Rechercher
Rechercher

Monde - ENTRETIEN

Dans le Haut-Karabakh, « la médiation russe est la moins mauvaise des options aux yeux des Arméniens »

À l’occasion d’une conférence organisée à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth sur la situation en Arménie, entretien avec Tigrane Yegavian, professeur de relations internationales. 

Dans le Haut-Karabakh, « la médiation russe est la moins mauvaise des options aux yeux des Arméniens »

Des soldats azerbaïdjanais stationnés dans la ville de Lachin (Azerbaïdjan), le 1er septembre 2022. Resul Rehimov/Anadolu Agency/AFP

Des discussions, des médiations, des négociations, mais toujours pas d’accord de paix. Dans le Haut-Karabakh, Erevan et Bakou continuent de se disputer ce territoire montagneux peuplé majoritairement d’Arméniens. Depuis plusieurs mois, les Azerbaïdjanais bloquent le corridor de Latchine, route vitale reliant l'Arménie à l’enclave du Haut-Karabakh. Les 150 000 habitants de la région subissent directement les tensions entre les deux ex-républiques soviétiques. Encore mercredi, quatre soldats arméniens ont été tués par des tirs azerbaïdjanais dans la région. Pour L’Orient-Le Jour, Tigrane Yegavian, auteur de l'ouvrage « Géopolitique de l’Arménie » (éditions Bibliomonde, 2023) et professeur de relations internationales à l’Université internationale Schiller et à l’Ileri, dresse un tour d’horizon de la situation.

Quelle est la situation actuelle dans le Haut-Karabakh ?

La situation empire de jour en jour. Les Azerbaïdjanais sont parvenus à étouffer complètement l’unique voie d’accès au niveau de l’entrée du corridor de Latchine, plus rien ne peut passer. Jusqu’à peu, seul le Comité international de la Croix-Rouge pouvait évacuer des personnes ayant besoin de soins urgents. Aujourd’hui, ce n’est même plus le cas. Les étalages des magasins sont vides, des denrées alimentaires de première nécessité ont disparu, des coupons de rationnement ont remplacé la monnaie arménienne en circulation.

Les médiations mises en place par Moscou ou Washington ont-elles une chance d’aboutir ?

Il existe à ce jour trois plateformes de négociation : une russe, une européenne et une américaine. Les Russes sont obsédés par le fait de perdre pied dans une région qu’ils considèrent comme leur pré carré. À leurs yeux, il n’y a pas d’alliance avec les Arméniens ou les Azerbaïdjanais, tous deux perçus comme des vassaux. Seulement, le rapport de force favorable à l’Azerbaïdjan, qui tire profit du contexte géopolitique de la guerre en Ukraine, a généré un profond déséquilibre dans la relation arméno-russe. Les Azerbaïdjanais en profitent pour pousser au maximum leurs revendications, à savoir l’anéantissement du Karabakh arménien (Artsakh) ou encore l'établissement d’un corridor extraterritorial dans le sud de l’Arménie reliant Bakou à son exclave du Nakhitchevan, elle-même reliée à la Turquie. Dans cette optique, l’Arménie a perdu quasiment tous ses leviers et espère gagner du temps en essayant d’internationaliser le conflit auprès de ses partenaires occidentaux. Mais le pays doit sortir de sa naïveté et comprendre que ce n’est pas parce qu’il est chrétien qu’il est occidental et que la France ou l’Europe viendront à son secours.

Comment la guerre en Ukraine a-t-elle changé le cours du conflit ? 

La guerre en Ukraine a considérablement fragilisé l’État arménien et affecté la relation avec une Russie plus vulnérable et plus dépendante de l’Azerbaïdjan et de la Turquie pour pérenniser ses exportations d’hydrocarbures. Si la Russie l’emporte en Ukraine, l’Arménie affrontera un sérieux problème de souveraineté. Si la Russie perd, elle aura un problème de sécurité.

Quel est l'intérêt pour Moscou et Washington de jouer le rôle de médiateur ? 

Américains et Russes mènent une guerre par proxy dans la région du Caucase-Sud. Les Occidentaux essaient de pousser Moscou vers la sortie en soutenant l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, c’est-à-dire pousser le contingent russe de maintien de la paix (sur place depuis un cessez-le-feu négocié par la Russie en novembre 2020 à la suite de la victoire azerbaïdjanaise de la deuxième guerre du Haut-Karabakh, NDLR) à quitter les lieux, ce qui pour les Arméniens de l’Artsakh signerait leur arrêt de mort. C’est pourquoi la médiation russe demeure aux yeux des Arméniens la moins mauvaise des options dans la mesure où Moscou se contente de geler le conflit sans apporter de solution politique.

Comment la situation pourrait-elle se débloquer ? 

Un vrai cadre multilatéral doit être envisagé pour favoriser l’envoi de Casques bleus des Nations unies le long de la frontière arméno-azerbaïdjanaise et autour de l’enclave du Karabakh. Seulement, la Russie n’y est pas favorable car elle y voit une ingérence dans ses affaires internes. De son côté, la France, qui affiche une posture plus arménophile, n’a pas encore formulé explicitement son intention de proposer une assistance militaire à l’Arménie qui réalise (presque) trop tard qu’elle doit diversifier son architecture de sécurité et desserrer l’étau russe qui l’étouffe littéralement.

Vous affirmez que « la population arménienne est polarisée ». Pourquoi ?

Une partie non négligeable de la population arménienne soutient le gouvernement de Nikol Pachinian en dépit de toutes ses erreurs et de sa gestion erratique de la dernière guerre. Une autre l’accuse de trahison et d’incompétence. Une minorité agissante est d’avis que la perte de l’Artsakh ne réglera rien dans la mesure où Bakou ne s’arrêtera pas là. Le problème est que ni le clan au pouvoir ni l’opposition n’ont de feuille de route ou de ressources humaines et intellectuelles pour redresser un État menacé dans sa chair.

Au Liban, la diaspora arménienne s’inquiète de la situation dans le Haut-Karabakh. Comment envisagez-vous les relations entre le Liban et l’Arménie ?

Quand on y regarde de plus près, on peut observer de nombreuses similarités entre la vulnérabilité libanaise et la situation que traverse l’Arménie depuis la défaite de la guerre de l’automne 2020 : absence de confiance dans le collectif, d’alternatives politiques et de vision stratégique en mesure d’opérer un redressement national.

Pourquoi le Tachnag a-t-il voté Frangié ?

Pourquoi le Tachnag a-t-il voté Frangié ?

Sur le plan intérieur, la communauté arménienne du Liban s’est polarisée en deux blocs : d’un côté, les structures traditionnelles de plus en plus repliées sur elles-mêmes, de l’autre, les individualités qui ont gagné un statut social dans leurs métier et responsabilités respectifs mais en se détachant de plus en plus de leurs racines arméniennes pour s’assimiler avant tout aux chrétiens du Liban. L’Arménie comme le Liban sont des pays refuges pour les rescapés persécutés et opprimés de la région : les Arméniens occidentaux et les Yézidis victimes du génocide de 1915, les Assyriens persécutés en Iran au XIXe siècle.  

Des discussions, des médiations, des négociations, mais toujours pas d’accord de paix. Dans le Haut-Karabakh, Erevan et Bakou continuent de se disputer ce territoire montagneux peuplé majoritairement d’Arméniens. Depuis plusieurs mois, les Azerbaïdjanais bloquent le corridor de Latchine, route vitale reliant l'Arménie à l’enclave du Haut-Karabakh. Les 150 000 habitants de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut