Le suspense est enfin levé : les quatre vice-gouverneurs de la Banque du Liban succéderont à Riad Salamé après la fin de son mandat à la tête de la BDL, le 31 juillet. C’est le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, qui vient de marquer ce point à l’issue d’une réunion marathon avec les quatre hauts responsables financiers. « Tout va très bien. Les vice-gouverneurs ont accepté de rester à leurs postes et de s’acquitter de leurs responsabilités », se félicite le chef du gouvernement sortant dans une déclaration à L’Orient-Le Jour, quelques minutes après son entretien avec Wassim Mansouri, Salim Chahine, Bachir Yakzan et Alexandre Mouradian. « Le gouvernement enverra au Parlement un projet de loi pour répondre à leur requête de pouvoir faire usage des réserves de la BDL », ajoute le Premier ministre sortant, renvoyant la balle dans le camp de son principal soutien, le chef du législatif, Nabih Berry, qui se montrait, dans un premier temps, hostile à ce que M. Mansouri (chiite, proche de Aïn el-Tiné) soit aux commandes de la BDL après le 31 juillet.
En résumé, tout le monde ou presque a (théoriquement) gagné : le Premier ministre a évité de se mettre à dos les partis chrétiens qui s’opposaient à la nomination d’un nouveau patron de la BDL en l’absence d’un président de la République. Il a en outre pu convaincre les quatre adjoints de M. Salamé de remplir leur devoir loin des menaces et des chantages. À leur tour, les quatre adjoints de M. Salamé ont écarté l'éventualité d'une démission collective après avoir réussi à arracher au gouvernement la couverture légale qu’ils demandaient à leurs décisions (notamment une loi votée par le Parlement leur autorisant de piocher dans les réserves obligatoires de la BDL la somme de 200 millions de dollars par mois, pendant trois mois, à condition que le cabinet rembourse le montant d'ici un an) une fois à la tête de la haute institution financière. Même si la tenue de la séance parlementaire dépend largement de la participation des formations chrétiennes majoritaires.
C’est en tout cas ce qui ressort du communiqué publié par le bureau de presse du Premier ministre à l’issue de la réunion tenue jeudi après-midi au domicile de M. Mikati. Dans son allocution, rapportée dans le texte, le chef du gouvernement a souligné que « la période actuelle requiert la collaboration de tous afin de préserver la stabilité financière et monétaire ». « Nous portons sur nos épaules une responsabilité nationale si un nouveau gouverneur n’est pas nommé », a encore dit le Premier ministre, comme pour exhorter les quatre vice-gouverneurs à ne pas démissionner. Une menace qu’ils avaient lancée dans un communiqué conjoint publié le 6 juillet sous très probable forcing du chef du législatif. Le message de Nagib Mikati a été rapidement capté par les adjoints de Riad Salamé. Selon le communiqué du Sérail, ils ont insisté devant le Premier ministre sur le fait qu’ils accomplissent leur devoir conformément aux textes de loi. Comprendre : ils ne comptent pas jeter l’éponge. D’ailleurs, les vice-gouverneurs ont tenu à rappeler que le communiqué du 6 juillet visait principalement à inciter tous (les protagonistes) à assurer les demandes légales pour préserver le minimum de stabilité. Ils se sont également félicités de voir les parties politiques assurer ces demandes sur le triple plan gouvernemental, parlementaire et légal.
Une position à même de paver la voie à la tenue d’une séance législative. Mais à Aïn el-Tiné, on ne tranche pas sur ce point. « Cela revient aux députés », commente un proche de M. Berry, dans ce qui semble être une pique aux partis chrétiens majoritaires qui rejettent le concept de législation de nécessité mis en place par le chef du législatif pour justifier la tenue de séances plénières de la Chambre en l’absence du chef de l’État. « « Si ces partis ne jugent pas nécessaire l’examen d’une question aussi grave que la succession du gouverneur de la BDL, qu’entendent-ils par urgent et nécessaire ? » s’interroge un proche du chef du législatif.
Un Conseil des ministres avorté
Quelques heures plus tôt, les principaux partis chrétiens présents au sein de l’équipe ministérielle avaient empêché la tenue d’un Conseil des ministres voulu par le duo Berry-Mikati pour nommer un nouveau gouverneur de la banque centrale. Il s’agissait d’une façon pour le maître du perchoir et son « protégé » de se laver les mains de toutes éventuelles conséquences d’un vide à la tête de la BDL.
Dans le cadre de cette démarche, le président de la Chambre n’a pas pu compter sur son allié traditionnel, le Hezbollah, ni sur les satellites de ce dernier, à commencer par les Marada de Sleiman Frangié, candidat du duo chiite à la présidence de la République. De toute évidence, le zaïm zghortiote a voulu lancer une fleur en direction du Courant aouniste de Gebran Bassil (qui boude le Conseil des ministres depuis décembre dernier), duquel il a besoin pour satisfaire ses ambitions présidentielles. C’est donc en raison d’un défaut de quorum que la séance n’a pas eu lieu. Nagib Mikati a dû se contenter d’une réunion informelle avec les ministres qui ont fait acte de présence au Sérail. Il s’est agi du vice-président du Conseil, Saadé Chami, et de ses collègues Najla Riachi, Nasser Yassine, Firas Abiad, Bassam Maoulaoui, Georges Bouchikian, Abbas Halabi, Abbas Hajj Hassan, Georges Kallas et Youssef Khalil. « Le Premier ministre nous a informés de ses contacts avec les quatre vice-gouverneurs, ainsi qu’avec les responsables politiques, afin de parvenir à une solution », confie Mme Riachi avant de poursuivre : « Il faut que le premier vice-gouverneur assume ses responsabilités comme le stipule le Code de la monnaie et du crédit (article 25). »
Si ce n’est pas Mansouri, c’est Chahine
Un point que Nagib Mikati a soulevé à plusieurs reprises dans la journée de jeudi. Il est même allé jusqu’à déclarer, lors d’une conversation à bâtons rompus avec les journalistes, à l’issue de la réunion, que « le premier vice-gouverneur doit prendre la relève à la BDL. Et s’il manque à ses devoirs, c’est le deuxième vice-gouverneur (Salim Chahine) qui devrait être en charge ». Un message clairement adressé à M. Berry. « Cela est impossible », réagit un proche de Aïn el-Tiné. Tous les regards sont désormais rivés sur la Chambre. Pourra-t-elle se réunir ? « Tout peut être résolu », rassure Nagib Mikati.
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Correction: le second vice gouverneur est Bachir Yakzan.
Akote De Laplak
08 h 54, le 31 juillet 2023