Les critiques de députés contre le ministre sortant des Finances Youssef Khalil pour son refus de transmettre le rapport sur l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban (BDL), rédigé par le cabinet new-yorkais Alvarez & Marsal (A&M), se multiplient depuis lundi. Les députés Samy Gemayel (chef des Kataëb), Jamil Sayed (indépendant, Baalbeck-Hermel) ou encore Ibrahim Kanaan (CPL), pour ne citer que ceux-là, ont notamment balayé les justifications fournies par le ministre et ancien cadre de la BDL pour refuser de fournir le document.
La justice s'est également prononcée sur la question. Dans une décision rendue lundi, le Conseil d'État a rendu une décision ordonnant au ministre de remettre les informations et les documents relatifs à l'audit juricomptable à l'ONG Legal Agenda. Cette dernière avait déposé un recours au nom d'une coalition regroupant la Lebanese Transparency Association (LTA), l'Association libanaise pour les droits et l'information des contribuables (Aldic), l'ONG Kulluna Irada, l'Observatoire de la fonction publique et de la bonne gouvernance de l'USJ et l'Observatoire des droits des déposants du Barreau de Beyrouth. Le juge administratif Carl Irani a notamment écarté l'argument de protection de l'ordre public économique invoqué par le ministre pour motiver son refus de transmettre le rapport.
L’audit juricomptable des comptes de la BDL a été réalisé par A&M, mandaté par le gouvernement une première fois en 2020, mais qui n'a pu commencer son évaluation qu'en 2022. Selon une source du ministère des Finances qui a gardé l’anonymat, le Liban a réglé l’essentiel des 2,74 millions de dollars dus au titre de la prestation. Il s’agit, selon nos informations, du montant du second contrat, le premier ayant été fixé à 2,1 millions de dollars lors de la première tentative de lancer l’opération.
Après des mois de silence radio dans un Liban en crise, A&M a transmis à la fin de juin dernier son rapport au ministère des Finances qui n’en a toujours pas divulgué le contenu, provoquant de vives réactions au sein de la classe politique. Contacté par L’Orient-Le Jour, le ministre a indiqué qu’il était tenu par la lettre du contrat signé entre l’État et le cabinet d’audit.
Argumentaire du ministre
Cet argumentaire a été relayé par plusieurs députés qui ont publié sur les réseaux sociaux la lettre de réponse que le ministre leur a adressée. Dans ce courrier de la semaine dernière, M. Khalil affirme que le rapport était un « brouillon du rapport préliminaire » qui n’était pas prêt à être publié. Il met également en avant des dispositions du contrat liant le gouvernement libanais – représenté par le ministre des Finances – au cabinet d’audit, selon lesquelles le contenu du rapport ne pouvait pas être dévoilé au public, peu importe la version, et que toute transmission à une tierce partie du rapport définitif devait répondre à des conditions strictes.
Le ministre souligne que son rôle consiste uniquement à représenter le gouvernement dans ce dossier et à faciliter la liaison entre celui-ci, la BDL et le cabinet d’audit, afin de remplir les objectifs du contrat, puis à présenter le rapport définitif d’A&M au gouvernement, ou à n’importe quelle partie dépendant de lui, en respectant les conditions fixées à l’article 5 de ce contrat. Toujours selon le ministre, cet article stipule que les parties qui obtiennent une « copie du rapport final » ne peuvent l’utiliser qu’à titre informatif (on parle en anglais de « non-reliance basis »), ne peuvent pas en divulguer le contenu, ni engager la responsabilité du cabinet en se référant à ce même contenu.
Le ministre indique enfin qu’il avait sollicité l’accord d’A&M pour pouvoir divulguer à des tiers des copies du contrat liant l’État libanais au cabinet, afin d’éviter au gouvernement de devoir assumer des « pénalités » prévues par ce contrat.
Ironie et relances
Sur son compte Twitter, le député Jamil Sayed a ironisé sur ce dernier argument. « Avez-vous peur d’un procès qui nous coûte un ou deux millions de dollars, alors que 74 milliards de dollars se sont évaporés ? » a-t-il notamment écrit, en faisant référence aux pertes financières que l’État, la BDL et les banques doivent assumer pour assainir le passif du système financier libanais. Samy Gemayel a, lui, insisté pour que le ministre « publie immédiatement le rapport, afin de permettre au Parlement d’exercer son contrôle ».
Pour sa part, Ibrahim Kanaan a transmis une seconde demande écrite datée de lundi au ministère en sa qualité de président de la commission parlementaire des Finances et du Budget, pour redemander une copie du rapport en invoquant le même article 5 du contrat dont il a partagé le contenu. Or, selon le député, qui a également partagé le courrier, cet article précise que le ministre a le droit discrétionnaire de divulguer « le rapport préliminaire d’audit complet ou des extraits » à n’importe quelle autorité informant le « client » sans l’accord du cabinet d’audit, à condition de respecter les trois conditions que le ministre avait énoncées dans sa lettre.
Contacté, M. Kanaan a insisté sur le fait que l’article 5 du contrat cite la « version préliminaire » du rapport et non sa version finale, et que le contrat ne fait mention nulle part d’un éventuel « brouillon du rapport » que l’auditeur aurait à transmettre à son client. « La position du ministre est intenable », a-t-il encore jugé.
L’audit des comptes de la BDL constitue l’une des conditions préalables essentielles au déblocage d’aides du Fonds monétaire international (FMI), mais son volet juricomptable n’a pas été expressément exigé par l’institution, même si une partie de la classe politique en a fait son cheval de bataille.
A&M, dont la spécialité première est la restructuration, n’était pas le premier choix de cabinet d’audit pour mener le volet juricomptable de l’audit des comptes de la BDL, dont la finalité consiste à reconstituer l’historique des transactions qui le composent. En outre, les autorités n’ont toujours pas clairement communiqué sur les résultats obtenus par les deux autres auditeurs mandatés, en 2020, à savoir le réseau global KPMG et Oliver Wyman.
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ABAROU EL SHEIKH ZINGHI KELLON SAWA.
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 14, le 19 juillet 2023