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D’eau et de sang


Les Libanais, un peuple qui depuis des temps immémoriaux, n’a cessé d’avoir la bougeotte. L’appel du large, mais aussi l’appât du négoce ont commencé par faire de l’antique Phénicie une véritable rampe de lancement humaine vers les destinations les plus diverses. Bien plus tard, et ce n’est pas fini hélas ! ce sont surtout les guerres, famines et autres cataclysmes qui poussaient nombre de Libanais à essaimer aux quatre coins, et même aux lieux les plus reculés, les plus invraisemblables, de la planète.


Liban partout, le ciel pour ultime limite : ces slogans peuvent paraître bien beaux, ils flattent si bien notre ego national. Mais comment diable expliquer cette fatidique incompatibilité qu’il y a entre le Liban – État et pays – et le concept même de frontière? Au sud, et malgré le retrait des troupes israéliennes, les fermes de Chebaa restent un explosif motif de litige. À l’est et au nord, et raison de l’évidente mauvaise volonté de Damas, notre territoire n’est toujours pas délimité officiellement avec le voisin syrien ; pire encore, c’est dans la plus grande impunité que contrebandiers, combattants et réfugiés empruntent quotidiennement une bonne douzaine de points de passage illégaux entre les deux pays.


À défaut de frontières là où elles étaient indispensables, on s’est cependant évertué à en fabriquer là où il n’en fallait surtout pas. Résignés à vivre toutes portes et fenêtres béantes, les occupants de la demeure libanaise se sont ainsi évertués à en compartimenter l’intérieur, à dresser entre eux des clôtures idéologiques et sectaires. Barricadés dans leurs chasses gardées, leurs chefs politiques avaient fréquemment ainsi toute latitude d’ignorer avec dédain les lignes pourtant bien claires séparant intérêt général et bénéfice personnel, biens publics et butin privé. Le plus désolant est de constater l’ampleur que ce phénomène de cloisonnement a pris ces dernières années, dans les faits comme dans les esprits.


Serait-ce la revanche de ces frontières dont on fait un aussi singulier usage ? Voici en effet que ces lignes de démarcation passablement factices – car nageant souvent dans l’imprécision – menacent de nous péter à la figure. Le sanglant week-end de Kornet el-Saouda (l’Arête noire) en est la plus impérieuse des sonnettes d’alarme, du moment qu’en sus des protagonistes civils se trouve mis en cause le rôle qu’a pu y jouer l’armée, dernière institution encore debout. Ce sommet, le plus haut du Liban, dément spectaculairement son appellation tous les hivers en se recouvrant abondamment de neige, dont la fonte alimente les sources de la région. Mais celle-ci est aussi, et de longue date, source de conflits sur l’exploitation du précieux liquide entre la localité chrétienne de Bécharré et les villages musulmans des environs, les tiraillements s’étendant même aux alpages des troupeaux de bétail.


Cette situation est le résultat de longues décennies de négligence et de laxisme étatiques, et sans doute de suspectes manipulations, dont a souffert le cadastre, cette référence censée recenser et identifier les propriétés foncières. Outre une longue succession de gouvernements, est prise en faute l’institution judiciaire, qui a omis en effet de trancher les innombrables litiges dont elle était saisie. D’où la saumâtre ironie de cette devise couronnant en grosses lettres le fronton du palais : la justice est le fondement de la propriété …


Ces derniers jours, les hasards de l’actualité auront empli vos médias d’un véritable déferlement de violence. Fausse démocratie car adepte d’un odieux apartheid, Israël s’acharne avec barbarie contre la ville palestinienne de Jénine sous prétexte de lutter contre le terrorisme. Comme toutes les authentiques démocraties, la France, écartelée entre maintien de l’ordre public et respect des libertés, se retrouve aussi tristement vulnérable aux excès des émeutes qu’aux coups du terrorisme. Et en ce premier quart du XXIe siècle, notre Liban-Far West, qui pourtant s’est longtemps piqué de modernité, en est encore à se démener, à coups de Colt, pour émerger du XIXe.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Les Libanais, un peuple qui depuis des temps immémoriaux, n’a cessé d’avoir la bougeotte. L’appel du large, mais aussi l’appât du négoce ont commencé par faire de l’antique Phénicie une véritable rampe de lancement humaine vers les destinations les plus diverses. Bien plus tard, et ce n’est pas fini hélas ! ce sont surtout les guerres, famines et autres cataclysmes qui...