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Le fer dans la plaie

Le bulletin de (mauvaise) santé que vient de nous décerner le Parlement européen fait irrésistiblement penser à ces médecins de grand renom qui, à l’aide de leurs machines high-tech, débusquent tous les maux qui vous habitent, se promettent d’y faire face et puis… et puis trébuchent inexplicablement sur le plus évident, le plus lancinant aussi, de tous ces maux. Vous voilà alors réduit à crier à la faute professionnelle, à traiter de piètre médicastre l’homme de l’art. D’autant plus remonté est d’ailleurs le malade qu’il n’a plus que la peau sur les os. Et qu’il a en revanche, faut le comprendre, les nerfs à fleur de peau.


Doublement inopportune est l’assourdissante fausse note européenne sur la question des réfugiés syriens installés dans notre pays. Car outre la levée de boucliers qu’elle a suscitée au Liban, elle a eu pour effet de parasiter l’impact favorable des autres volets du diagnostic. La résolution adoptée mercredi fustige ainsi les parties qui s’emploient à entraver sciemment l’élection d’un nouveau président et recommande des sanctions immédiates contre elles. Sont également dénoncés ceux qui bloquent l’enquête sur la meurtrière explosion de 2020 dans le port de Beyrouth, scandale qui commande le recours à une investigation internationale. Condamnée de même est l’absence de tout progrès sur la voie des réformes et de la lutte contre la corruption. Il apparaît au contraire que cette dernière ne s’est jamais mieux portée, puisque même les fonds de secours alloués au Liban, est-il dûment précisé, sont l’objet de détournements et autres manœuvres frauduleuses…


Las, toute cette admirable rhétorique s’effondre comme château de cartes dès qu’on en vient aux réfugiés. Car ce que nous signifie péremptoirement la résolution adoptée mercredi, c’est que cette masse humaine évaluée à un million et demi d’âmes est vouée à demeurer sur place en attendant que soient assurées les conditions d’un retour sûr et volontaire à leurs foyers. Pour effarant qu’il soit, ce point de vue n’a en réalité rien de nouveau ; cela fait même des années qu’on nous le serine sans que se mobilise à fond, pour y faire face, une diplomatie libanaise coupable de criminelle inertie. Techniquement parlant, l’ukase européen n’est donc pas ce coup de couteau dans le dos du Liban contre lequel se révoltait l’autre jour, sur les réseaux sociaux, un eurodéputé français promptement démystifié d’ailleurs, toujours sur la Toile, par un de ses collègues. Par-delà ces joutes passablement politiciennes, il n’en reste pas moins que les élus du Vieux Continent viennent tout de même de remuer le fer dans la plaie, ce qui était aussi irréfléchi à long terme que cruel dans l’immédiat.


Mieux que tout autre pourtant, l’Europe devrait le savoir : de tous les États arabes de la région, le Liban à la délicate texture démographique et religieuse est le moins naturellement désigné pour subir, sans irréversibles dommages, des greffes massives ; il est le moins organiquement préparé pour accueillir, sans risques d’implosion, de considérables contingents de réfugiés. C’était déjà vrai pour les Palestiniens, dont les débordements armés ont fini par provoquer une cataclysmique guerre de quinze ans. Et c’est encore plus vrai pour ces expatriés syriens totalisant plus du tiers de la population locale, et dont de nombreux n’ont même pas d’ailleurs qualité de réfugié. À preuve, maints d’entre eux ne sont là que pour bénéficier des prestations onusiennes et font de fréquents allers-retours en Syrie en empruntant sans encombre, au vu et au su de tous, les passages illégaux.


En somme, et plutôt que de faire sérieusement pression sur Bachar el-Assad, diligent exportateur de réfugiés, pour qu’il rapatrie ses ouailles partout où leur sécurité peut être parfaitement garantie, c’est le Liban dans son essence même que l’on s’avise de mettre en question. Car se contenter d’offrir une assistance aux réfugiés, c’est seulement les encourager à se satisfaire durablement de leur statut. De même, se borner à aider le Liban ruiné à en supporter le formidable fardeau financier, c’est, à l’image de ces charitables accompagnateurs de fin de vie, le soutenir du bras dans son fatal itinéraire.


Pour finir, on ne peut plus méritées sont évidemment les leçons de morale que la résolution parlementaire européenne assène allègrement aux dirigeants libanais : ces remontrances sont même la seule chose qu’ils n’auront pas volée! Les accuser de sentiments antiréfugiés alors qu’ils ne font que traduire (bien mollement, au demeurant) une fort légitime inquiétude populaire est toutefois excessif. Pour une Europe elle-même en proie aux problèmes que posent l’immigration clandestine et l’intégration dans le respect de la laïcité républicaine, n’est-ce pas en effet s’acheter, à vil prix, bonne conscience ? N’est-ce pas aussi oublier les flots sans précédent de misère humaine que pourrait vomir vers ailleurs un Liban éclaté et livré au chaos ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Le bulletin de (mauvaise) santé que vient de nous décerner le Parlement européen fait irrésistiblement penser à ces médecins de grand renom qui, à l’aide de leurs machines high-tech, débusquent tous les maux qui vous habitent, se promettent d’y faire face et puis… et puis trébuchent inexplicablement sur le plus évident, le plus lancinant aussi, de tous ces maux. Vous voilà alors...