Avec quatre Grand Prix (sur les 24 que compte la saison) à son actif depuis deux ans – ceux de Bahreïn, du Qatar, de l’Arabie saoudite et d’Abu Dhabi –, le Moyen-Orient s’est fait une place en F1. Un sort qu’aurait pu partager le Liban si un projet fou mené par un trio de passionnés avait pu être mené à bien. Tout commence entre 1996 et 1997, lorsque Nabil Karam, George Boutagy et Gérard Saunal ont l’ambition de faire du Liban, le premier pays du Moyen-Orient à accueillir un Grand Prix de Formule 1. Ils sont tous passionnés d’automobile. Nabil Karam est déjà plusieurs fois champion du Liban de rallye et de course de côte, et George Boutagy a des connaissances dans le domaine comme Bernie Ecclestone, Jean Todt ou Ayrton Senna.
Le Liban semble être le pays parfait pour accueillir le Grand Prix. Tout d’abord en raison de sa spécificité culturelle, mais aussi parce que, à la différence de ses voisins, il se montre précurseur dans le sport automobile. Il y a même eu un projet de faire du pays une étape du championnat du monde de rallye. Cependant la FIA (Fédération internationale de l’automobile) n’a pas retenu sa candidature, préférant les routes de sable aux routes asphaltées, qui font la particularité du rallye libanais.
Une ambition indéfectible
Ce refus ne semble pas arrêter le groupe de passionnés. Nabil Karam décide de parler du projet de Grand Prix au gouvernement. Sans grande surprise, il séduit tout le monde surtout le président de la République de l’époque Émile Lahoud et son Premier ministre Rafic Hariri. Un décret présidentiel est même publié pour officialiser la candidature du Liban à l’accueil de ce Grand Prix de F1. Trois commissions sont alors créées pour mener à bien ce projet : une commission politique, une technique et une administrative.
Le gouvernement demande à Nabil Karam d’étudier le projet avec le président de l’époque de la FOM (Formula One Management, le groupe notamment chargé par la Fédération internationale automobile de la promotion des courses), Bernie Ecclestone. Il le fait également avec Solidere, la Société libanaise pour le développement et la reconstruction du centre-ville de Beyrouth, fondée en 1994 à l’initiative de Rafic Hariri, qui étudie alors le tracé du circuit à Beyrouth. Ayant pour ambition un circuit en pleine ville et au bord de la mer, ils prennent exemple sur le fameux circuit de Monaco – d’autant plus qu’un circuit en ville coûte moins cher à la conception qu’un circuit permanent.
Une fois le dossier solidifié et présentable, Karam, Boutagy et Saunal se rendent à Magny-Cours, en France, pour le présenter à Bernie Ecclestone. Le président de la FOM est conquis, mais impose quelques conditions pour pouvoir accepter la candidature du Liban.
Tout d’abord, il exige que l’architecte allemand, à la tête de la majorité des nouveaux tracés de formule 1, Hermann Tilke s’occupe du tracé libanais. Deuxièmement, le grand argentier de la F1 réclame 9 millions de dollars de droits de candidature ainsi qu’un minimum de 60 000 à 80 000 spectateurs pour l'événement. Enfin, les établissements de la ville doivent se préparer à accueillir ces derniers dans les meilleures conditions professionnelles possibles.
Le président de la FOM désigne George Boutagy comme le contact officiel du nouveau circuit libanais. Les Libanais ressortent ravis de cette réunion et se placent sur les starting-blocks. À leur retour à Beyrouth, les travaux sont lancés. Le Grand Prix doit être prêt pour 2003.
Pour remplir toutes les conditions, ils invitent Hermann Tilke à venir étudier le circuit. Le directeur de course, Charlie Whiting est envoyé à Beyrouth pour analyser la piste. Il modifie quelques virages, mais dans l’ensemble, tout semble prêt. Le circuit est étudié pendant deux ans et doit être terminé en 2002. Pourtant, les retards commencent déjà à se multiplier. Bernie Ecclestone décide alors d’infliger des pénalités de 3 millions de dollars par année de retard. Les droits de candidature du pays du Cèdre passent alors de 9 millions à 12, puis 15 millions de dollars. Des sommes astronomiques qu'ils n'auront en réalité pas à payer les travaux n'ayant jamais été achevés. Les autorités libanaises tentent cependant de rassurer le groupe de Karam : le projet devrait malgré tout voir le jour.
Un rêve qui prend fin
Mais les choses ne se passeront pas comme prévu. Profitant du retard du Liban, le Bahreïn saisit la balle au bond. Le prince héritier du royaume golfique entre en contact avec Bernie Ecclestone et présente la candidature du circuit de Bahreïn pour un montant supérieur à celui du Liban. Le projet libanais battant de l’aile, Bernie Ecclestone envisage sérieusement la seconde option. Les crises politiques qui suivent, jusqu’à l’assassinat de Rafic Hariri, le 14 février 2005, enterrent définitivement le projet du Grand Prix de Beyrouth.
Nabil Karam, George Boutagy et tous ceux qui avaient consacré des années de travail au projet libanais voient ainsi leurs espoirs anéantis, comme ceux de tous les jeunes libanais qui rêvaient d'admirer les bolides vrombir sur les routes de la capitale.
Et ils n’ont même pas la consolation de pouvoir soutenir un pilote libanais en Formule 1, ni même dans les catégories inférieures. « Pour cela, il faut des circuits. C’est mon grand regret, de ne pas avoir concrétisé ce projet en raison des formalités et de la politique », confie Nabil Karam.
Le Liban compte toutefois de très bons pilotes, notamment de rallye, de courses de côtes et d’autres types de courses automobiles. Dans le sillage de ses glorieux aînés, son père Abdo, star régionale des compétitions de drift et triple champion du Liban de rallye, et son oncle Roger, véritable légende du rallye libanais avec ses quinze sacres nationaux, Christopher Feghali incarne l’avenir des sports automobiles du pays du Cèdre. En 2022, le jeune pilote a même été sacré champion du monde de minikart lors des Rotax Max World Championship, à seulement 14 ans. De quoi nourrir les espoirs les plus fous ?
On dit « les épreuves sur terre » et non « les routes de sable »
15 h 40, le 26 juillet 2023