(Cet été, nous vous emmenons à la (re)découverte de villages libanais, en vous proposant certains reportages qui avaient été publiés lors des différentes éditions de notre concours « Le village préféré des Libanais ». Ce reportage, republié dans une version légèrement amendée, avait été originellement publié le 26 juillet 2017.)
Une heure vingt. C'est la durée du trajet qui sépare le tableau défiguré de Beyrouth du sublime paysage qu'offre Tannourine. Loin des odeurs pestilentielles et des agressions sonores, le village du caza de Batroun ressemble à une vaste oasis où se mêlent beauté et sérénité. Ici, tous les sens sont instantanément décuplés : le regard est d'abord aimanté par la très large palette de couleurs qui s'étend à perte de vue ; l'ouïe est ensuite sensibilisée au bruissement de l'eau avant que la main ne soit attirée par le dessin de la roche. L'odorat est enfin mis à contribution en même temps que le goût au moment où les parfums naturels se mélangent aux effluves émanant des spécialités locales.
Le nom Tannourine vient du mot syriaque tannour, qui désignait un four en pierre. S'il est surtout connu pour son eau, qui abreuve toute la vallée, le village a bien d'autres charmes qu'il serait tout à fait regrettable de négliger. Regroupant 17 villages et lieux-dits, dont Tannourine Tahta, Tannourine Fawqa, Aïn el-Raha et Wata Houb, le village s'étend sur 92 km2, qui varient entre 850 et 2 750 mètres d'altitude, proposant ainsi un paysage aussi divers que surprenant, sublimé par la réserve des cèdres.
La fierté des enfants
« 80 % des arbres qui sont ici sont des cèdres, ce qui en fait la plus grande réserve du Liban en termes de densité », explique Tanios Chalittah, directeur de la réserve. Située à 1 800 mètres d'altitude, cette zone est le joyau du village : elle attire chaque année 20 000 visiteurs et propose différentes activités dans le cadre d'un écotourisme intelligent, comme la randonnée ou le vélo. Un tronc d'arbre gravé à l'effigie de Dalida surprend les visiteurs quelques mètres après l'entrée de l'immense forêt des cèdres aux mille et une nuances de vert. Ici, le temps semble s'arrêter. Le corps et l'esprit se nourrissent d'un air pur et léger qui raconte l'histoire d'un autre Liban. « Je suis un enfant du village et c'est un vrai plaisir pour moi de travailler ici. De contribuer à ce que tous les enfants soient fiers de leur réserve et qu'ils comprennent la valeur de notre nature », ajoute, avec un large sourire, Tanios Challitah.
Les amoureux de la nature comme les accros au sport ont de quoi se réjouir. Tannourine est aussi généreux que son eau à ce niveau-là. Les chemins de randonnée sont aussi nombreux que dépaysants. Les enfants (et parfois les adultes) se défoulent sur le terrain de football de la municipalité, qui accueille également l'équipe de volley-ball du village. Mais pour les amateurs de sensations fortes, l'atout numéro un de Tannourine est incontestablement sa roche imposante sculptée par la nature. Les passionnés d'escalade y trouvent leur eldorado et décrivent le site, qui se situe à Tannourine Tahta, « comme le meilleur spot du Liban ». À quelques kilomètres de là, il y a de quoi prendre une véritable claque en découvrant le superbe site du Gouffre (Balou') de Bala'a, dit des Trois Ponts, en référence aux trois niveaux que la cascade traverse avant de s'échouer au fond de la grotte creusée dans le calcaire. Là aussi, de multiples activités sont proposées comme la tyrolienne et la descente en rappel.
Pas moins de 70 lieux de culte
Les adeptes du tourisme religieux ont également de quoi se réjouir. Haut lieu du maronitisme libanais, Tannourine fait partie de ces quelques villages dans lesquels les premiers maronites sont venus se réfugier entre le Ve et le VIe siècle. « Le village ne compte pas moins de 70 églises et couvents, dont 22 consacrées à la Vierge », précise Mounir Tarabay, ancien président de la municipalité de Tannourine. La féerique vallée de Aïn el-Raha compte, quant à elle, pas moins de 17 ermitages. L'église Saint-Challita, construite sur les ruines d'un temple païen, les églises Saint-Jean et Saint-Sarkis, mais également le monastère de Saint-Antoine-le-Grand, le premier couvent de l'ordre libanais dans les régions de Jbeil, font partie des incontournables. « Personne ne vient ici sans me dire que je suis au paradis », se félicite, en souriant, Nabil Khoury, le père supérieur du monastère Saint-Antoine-le-Grand, qui se situe à 1 400 mètres d'altitude. Les plus zélés iront certainement visiter le lieu dit de Harissa, qui a donné son nom au village du Kesrouan, qui héberge le célèbre monument de Notre-Dame du Liban.
Malgré un hôpital gouvernemental de très bonne qualité et de nombreux restaurants qui bordent la rivière de Nahr el-Jawz, les infrastructures du village paraissent insuffisantes à l'aune du potentiel touristique, à tous les niveaux, que peut offrir Tannourine. Les enjeux que soulève le tourisme rural dans un tel environnement sont énormes, et rien ne devrait empêcher ce village de ressembler, un jour, à un petit bout de jardin d'Éden...
Mais le sourire, l'accueil chaleureux, bien que, dans un premier temps, un peu suspicieux, des habitants compensent toutefois largement ces quelques notes négatives. Rien de mieux en effet que d'écouter les anecdotes des anciens du village pour oublier les tracas du quotidien. Comme quand Mounir Tarabay raconte ses premières leçons reçues sous les noyers, qui lui ont donné la passion de la lecture et de l'écriture, ou transmet l'histoire de Georges Abi Korkmaz qui serait venu habiter à Tannourine au XVIe siècle. Les noms des plus grandes familles du village viendraient tous des prénoms qu'il aurait attribués à ses fils : Harb, Younès, Tarabay, Dagher, Yaacoub...
Ou alors, quand Antoine Massoud Kheir raconte, dans sa maison vieille de 500 ans, située au pied de la majestueuse roche, l'histoire de son père qui escaladait la montagne pieds nus. « C'était un redoutable chasseur de cailles. Un jour, il est descendu de la montagne avec 13 cailles accrochées à sa ceinture. Et depuis ce jour, tout le monde appelle cette partie du mur la montagne de Massoud ! » Certains disent même qu'il a inspiré la célèbre chanson pour enfants composée par les Rahbani, 3ammi bou Massoud...
Fiche technique
Habitants : 9 000 inscrits sur les listes électorales.
Célébrités issues du village : Julio Cesar Tarabay, ancien président colombien ; Boutros Harb, député et ancien ministre ; Claude Comair, cofondateur de Nintendo Software Technology ; Abeer Nehmé, chanteuse.
Altitude : de 850 mètres jusqu'à plus de 2 750 m.
Météo : temps froid en hiver et très bon en été.
Comment y accéder ?
Il faut compter une heure et demie, suivant le trafic, en partant de Beyrouth, pour arriver à Tannourine Tahta. À Batroun, prendre à droite vers la montagne une fois arrivé au carrefour menant au centre de la ville portuaire.
À ne pas rater
– La réserve de cèdres (deuxième plus importante du Liban).
– La place du village et ses églises.
– Déjeuner au bord de l'eau à Tannourine Tahta.
– Faire de l'escalade sur ses rochers impressionnants.
– Visiter la grotte de Bala'a.
– Le monastère de saint Tanios construit en 1700.
La spécialité culinaire rapportée par Kamal Mouzawak (Souk el-Tayeb)
Chaque village, chaque région ont leur version du chich barak, cousins éloignés des tortellinis italiens. Le secret de ces chich barak ? Que leur pâte soit la plus fine possible. Ensuite, il faut le plonger cru et puis le cuire dans une sauce yaourt. Chacun, d'ailleurs, pense détenir la meilleure recette... À Tannourine, on sert le chich barak dans un kéchék, bon petit plat d'hiver idéal pour se réchauffer... Ainsi, les chich barak sont bien fins, farcis à la viande et aux pignons de pin, et délicieusement noyés dans un kéchék bien épais.