Dans la marche qui démarre à la caserne des pompiers à la Quarantaine, ce sont les mêmes visages qu’on croise, les mêmes images et les mêmes discours. Trois ans après la tragédie du 4-Août, la commémoration de ce funeste anniversaire a un air de déjà-vu. À quelques détails près.
En 2022, l’effondrement partiel des silos avait accompagné, dans un troublant hasard, la manifestation et les discours des familles des victimes. Aujourd’hui, ils sont comme figés dans le temps. Les cris de l’an dernier devant les grilles fermées du Palais de justice se sont tus. Pas de reproches ni d’appels destinés à la France devant son ambassade rue de Damas. Il n’y aura pas non plus de coup de sang ni de jets de pierre devant le Parlement et on ne parlera pas de Lokman (Slim) sous la statue de Samir (Kassir). On accuse la « manzoumé », les responsables qui « savaient » mais « n’ont rien fait ». Mais aucun portrait de Nabih Berry, Hassan Nasrallah, Michel Aoun ou Ali Hassan Khalil couverts de peinture rouge à l’horizon.
De l’eau a coulé sous les ponts et le ton a changé. « Pas besoin de vos escortes », lance William Noun, frère d’un des pompiers tués, aux députés de l’opposition qui faisaient acte de présence. « Le peuple représente le peuple », hurle le militant. Mais quel peuple ? Malgré la présence de quelques milliers de manifestants, venus une nouvelle fois apporter leur soutien ou marquer leur indignation face à l’impunité, la foule n’était pas plus nombreuse que l’an dernier. Quant à la colère des premières années, elle a fait place à la tristesse. La tristesse morne d’un deuil interminable. Est-ce à dire qu'en dépit de cette sensation dérangeante d’un bis repetita l’on assisterait à la petite mort du 4-Août ? Peut-être pas.
La blessure est intacte
Peter Bou Saab, le frère d’une victime, est inquiet. Ils ne sont qu’une centaine réunis devant la caserne des pompiers. Des familles s’emparent de la photo de leurs proches qu’ils serrent contre leur poitrine ou brandissent dans les airs. Peu à peu, de larges grappes arrivent de toutes parts. Peter s’arrête de parler. Il a l’air soulagé. Mais entre les rangs, c’est le même constat. « Où sont les gens ? C'est censé être une cause nationale ! », tempête Raïssa, qui vit à Londres depuis six ans. « On n'est pas assez par rapport à la catastrophe qu'on a vécue », poursuit-elle. « Ce qui s'est passé nous a tous touchés, directement ou non... Les gens auraient dû se motiver ». On a ressorti du placard le gigantesque drapeau libanais, une sorte de manifeste, sur lequel des milliers de personnes ont apposé leur signature et où est inscrit une promesse : « Nous jurons, au nom de toutes les victimes et de leurs proches éplorés, de lutter sans relâche jusqu’à ce que justice soit rendue. »
Salwa, elle, essaie de trouver une raison rationnelle à l’absence assourdissante de ses compatriotes. « La vie est devenue trop chère. Les gens sont fatigués ». Dounia, une psychothérapeute de Jbeil, évoque les flashbacks qui la suivent à travers la marche. La blessure est intacte. Avec le sentiment qu’elle pourrait se renouveler à tout moment. Des milliers de participants sont enfin réunis sous la statue de l’Emigré. Les camions de pompier et les ambulances accompagnent les arrivants de la caserne sous les applaudissements. Sur le podium, les familles des victimes égrènent leurs noms. Une femme se faufile dans la cohue en demandant l’aumône.
« Ce que je ressens ? Colère, dégoût »
18h07. La sacro-sainte minute de silence. Ce même silence de plomb comme cette chape qui pèse depuis 1 095 jours sur l’enquête. Puis, comme s’il fallait réveiller la foule et son trauma, des fumigènes rougeâtres, censés symboliser l’énorme nuage en forme de champignon issu de l’explosion, sont lancés et font tomber des particules sur les manifestants les plus proches. Des hurlements se font alors entendre, brisant définitivement le silence qui s’était installé. Une scénographie maladroite, que la foule n’a pas le temps d’intégrer, alors que sur scène, familles et militants continuent d'énumérer les noms des 235 victimes. « Hezbollah terroriste ! », hurlent alors certains manifestants. Réaction immédiate de William Noun, qui monte à la tribune et lance : « S'il vous plaît, par respect pour les victimes. Laissez-nous continuer le programme de la commémoration et dire les noms des personnes poursuivies. »
Moins d’une heure plus tard, la foule commence à se disperser. « Dans cette marche, il y avait bien plus de tristesse que l'année dernière », estime Monika Borgmann, réalisatrice germano-libanaise et veuve de Lokman Slim. « Cela fait trois ans, et rien ne bouge. C'est incroyable. Tarek Bitar est bloqué. Notre seul espoir reste l'enquête internationale. Et pour Lokman, si je ne trouve pas justice ici, j'irai la chercher ailleurs », lance-t-elle dans un souffle. Très vite, l’avenue est rouverte à la circulation, et des voitures tentent de se frayer un chemin parmi la masse. « Nous aurions dû être plus d’un million ! », s'écrie le grand-père de la petite Alexandra, Michel Awad. « Ce que je ressens ? Colère, dégoût. Comme depuis trois ans. Je ne veux pas attaquer les autres Libanais. Mais je ne suis pas heureux pour autant. Je pense que les gens sont dans le déni, ils parlent beaucoup mais quand il s'agit d'action, il n'y a plus personne », se désole-t-il.
Un COUCOU de la part de T. Bittar ??? Lorsqu’on hiBerne : c’est la LÉTHARGIE. Lorsqu’on hiverne, c'est la SOMNOLENCE . En Afrique, ils ont des LIONS. Au pôle Nord, ils ont des OURS. En Australie, ils ont des KANGOUROUS. Et au Liban, on a des « MOUTONS DE PANURGE » qui hiBernent / hiVernent en même temps mais avec le temps, apprennent à danser. Allons donc, celui qui veut faire quelque chose trouve toujours des MOYENS, mais celui qui ne veut rien faire trouve des EXCUSES (monnaies courantes …)
12 h 05, le 05 août 2023