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Lifestyle - Rencontre

Les éditions Richard A. Chahine, l'histoire d'une maison pas tout à fait comme les autres

Pendant cinq décennies, l'éditeur et galeriste a rassemblé une documentation impressionnante sur le paysage culturel du Liban et de la région.

Les éditions Richard A. Chahine, l'histoire d'une maison pas tout à fait comme les autres

Richard A. Chahine, 96 ans au compteur, a cumulé trois casquettes : antiquaire, éditeur mais aussi galeriste. Photo DR

La diffusion de la connaissance du patrimoine auprès d’un large lectorat a été sa vocation pendant un demi-siècle. Richard A. Chahine est l'un des premiers sinon le premier éditeur du patrimoine à pouvoir prétendre pleinement à ce titre. Si le concept de l’héritage historique va de soi pour la majorité des Libanais, c’est parce que des personnes ont jadis perçu son importance et élaboré des outils pour le faire connaître au public.

Au tournant du XXe siècle, il y a eu les archéologues et la DGA, la Direction générale des antiquités, puis les revues et les bulletins de sociétés savantes, ou d’autres titres relevant d’initiatives individuelles, ainsi que l’Association pour la protection et la sauvegarde des sites et anciennes demeures (Apsad) cofondée, en 1960, par Lady Yvonne Cochrane, Camille Aboussouan et Assem Salam. Mais l’influence de Richard Chahine dans ce domaine a été éloquente. Sa maison d’éditions, née en pleine guerre du Liban, fut un formidable outil de promotion du patrimoine. Ses affiches et posters, ses beaux livres – qui sont aussi des ouvrages de référence – ont fait des adeptes au Liban et à l’étranger.

La comtesse a été le déclic

Affichant 96 ans au compteur, le dos droit et la tête haute, Richard Chahine raconte à L’Orient-Le Jour ses débuts d’éditeur et le travail qu’il a accompli ces dernières décennies. Fils de Abdallah Chahine, fondateur des maisons d’instruments de musique, et du label de musique « Voix de l’Orient », Richard Chahine avait un hobby : les meubles et objets d’art, les estampes et gravures. Cofondateur de l’Association des antiquaires au Liban, il ouvre sa galerie Au cadeau de luxe rue Verdun, en 1960. La guerre du Liban l’oblige cependant à fermer ses portes. « Inactif malgré moi, j’ai appris alors à manier l’ordinateur qu’utilisait mon fils Jacques, étudiant de génie à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Il me l’a laissé quand il est parti aux États-Unis. J’y ai ainsi jeté toutes les informations amassées au fil de mes randonnées de scout, où j’ai eu l’occasion de parcourir tout le Liban à pied et escaladé les sommets, du Barouk au Nord. »

Mais c’est sa rencontre avec la comtesse de Limburg Stirum qui a produit le déclic le propulsant dans le domaine de l’édition. À un dîner offert par l’ambassadeur du Liban à Bruxelles, Joseph Donato, la comtesse lui confie qu’elle organisait une exposition au profit de la Croix-Rouge libanaise et qu’elle n’avait trouvé aucun dépliant sur l’art au Liban ! « Cela a été le tilt pour moi. Il fallait combler cette lacune. » Il s’emploie alors à la préparation de l’ouvrage Cent ans d’art plastique au Liban, 1880-1980. Publiée en 1982, avec la collaboration de 24 spécialistes, présentée sous forme de deux volumes, cette anthologie de l’art plastique cerne le vaste et prolifique mouvement de l’art plastique au Liban.

Un an auparavant, la Vesti Fine Art Corporation de Boston, responsable de l’aménagement du musée de l’aéroport international de Djeddah, en Arabie saoudite, se réfère à lui pour la sélection d’œuvres d’artistes libanais. Le choix tombe sur Amine el-Bacha, Hrair, Stello Scamanga, Saïd Akl, Adel Saghir, Omran Kaïssy, Abdel Rahim Ghaleb, Wajih Nahlé et Lotti Adaïmi. « Leurs œuvres furent reproduites en tapisserie et en mosaïque sur une surface de 16 mètres par 16 mètres. Chaque artiste a touché 6 000 livres libanaises à l’époque, l’équivalent de 3 500 dollars », raconte Richard Chahine.

Une impressionnante masse de documents mémorisés

Le succès de cette initiative le pousse à aller de l’avant. Il décide de révéler les richesses patrimoniales en publiant d’autres titres, notamment  L’Arménie et l’art de l’estampe au XIXe siècle (1986, trilingue) catalogué à la Bibliothèque nationale de France, dont « 300 furent vendus à l’archevêché arménien de New York », précise M. Chahine. En 1989 paraît Les Orientalistes au Liban : Phénicie, Liban et l’art de l’estampe (anglais et français), réunissant 350 auteurs ayant écrit et illustré l’histoire du pays.

Dans les années 1990, alors que le centre-ville dévasté se reconstruit au détriment de son identité, il répond à la politique de l’oubli en restituant à travers un corpus d’images la mémoire et le patrimoine : Images de notre patrimoine (trilingue) paraîtra en trois tomes : Edifices et équipements publics, septembre 1996. Habitat fortifié et architecture religieuse, qui sort en librairie en 1997, comporte plus de 600 photos en couleurs ainsi que des cartes détaillées des sites. En 1998, le troisième volume met en valeur le caractère précieux des Vieilles demeures et résidences privées. Il est préfacé par l’érudit Jean Richard, membre de l’Institut de France et président de l’Académie des inscriptions et belles lettres à Paris.

Richard Chahine précise qu’il ne fait pas un travail d’historien, mais que les indications qu’il fournit sont des recoupements établis avec les données fiables de l’histoire. « Je passe mon temps à compulser des ouvrages, à photocopier et à insérer des informations. J’ai ainsi constitué une banque de données », représentant en chiffres 3 000 sites étudiés, 20 000 pages d’histoire, 2 200 auteurs compulsés et 4 600 gravures du Moyen-Orient répertoriées, dont 10 % relatives au Liban.

Comme l’a qualifié le ministre Khatchig Babikian (1924-1999), Richard Chahine est l’âme du projet L’Orient patrimoine de l’humanité (un CD protégé), dont les premiers clients furent le Collège de France et les universités aux États-Unis. « Le CD est illustré de 47 000 sites archéologiques du Caucase au Maghreb », indique l’auteur. Dans une lettre adressée à M. Chahine, Bertrand Lafon, ancien directeur scientifique de l’Institut français du Proche-Orient, écrit : « La base de données informatisée que vous m’avez présentée résulte d’une vie de recherche et me paraît impressionnante. Je constate également que ce projet a déjà retenu l’attention de plusieurs personnalités du monde scientifique et académique à qui vous l’avez montré. » « C’est une fierté pour le Liban, souligne pour sa part l'humaniste Boutros Dib, et l’accomplissement de ce chef-d’œuvre en pleine crise libanaise est une manière, on ne peut plus digne, et louable de faire un acte de foi dans la pérennité du pays du Cèdre. »


Un des ouvrages signé Richard A. Chahine.

300 expositions et un ouvrage sur David Roberts

Au cours des décennies, Richard Chahine a cumulé trois casquettes : celle d’antiquaire, comme celle d’éditeur mais aussi de galeriste. Car à son actif il compte « 300 expositions de peintres britanniques, bulgares, égyptiens, français, hongrois, irakiens, jordaniens, libanais, russes et brésiliens dont certains d’origine libanaise. J’ai même organisé des expositions d’artistes libanais et de gravures anciennes du Liban, à Paris, à Orléans, à Londres, au Brésil et aux États-Unis. À l’un de ces événements, le peintre Georges Nadra a décroché le 1er prix et s’est vu offrir un atelier dans la capitale française par Jacques Chirac, maire de Paris à l’époque. Hassan Badaoui a remporté une bourse pour un master en beaux-arts et en archéologie en Italie », se rappelle l’ancien galeriste, ajoutant que « Bernard Kouchner, grand collectionneur, a acquis de chez moi une dizaine de gravures des XVIIIe et XIXe siècles du Liban ».

Dans Le Monde Hebdomadaire, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, grand reporter et écrivain français, spécialiste du monde arabo-musulman, lui consacre une page illustrée. Son ouvrage sur l’orientaliste David Roberts lui a valu une décoration qui lui a été remise par l’ambassadeur de Grande-Bretagne au Liban. Alors qu’il mettait la touche finale à son livre Liban et le Levant d’hier : estampes des XVIIIe et XIXe siècles, il est invité le 15 janvier 2000 à donner une conférence sur l’œuvre de Davis dans les locaux de la English Speaking Union de Londres, lieu qui avait accueilli des personnalités prestigieuses, telles le président Ronald Reagan, le prince Hassan de Jordanie, l’ex-présidente d’Irlande Mary Robinson, Henry Kissinger et d’autres.

Comme le note en 2016 le père Youssef Mouaness, ancien président de l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), « Richard A. Chahine , un homme d’exploration culturelle unique de son genre, a réussi individuellement à accomplir une œuvre que diverses institutions et divers groupes ont échoué à accomplir ». Richard Chahine a fait don de ses archives au musée Sursock.

La diffusion de la connaissance du patrimoine auprès d’un large lectorat a été sa vocation pendant un demi-siècle. Richard A. Chahine est l'un des premiers sinon le premier éditeur du patrimoine à pouvoir prétendre pleinement à ce titre. Si le concept de l’héritage historique va de soi pour la majorité des Libanais, c’est parce que des personnes ont jadis perçu son importance et...

commentaires (1)

Merci pour ce genre d'articles epanouissant, ils se font de plus en plus rares dernierement.

Abdallah Barakat

17 h 34, le 11 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • Merci pour ce genre d'articles epanouissant, ils se font de plus en plus rares dernierement.

    Abdallah Barakat

    17 h 34, le 11 juillet 2023

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