysme, une sorte de désastre qui nous envahit.

Bien sûr que hier n’existe plus. On ne vit pas hier, on ne respire pas hier, on ne demeure pas hier, on n’accomplit pas hier, on ne s’accroche pas à jadis. On existe aujourd’hui, on reste présentement, on subsiste maintenant, on persiste actuellement, pour continuer le cycle de la vie, afin de conduire et demeurer demain. L’histoire tisse l’aujourd’hui, elle ne le reproduit pas, elle ne le copie pas, elle ne le duplique pas, elle ne le calque pas. Mais l’histoire nous apprend aujourd’hui ce que nous sommes et ce que nous serons ou nous voulons devenir. L’histoire nous enseigne, nous instruit, nous nourrit pour vivre aujourd’hui et réaliser pour demain. L’histoire, toute l’histoire fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui.

Malgré les années, le 4 août 2020, à Beyrouth, est une date que l’on ne peut ni oublier ni radier. Son souvenir nous hantera, nous poursuivra, jusqu’à broder l’histoire, notre histoire, jusqu’à l’éternité…

… En rentrant chez moi, ce 4 août 2020, 19h00, j’ai vu de centaines de victimes blessées, des enfants effrayés, des magasins éventrés, des voitures calcinées, des maisons incendiées. Des nuages noirs assombrissaient le ciel d’été, un vent de poussière, de cendre, de ruine soufflait. Les sirènes des ambulances sifflaient de tout côté, une tapisserie de verre brisé sur laquelle gisaient des débris humains, des épaves, des décombres, des restes d’une vie inachevée. J’étais étonnée d’être en vie, d’y avoir échappé. L’odeur de la mort envahissait Beyrouth.

Mais, trois ans après, la vérité demeure occultée, dissimulée par la seule volonté d’une justice dérobée.

Que craignaient ces sapeurs-pompiers ce 4 août 2020 sur leur chemin vers le port ? La mort ? Savaient-ils qu’on les avait surpris, coincés, qu’on les avait dupés, bernés et saisis dans la sauvagerie, dans la barbarie et l’inhumanité ? Avaient-ils Dieu dans l’âme, et le sens de leurs obligations dans le cœur ? Ils avaient alors tout et leurs craintes se sont certainement évanouies. Parce qu’ils ont aimé leur mission par-dessus tout, ils ont été capables de tous les dévouements, de toutes les bravoures pour s’égaler à l’idéal du sacré devoir civique et patriotique. Ces héros nobles, glorieux et vaillants, affamés de vertus et assoiffés d’idéal allant jusqu’à la mort et jusqu’au martyre. Ils ont été audacieux, courageux offrant leurs vies pour donner la vie. Ils seront vainqueurs et leurs têtes seront couronnées de gloires immortelles.

Que faisaient ces routiers, ces voyageurs, ces passants, ces citadins à 18h04min dans Beyrouth. Quelles ont été leurs dernières pensées, leurs derniers souhaits ? Savaient-ils qu’ils seraient piégés, pris et attrapés par la négligence, la vengeance et la haine? Savaient-ils que leur heure avait sonné, non pas par la volonté du Créateur, mais par l’inconséquence, l’incompétence et l’insouciance de nos gouverneurs ? Savaient-ils qu’ils tomberaient martyrs pour rejoindre les autres martyrs de mon pays ? Ils ont certainement lutté contre la mort comme de vaillants guerriers, mais ils sont tombés blessés, leur visage vers nous tourné. Ils nous ont laissé le prix de leur sang pour réclamer en leur nom que justice soit rendue afin de leur offrir l’honneur et la gloire tant mérités.

Et nous, que faisons-nous ? Pris par nos difficultés, nos contrariétés, nos morosités, aurions-nous oublié Dolly, Hassan, Rita, Mahmoud, Ziad, Wahib, Nawal, Nadia, Khaldiya ? Enfoui sous nos consternations, nos accablements et nos désolations, aurions-nous supprimé le souvenir de Antoine, Fatmé, Mohammad, Manon, Ziad, Layla ? Serons-nous si enivrés de festivals d’été, de réjouissances et d’autres festivités pour gommer la mémoire de Ralph, Tarek, Alexandra, Élias, et Anette.

Le 4 août 2020 n’est pas un simple souvenir anodin, c’est la commémoration et la célébration des souffrances de tout un peuple délaissé, abandonné, lâché, c’est la glorification de nos tourments, de nos afflictions, de nos douleurs et de nos malheurs. Le 4 août 2020 nous impose de nous lever, nous soulever, nous révolter, avancer, pour demeurer, vivre pour commémorer nos défunts, pour célébrer nos martyrs, nos héros partis trop tôt, pour secouer les consciences et réveiller les âmes anéanties. Le 4 août 2020 nous interpelle dans l’aujourd’hui, par attachement à la vie, par passion pour la liberté, car d’aujourd’hui et de la vie nous nous devons de demeurer assoiffés.

Le 4 août 2020 nous commande de nous battre inlassablement pour notre liberté, d’imposer vigoureusement nos choix, d’acclamer solidement nos pouvoirs, de défendre fortement nos droits, de confirmer fermement nos résolutions. Il nous commande de troquer notre dépendance par l’indépendance, notre captivité par l’élargissement, notre servitude par l’épanouissement, nos expropriations par les restitutions, nos contraintes par les décisions avérées. Il nous enjoint de briser ces chaînes qui nous gardent prisonniers. Ces chaînes qui reviennent à chaque anniversaire pour nous rappeler que nous sommes un peuple qui appelle à la pitié !

On n’oublie pas le passé. On ne le met pas de côté. On le réanime à chaque anniversaire pour le préserver, pour avancer dans la solennité, la fierté et la dignité.

Non, on n’oublie rien. On se souvient et on se souviendra toujours tant que l’âme de nos défunts gémit et pleure encore une vie que des mains perfides ont arrachée !

Accablée et endeuillée par ces pertes humaines, je voudrai malgré les contraintes pouvoir raconter l’histoire des martyrs du Liban, tous les martyrs, non pas par présomption, ni audace, ou arrogance, mais pour rentrer en communion avec eux, en espérant le pardon de tous les péchés et les fautes que nous commettons envers notre patrie et nos défunts.

Si notre pays avait, maintes fois, négligé nos droits les plus élémentaires, ne serions-nous pas capables de plus grandes actions pour apaiser les âmes étouffées des martyrs, pour guérir la mémoire des survivants ? Notre pays n’existera que par la force et la foi de ses hommes… Car les hommes qui se sont levés dans l’héroïsme se coucheront près de Dieu pour que viennent à leur tour des offrandes et des souffrances nouvelles qui feront lever d’autres hommes… afin que l’histoire de mon peuple et de mon pays porte le nom de la liberté sacrée…

Notre patrie a besoin de tous ses hommes, des armes de la foi, de la cuirasse de la vérité, de l’épée des espoirs absolus, de la lance de la sincérité pour retrouver son existence et renaître à la vie, une vie honnête et paisible, que nos martyrs du 4 août 2020 ont voulu, par leur mort, nous laisser…


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Il y a de ces dates d’anniversaire que nous ne devons ni taire ni négliger, ce sont les dates de deuil où on gémit, où on compatit et on pleure aussi. Des dates où on regrette amèrement les séparations, on déplore les divisions, on crie le départ vers l’infini, d’un parent, d’un ami. Les dates où on se souvient d’une tragédie, d’un cataclysme, une sorte de désastre qui...

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