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Nos Lecteurs ont la Parole

Les missions, les missionnaires, les émissaires et moi

Notre été sera tordant : du touriste égayé, qui viendrait se balader, aux expatriés empressés de débarquer, aux immigrés enflammés de retourner au terrier, festivités et défilés se répéteront sans nécessairement se ressembler. Dans cette envolée et cette course folle aux curiosités, nous recevrons aussi des émissaires surdoués, en mission bien étudiée pour déchiffrer des complexités, résoudre des difficultés, remplir des vacuités et répandre un parfum de paix.

Mais n’est pas émissaire qui veut. Nous n’accueillons que ceux qui ont fait l’histoire jusqu’à écrire notre histoire ; la réalité d’un peuple fractionné, brisé et cassé par tant de conjurations, de machinations et de conspiration.

Un peuple qui a été placé pendant de longues et noires années sous mandat de la Société des Nations (SDN) et administré par un colonisateur dans le cadre de sa politique de partition du Moyen-Orient. Un peuple à qui on a balancé une indépendance et une Constitution établissant sciemment et consciemment un système de partition et de division où le partage du pouvoir a été distribué selon un principe de multiconfessionnalisme inventé et institué de toutes pièces et partagé selon des préceptes d’appartenances religieuses conçues pour scinder, morceler et découper.

Pourtant, Dieu demeure un, et un seul. Il le demeurera ainsi jusqu’à l’infini, quel que soit le dieu que les missionnaires protègent au simple et seul nom de leurs intérêts ! Ce dieu qu’ils ont patronné durant de longues années en soutenant tueries, violence, massacres et barbaries. Ce même dieu qui, prenant pitié pour nous, dépêche en mission chez nous ce cher émérite et ingénieux émissaire pour accorder les notes de nos grossières et vulgaires cacophonies !

Et, en émissaire bien averti, il a multiplié les entretiens avec les uns et les autres pour vanter avec acharnement les mérites de cohabitations religieuses chimériques, alors qu’il sait que si nous demeurons ainsi divisés, c’est parce que la majorité de ses interlocuteurs baignent dans l’allégeance, l’incompétence, la déficience et l’insuffisance, que nos institutions sont affaiblies dans leur intégrité : corruption, décadence, déchéance, dégénérescence font tache d’encre qui ne finit pas de couler.

Fort de l’illustre et glorieuse Déclaration de 1789, il nous tient de savants discours sur des élections impartiales justes et équitables alors qu’il sait que le peuple entier est privé de liberté : liberté d’expression, d’association, de religion, de croyance, de liberté syndicale, de liberté tout court. Opprimé dans ses droits : droit à l’égalité, à la sûreté, droit à une justice impartiale sont des notions violées chez nous et qui, de toute manière, même si elles étaient reconnues, demeureraient interdites dans les circonstances, malgré vos plaidoiries d’éminent défenseur de nos droits les plus ordinaires. Effrayant de ne pas voir à sanctionner ces transgressions, ces violations et ces abjections qui font de notre quotidien une grande prison dans laquelle nous survivons !

Il vient en mission, en toute connaissance de cause, nous fredonner des airs de souveraineté et nous gazouiller des hymnes de liberté, de fraternité et d’égalité. Il débarque en sauveur pour voir à résoudre les supplices d’un peuple dans lequel les hégémons l’ont sciemment noyé pour le déposséder et le dépouiller de l’exercice de ses droits et libertés les plus élémentaires, le droit à la vie dans la dignité et le respect et, en conséquence, le droit à des élections libres, dans les délais impartis, conformément à notre Constitution, le droit d’élire librement le président de notre soi-disant République.

N’a-t-il pas souligné lors de sa mission l’indignement de tout un peuple laissé à lui-même, privé d’accès aux services publics sans panne et sans rupture, suspendu d’accéder à des soins médicaux faute de moyens, dépouillé de régimes sociaux dans la conformité et la légalité, dépossédé du droit de ses enfants de parvenir à une éducation, à un enseignement conforme et intègre, et j’en passe car la liste est longue ? Que faire pour ce peuple déchiré par des crises politiques, économiques et sociales, étouffé par un amas de déplacés et de réfugiés abandonnés, venus de toutes parts, rentrés chez nous, sans règlement ni loi. Que faire réellement pour nous assister ? Que faire pour résoudre cette problématique ô combien dangereuse et onéreuse pour notre liberté et notre sécurité ?

Il converse allégrement d’autorité alors qu’il sait que nous sommes baignés d’impuissance, de faiblesse, de défaillance et de malveillance. Comment peut-il discuter d’autonomie lorsqu’il sait que nous sommes ligotés par des contraintes, des oppressions et des entraves qui nous enchaînent et nous anéantissent ? Comment nous parler d’indépendance lorsque nous tournons au gré de vents qu’il mène, tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest ? Lorsque nos frontières sont toujours occupées, que notre territoire n’est pas démarqué, qu’un peuple voisin est en danger, étouffé, assassiné, massacré, fusillé et supprimé ? Que faire pour protéger nos territoires de tout ennemi qui, à son aise et sans impunité ni sanction, fait trembler notre terre, menace notre mer et envahit notre ciel ?

N’a-t-il pas senti l’effroi du peuple, ses appréhensions et ses agitations ? N’a-t-il pas touché à la consternation, à la souffrance et la dévastation des victimes de l’explosion au port de Beyrouth ? N’a-t-il pas entendu sur son passage leurs gémissements, leurs tortures et leurs déchirements ? Leur malheur n’a-t-il pas interrompu son sommeil ?

L’indépendance qu’il nous a balancée est une fiction. Nous ne possédons pas les conditions nécessaires pour que l’on puisse l’exercer. Je crains de penser que le tout asservit ses intérêts. Où en sommes-nous de la désignation géographique de notre pays ? Où est l’État ? Institutions politiques et judiciaires sont en inertie totale et sommeil prolongé bercé toujours par des bras étrangers… Où en sommes-nous de ces concepts inconnus à notre quotidien, souveraineté, autorité, pouvoir, puissance, que vous mêlez à chaque sauce que vous cuisinez ? Où en sommes-nous de ces règles d’autogouvernance ? Ne voit-il pas que nous sommes tombés dans l’incapacité d’exercer toutes les fonctions du pouvoir, sans l’intervention d’une autorité étrangère, que nous sommes incapables de commander, gérer ou diriger, que nous prêtons allégeance selon vos intérêts ? Ne pense-t-il pas que notre conduite quotidienne est sujette aux aléas qui nous entourent, que nos valeurs sont en voie de disparition, étouffées par les ennuis qui nous enfoncent ?

Notre autonomie est en crise, toutes communautés religieuses confondues, des parlementaires qui parlent et mentent pour nous leurrer, des associations à but lucratif aux partis politiques soudoyés qui se jouent de nous, des syndicats, des corporations en parfaite atrophie, des organisations sociales aux unités universitaires qui peinent à se relever, des caisses de l’État volées, à nos banques vidées, de nos corporations qui sont pour la plupart du temps en grève, voyez-vous, nous sommes ainsi opprimés, voire brimés, notre avenir demeure incertain et notre pays se vide.

Il ne faut pas se fier aux apparences. Que les émissaires dénouent leur cravate, qu’ils retroussent leurs manches. Qu’ils aillent donc faire un tour dans les quartiers devenus pauvres et démunis de mon pays, qu’ils prêtent une oreille attentive aux gens de mon pays, ils toucheront ainsi à notre malheur, à notre misère et, pour une prochaine mission, ils pourront peut-être avec des idées fraîches nous aider à sortir de cet abîme dans lequel on est plongé !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Notre été sera tordant : du touriste égayé, qui viendrait se balader, aux expatriés empressés de débarquer, aux immigrés enflammés de retourner au terrier, festivités et défilés se répéteront sans nécessairement se ressembler. Dans cette envolée et cette course folle aux curiosités, nous recevrons aussi des émissaires surdoués, en mission bien étudiée pour déchiffrer...

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