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La foire aux devinettes


Nous revoici tous pour la énième fois, du caïd politique au plus ordinaire des citoyens, à nous perdre en conjectures sur les vents, favorables ou non, qui nous viennent du large. Et qui ont du moins le singulier mérite de remuer l’étouffante atmosphère de serre qu’entretient, sur place, la plus stérile des classes dirigeantes.


Aujourd’hui débarque à Beyrouth Jean-Yves Le Drian en tant qu’envoyé spécial du président Emmanuel Macron. Cette initiative d’exception pourrait laisser les uns espérer et les autres redouter (nous sommes bien au pays du Cèdre !) que la France tente une approche nouvelle de la question libanaise, maintenant que piétine son option première : laquelle consistait à promouvoir l’élection du candidat du Hezbollah à la présidence de la République. D’autant plus délicate est d’ailleurs cette mission qu’elle survient au lendemain du sommet franco-saoudien de Paris, qui a demandé un terme rapide à la vacance présidentielle au Liban.


Et c’est là que redémarre de plus belle la foire nationale aux devinettes puisqu’il s’agit de découvrir qui, de Macron ou de MBS, a amené l’autre à ses vues. Car si le royaume d’Arabie n’est pas naturellement enclin à faire des fleurs au Hezbollah, il vient tout de même de se réconcilier spectaculairement avec son ennemi juré, l’Iran, ce qui peut ouvrir la porte à certains accommodements. De devinette en charade, resterait alors à s’interroger sur la position des autres membres du club des Cinq qui s’est saisi du dossier libanais, et à leur tête la superpuissance américaine…


Cela dit, une élection présidentielle dans les plus brefs délais, comme le réclame le sommet de Paris, on veut bien. Voilà déjà huit mois que le palais de Baabda est déserté et, comme le souligne l’Élysée, cette criante anomalie reste effectivement l’obstacle majeur à une résolution de la sévère crise socio-économique du Liban. Sans président, sans gouvernement pleinement nanti – et donc sans toutes ces réformes structurelles vainement exigées depuis des années –, aucune sorte d’assistance internationale ne serait même envisageable.


Or qui dit élection rapide présuppose inévitablement consensus tout aussi prompt entre parties libanaises. C’est cette sorte d’entente que croyait favoriser la France en offrant un président à l’un des deux camps et un Premier ministre à l’autre. Rien certes ne permet encore d’affirmer que Paris a révisé ses choix ou renoncé au principe même d’un tel troc. À ce panier de base, on peut même parier que viendront inexorablement s’ajouter les classiques tiraillements et marchandages quant à la future répartition des portefeuilles ministériels et aux nominations de hauts fonctionnaires. Ce qui est évident, en revanche, c’est que Jean-Yves Le Drian ne sera pas là pour imposer une quelconque issue : le coup de force, pour ne pas dire le coup d’État, c’est rien moins que le président de l’Assemblée, allié du Hezbollah, qui en agitait tout récemment la menace en évoquant la gravissime crise qu’eut causée, si elle avait eu lieu, une avancée significative du candidat de l’opposition. On ne s’en offusquera jamais assez : c’est tout juste si l’homme en charge de la bonne marche de l’organe législatif, lui-même chef de milice, n’a pas carrément parlé de voir le débat présidentiel se transposer de l’enceinte parlementaire à la rue.


De telles précisions eurent d’ailleurs été parfaitement superflues. Compte tenu des antécédents, bien facile à déchiffrer était cette fois la scandaleuse devinette. Vraiment pas de quoi donner sa langue au chat.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Nous revoici tous pour la énième fois, du caïd politique au plus ordinaire des citoyens, à nous perdre en conjectures sur les vents, favorables ou non, qui nous viennent du large. Et qui ont du moins le singulier mérite de remuer l’étouffante atmosphère de serre qu’entretient, sur place, la plus stérile des classes dirigeantes. Aujourd’hui débarque à Beyrouth Jean-Yves Le Drian en...