Berlin assouplit ses restrictions d’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite

La décision apparaît comme un tournant dans la politique extérieure allemande. Les Verts et les libéraux du Parti démocratique libre (FDP), partenaires au sein de la coalition des sociaux-démocrates du chancelier Olaf Scholz, se sont entendus pour assouplir officiellement l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite. Un embargo avait été mis en place en 2018 après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul, pour lequel l’implication du prince héritier Mohammad ben Salmane avait été mise en cause. Une prise de position qui distinguait alors l’Allemagne de la France. 

Mercredi, dans un communiqué, la chancellerie précisait que les armes livrées ne doivent pas être utilisées au Yémen ni causer de potentielles violations des droits de l’homme. Une raison invoquée lors de l’application de l’embargo sur les armes, alors que Riyad mène depuis 2015 dans le pays une coalition en soutien aux forces gouvernementales, accusée parmi d’autres d’avoir fait de nombreuses victimes civiles dans le conflit. Alors que le conflit se poursuit, le nombre de victimes directes ou indirectes était estimé en 2022 à 400 000 morts, dont 60 % de civils.

Un double jeu de l’armement allemand

Si la décision de Berlin avait été saluée à l’époque par la communauté internationale, elle a ensuite été décrédibilisée par les révélations du réseau de médias European Investigative Collaborations (EIC). En 2022, des révélations de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel basées sur des documents internes du géant allemand de l’armement Hensoldt, détenu à 25 % par le gouvernement, indiquaient que la société continuait de conclure des contrats avec l’Arabie saoudite, alors en pleine guerre contre les rebelles houthis soutenus par Téhéran.

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Selon les informations obtenues par ce média, dès septembre 2020, par le biais de ses filiales au Royaume-Uni ou en France, Hensoldt vendait au royaume des radars pour sécuriser sa frontière avec le Yémen. Quelques mois plus tard, Hensoldt s’intéresse à un appel d’offres concernant un système antidrone en vue d’équiper les navires militaires de la marine saoudienne. L’année d’après, la firme négocie avec le gouvernement allemand pour être autorisée à fournir des composants qui seront intégrés aux armes espagnoles vendues aux Saoudiens.

La réhabilitation par les armes

Si les accords se faisaient en douce jusqu’à présent, l’heure est aujourd’hui au retour en puissance de l’Arabie saoudite sur la scène internationale, favorisée par le flambée des prix des hydrocarbures liée à l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. Par ailleurs, Riyad se pose en leader du monde arabe, chapeautant les efforts de détente régionale récemment illustrés par sa normalisation avec l’Iran ou encore la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe. La décision allemande de lever l’embargo sur les armes intervient en outre alors qu’une trêve conclue en avril 2022 entre les forces progouvernementales yéménites et les rebelles houthis continue d’assurer une certaine accalmie, malgré son expiration officielle en octobre dernier. 

Une opportunité, pour les puissances européennes, de revoir leurs positions en matière de vente d’armes au royaume. Depuis plusieurs mois, le parti libéral du FDP faisait ainsi pression pour trouver un accord avec les Verts, réticents sur le dossier. Malgré la décision des partenaires de coalition, certains obstacles subsistent cependant. Mercredi, M. Scholz déclarait que l’accord ne modifierait pas la position de Berlin sur les livraisons d’avions de chasse à Riyad. L’Allemagne continue de bloquer la livraison de quatre douzaines d’Eurofighter, allant à l’encontre du Royaume-Uni, qui participe à la production de l’avion de combat. « Je peux vous le dire : une décision sur la livraison d’Eurofighter à l’Arabie saoudite n’est pas à l’ordre du jour dans un avenir prévisible », a ainsi affirmé le chancelier lors de la clôture du sommet de l’OTAN à Vilnius, anticipant les critiques liées à la situation des droits de l’homme dans le royaume.