Critiques littéraires Poésie

J.-C. Pinson, en résidence sur la Terre

J.-C. Pinson, en résidence sur la Terre

Poète, essayiste et philosophe, Jean-Claude Pinson se consacre depuis quarante ans à définir ou à redéfinir le rôle de la poésie dans notre époque et dans nos sociétés. Après une jeunesse passée à militer avec l’extrême gauche dans les années soixante, J.C. Pinson inaugure dès le début des années quatre-vingt une œuvre riche et cohérente, constituée de plusieurs livres de poésie, ainsi que des essais majeurs dans lesquels il fonde, définit et illustre la notion d’écopoéthique, c’est-à-dire la réflexion sur la possibilité ou non d’une habitation poétique du monde. Il vient de publier, chez un éditeur à tirage confidentiel un très bel ouvrage intitulé Vita Poetica.

D’une écriture limpide, savante mais parfaitement accessible, comme tous les livres de Jean-Claude Pinson, Vita Poetica peut aussi servir d’introduction à l’œuvre entière du poète et de l’essayiste parce que ce dernier y revient sur la plupart des thèmes et des préoccupations qui sont dans ses autres ouvrages. Et tout d’abord sur son parcours biographique. Il raconte ainsi sommairement l’absurde époque de son engagement politique d’extrême gauche durant lequel, à l’instar d’un nombre considérable de jeunes militants, il se renie avec une jubilation suicidaire, rejetant la littérature, la poésie, l’art et la culture considérés comme bourgeois au bénéfice de ce que d’autres ont appelé « le mot d’ordre », obéissant à l’idéologie et aux dogmes politiques dans le rêve illusoire d’une libération sociale. Il raconte surtout l’échec de cet épisode et le lent retour vers ce qui avait été un temps abandonné, à savoir la philosophie et la littérature – un retour qui aura été celui de nombre d’autres personnages marquants du paysage intellectuel français des dernières décennies, d’Olivier Rolin à Jean-Claude Milner en passant par Christian Jambet, Jean-Pierre le Dantec, Serges July ou Daniel Rondeau.

Ce retour, dans le parcours de Jean-Claude Pinson, s’accompagne d’un nouvel engagement, dans ce que l’on a eu tendance pendant un temps à appeler le renouveau lyrique de la poésie, c’est-à-dire une poésie qui tente de revenir vers le réel, vers une figuration du monde dans un souci d’établir avec lui un lien qui avait été rompu par les avant-gardes poétiques et littéraires des années soixante. La critique des reliquats de ces avant-gardes constitue l’un des thèmes récurrents de l’œuvre d’essayiste de Jean-Claude Pinson et on la retrouve précisément dans Vita Poetica. Pinson reconnaît que l’opacité, l’hyper réflexivité, voire l’illisibilité d’une certaine poésie contemporaine héritière de Mallarmé sont nécessaires pour résister à l’ « industrie culturelle » et pour lutter contre l’effondrement de la langue dans un globish atone, et donc in fine afin de sauver le langage et plus gravement la possibilité de la pensée elle-même. Il reconnaît aussi le fait que cette poésie dite textuelle peut offrir au lecteur une « appréhension sensible » hors de toute présence d’un sens immédiat ou d’un quelconque récit, à la manière des tableaux abstraits. Mais au-delà de ces arguments, Pinson reproche naturellement à cette poésie « moderniste » et textualiste son retrait, son absence de contact avec le monde, son enfermement derrière la vitre du langage et dans le pur espace du texte.

Tout le propos de Pinson, dans Vita Poetica comme dans l’ensemble de son œuvre, est de plaider au contraire pour une poésie qui soit en phase avec l’extérieur et qui ouvre la possibilité d’une résidence poétique dans le monde. C’est là tout le sens de cet écopoéthique qu’il définit sans cesse et dont il décline le sens et la possibilité. Sous ce néologisme, qui pour les spécialistes n’en est plus un depuis quelques années, le profane peut déceler deux greffes sur l’adjectif « poétique ». Le premier est le préfixe « éco », qui renvoie bel et bien au souci écologique qui doit être selon Pinson celui de la poésie aujourd’hui. L’autre, l’intrusion du « h » et la création d’un mot-valise, renvoie à l’idée d’une poésie « éthique ». Mais il ne s’agit nullement ici d’éthique au sens de « morale », mais bien au sens strictement étymologique, ethos ayant en grec et avant tout autre signification celle d’ « habitation ». La poésie se doit ainsi d’être attentive et soucieuse de notre monde, parce qu’il est en péril et à la limite de la ruine, et doit contribuer à permettre à l’homme de pouvoir continuer à y habiter sainement.

Cette écopoéthique, ou cette habitation poétique d’un monde dont on doit aujourd’hui être les gardiens vigilants, se décline d’innombrables manières dans l’œuvre de Pinson, et ce dernier en rappelle quelques éléments dans Vita Poetica. La poésie en tant qu’habitation du monde est évidemment celle qui « chante » notre présence et notre adhésion à l’univers, c’est une poésie célébrative par excellence. Mais pas seulement. La poésie ici est aussi une façon de vivre, une manière d’être et de se tenir attentif à ce qui advient à tout instant, à ces moments de fulgurante beauté dans le quotidien par quoi chacun peut renouer avec le cosmos et avec la Nature, pour recréer cette antique et pastoral sentiment d’ « appartenance », un sentiment que le devenir consumériste et ravageur de la planète rend de plus en plus précaire. Des pages magnifiques illustrent ce propos, comme la description de l’apparition un jour dans les montagnes du Portugal d’un troupeau et de son berger, en un moment unique où soudain le temps semble suspendu dans une atemporalité antique. Mais la poésie est également un projet presque concret de construire cette habitabilité du monde, ce qu’illustrent par exemple de magnifiques pages sur la maison et sur le droit imprescriptible pour chacun d’avoir sa demeure en cette Terre. En ce sens l’écopoéthique est aussi forcément politique, et fait remonter à la surface des préoccupations littéraires et philosophiques la question écologique, dont chaque poème « dessine la promesse et le contour, par-delà lui-même ».

Vita poetica de Jean-Claude Pinson, Lurlure, 2023, 144 p.

Poète, essayiste et philosophe, Jean-Claude Pinson se consacre depuis quarante ans à définir ou à redéfinir le rôle de la poésie dans notre époque et dans nos sociétés. Après une jeunesse passée à militer avec l’extrême gauche dans les années soixante, J.C. Pinson inaugure dès le début des années quatre-vingt une œuvre riche et cohérente, constituée de plusieurs livres de...

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