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William Boyd explore le siècle romantique à travers un Anglais aux mille vies

William Boyd explore le siècle romantique à travers un Anglais aux mille vies

© Trevor Leighton

Le Romantique de William Boyd, traduit de l’anglais par Isabelle Perrin, Seuil, 2023, 528 p.

Le Romantique est cet étourdissant roman fleuve, dernier opus de fiction de William Boyd où l’imaginaire et l’imagination ont des voies royales et des parts léonines. Même si cela dépasse l’entendement ! Toute vie n’est-elle pas sa propre énigme ? Grouillant de vie et fourmillant de détails, le XIXe siècle est traversé au galop, dans une chevauchée fantastique, par un Anglais intrépide et érudit, en quête d’amour, d’aventures et d’argent.

Un destin exceptionnel qui ne relève pas de la simple biographie mais d’une quête éperdue d’une folle traversée humaine sur terre. Et ce destin, plus ou moins, sourit ou porte des coups de sabots à ce personnage hors normes, à la fois intriguant, amoureux, fermier, brasseur, diplomate, homme de plume…William Boyd arrive toujours à surprendre le lecteur dans cet ouvrage palpitant, remuant, endiablé. Héroïsme, maladie et décadence fusionnent naturellement !

Grandeur et misère, dans une empoignade musclée avec le destin en dents de scie, secret et imprévisible, d’un anglais aux semelles de vent, infatigable voyageur fuyant l’Irlande, né enfant illégitime. Telle est la trame toute en complexité et cavalcades tonitruantes de sieur Cashel Greville Ross. Entre vraie vie et narration romanesque débridée, se profile un récit fascinant pour des tribulations ahurissantes, captivantes et envoûtantes.

À soixante et onze ans, toujours maître dans l’art de conter et de raconter, dans un style fluide, simple, avec un esprit brillant et tout en verve, William Boyd signe joyeusement Le Romantique paru l’an dernier en sa version originale. Loin de la stridence contemporaine mais au plaisir de vivre toujours aussi effréné que notre monde actuel, ce livre, au rythme emporté, frénétique et tumultueux, est une invitation pour un imaginaire pétulant. Un peu à l’instar des écrits des grands ténors de la littérature britannique il y a deux siècles déjà, Charles Dickens en tête de liste…

Figure de proue de la littérature britannique actuelle, William Boyd, par-delà ses vingtaines de romans largement récompensés et salués par les lecteurs, est également nouvelliste, dramaturge, scénariste et réalisateur… Et on n’est pas prêt d’oublier le film Chaplin de Richard Attenborough, ainsi que le pari (boutade impayable aussi !) avec Bernard Pivot de rembourser le prix de son livre aux lecteurs s’ils n’étaient pas satisfaits des charmes de son roman Comme neige au soleil… Francophile chevronné, Grand Prix des lectrices Elle, cet écrivain britannique, né à Accra (Ghana), vit entre la Dordogne (France) et Londres.

En abordant ce livre ambitieux, l’exergue de Stendhal vient fort à propos : « Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. » En effet, la route (plutôt ici autoroute impressionnante !) est sans frontières et dépasse tout espace étriqué… Car l’auteur de L’Attente de l’aube lâche sa plume à bride abattue sur des centaines de pages truffées de surprises pour donner une vie incroyable et rocambolesque à Cashel Greville Ross.

Origines obscures, enfance turbulente en Écosse, onanisme au collège à travers l’amusante histoire biblique d’Onan, enrôlement dans l’armée pour contrer Napo (comprendre Napoléon !) en tant que batteur de tambour, voilà que se déroule le ruban d’une existence qui n’a rien de soyeux… Et vogue la galère pour des épisodes truculents ou tristes, selon, qui s’emboîtent comme des poupées russes charriées par un fleuve impétueux.

Les personnages s’enchaînent, les paysages, multiples et variés, défilent comme à travers les vitres d’un train qui passe à vive allure, les aventures se multiplient, les espoirs et les déboires, revers d’une même médaille, ne font pas toujours bon ménage…

De Waterloo où il est blessé à l’Italie où il rencontre l’amour de sa vie, la machine des jours et des évènements s’emballe… À Pise, Ravenne, Milan et Florence, il croise le chemin de Lord Byron et Shelley. Il assistera aux obsèques du poète mort de noyade au large de Viareggio en Toscane et se piquera de devenir écrivain. C’est dans ces circonstances mondaines et au milieu de ces relations distinguées que paraîtra la sensuelle et énigmatique comtesse Raffaella Rezzo qui dérobera à jamais le cœur de ce héros qui se lance dans des histoires invraisemblables… Même en se jurant serment de fidélité sur la tombe de Dante. À côté de l’inconstance des intermittences du cœur, il y a aussi la fantaisie d’une carrière imprécise, pour ne pas dire erratique ou obscure… Une carrière qui mènera Ross de soldat du Hampshire à Trieste (avec fonction de consul du Nicaragua) en passant par Zanzibar, les Indes… Floué par son éditeur, malgré un retentissant succès de ses écrits, il tâtera de la prison. Pour ce qui est de Dieu, il abandonne le protestantisme et se convertit au catholicisme pour les beaux yeux de la jeune et pétillante Brid Corcoran qui finira folle et internée dans un asile à Boston… Une amitié ambigüe avec son valet Ignatz, des connaissances et des compagnonnages peu crédibles ou recommandables qui lui ouvrent des chemins peu fiables et praticables, voilà les grands axes d’un parcours hectique. Mais la mort, toujours aux aguets, survient pour le voir enterré, à quatre-vingt-trois ans, au cimetière de l’Isola di San Michele, dans la lagune de Venise.

Le Romantique de William Boyd est un pavé qui se dévore littéralement, sans en laisser une miette. Un livre qui ne se raconte pas tant il est touffu, dense et aux ramifications insaisissables. On reste avec l’impression d’avoir assisté à un film magnifique dans la lignée de Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Avec une bande sonore où Bellini et Donizetti seraient présents, vivement que le cinéma porte Le Romantique sur grand écran car, outre ses vertus littéraires, il y a sa superbe dimension émotive et visuelle.


Le Romantique de William Boyd, traduit de l’anglais par Isabelle Perrin, Seuil, 2023, 528 p.Le Romantique est cet étourdissant roman fleuve, dernier opus de fiction de William Boyd où l’imaginaire et l’imagination ont des voies royales et des parts léonines. Même si cela dépasse l’entendement ! Toute vie n’est-elle pas sa propre énigme ? Grouillant de vie et fourmillant de...

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