Rechercher
Rechercher

Culture - Critique littéraire

Le migrant, son keffieh et l’exaltée

Le troisième roman de Yasmine Char, « L’amour comme un empire », est paru cette année chez Gallimard. Une lecture qui laisse perplexe.

Le migrant, son keffieh et l’exaltée

Yasmine Char, écrivaine, dramaturge et directrice de théâtre d’origine libanaise. Photo DR

« Et elle sait qu’aucun dieu ne pouvait lui faire un plus beau cadeau : la rencontre inespérée de deux êtres que tout sépare. » 277 pages pour aboutir à une conclusion pour le moins convenue, et qui énonce l’un des fondements du romanesque… On peut se demander comment on en est arrivé là. Quadra de la bourgeoise beyrouthine, Line vit au bord de la mer dans un bel appartement et a épousé un chirurgien esthétique, Gary, qui a préféré occidentaliser son nom. Il la trompe, elle aussi, mais la surface est lisse et confortable. Line dirige un théâtre et, à ses heures perdues, elle tente de s’engager pour une cause qui lui tient à cœur : les migrants.

C’est dans ce contexte que se situe le premier chapitre du livre L’amour comme un empire (Gallimard) de Yasmine Char. La jeune femme a lancé une pétition et une manifestation devant un camp de réfugiés pour dénoncer leurs conditions d’accueil au Liban, or elle se retrouve toute seule car personne ne s’est senti concerné. En soi, pourquoi pas, mais cet élan sonne faux. « Malgré l’interdiction de Gary, elle avait couru dans la forêt de pins. » S’agit-il d’un projet humanitaire ou d’une tentative d’exister contre l’enfermement tacite qui accompagne son mariage doré ? « Elle avait enfilé un pantalon et une chemise large. Une paire de baskets. (…) Line avait dressé la table du petit déjeuner puis elle était sortie. » Son asservissement intériorisé est mis en scène sans qu’elle en ait conscience : porter un jeans et des baskets est présenté comme un acte militant, et quitter la famille implique de culpabiliser, donc de tout préparer pour eux à l’avance. Le sous-texte est intéressant, et interroge la façon dont beaucoup de femmes se perçoivent de manière souterraine. Néanmoins on est déçu que la romancière, dont l’écriture est fluide, ne creuse pas davantage ces problématiques contemporaines de la difficulté du positionnement féminin, aussi bien en société que dans le domaine domestique. La suite de son trajet en voiture à la rencontre des migrants est tout à l’avenant. « Elle était si contente de s’éloigner de la maison, de son mari qui ne ratait pas une occasion de critiquer son apparence. Dans leur entourage, accepter de vieillir naturellement était devenu aberrant. »

Ce constat est d’autant plus surprenant que tout au long de l’intrigue, la narratrice montre à quel point elle est soumise à ces injonctions qui la dérangent. Lorsqu’elle arrive sur place, elle est un objet de curiosité, et elle décrit la façon dont elle pense qu’ils la perçoivent : « Une fille facile. » En somme, elle se regarde être regardée, ce qui rend impossible de créer un lien, aussi bien avec les autres personnages qu’avec le lecteur. « Tout à l’heure, en épluchant les légumes, elles raconteront qu’elles sont tombées sur une exaltée, debout à côté d’une banderole. » Il y a un côté malaisant à lire la façon dont la jeune femme se met en scène. Alors que personne ne se sent concerné par son action, elle aperçoit un vieillard. « Il se baisse et gratte la terre en marmonnant. Il la regarde tout en creusant. Elle prend peur. (…) Qui sait s’il ne va pas lui jeter une pierre au visage ? » Sa naïveté aurait pu être touchante, mais sa tendance à ne jamais sortir d’elle-même s’accentue. « Ils sont heureux sans moi, songe-t-elle, quel besoin de me ridiculiser ? » De nouveau, on regrette qu’elle n’interroge pas davantage ce besoin que les autres soient malheureux pour qu’elle se sente exister. Au fond, celui dont on se sent le plus proche, c’est ce vieillard, qui s’occupe de ses plantations, et « qui la regarde de loin, la tête penchée sur le côté, son keffieh détaché. » Le lendemain, la presse évoque son intervention engagée, avec « la photo d’une femme agenouillée sur un terrain vague » : le déplacement du pathétique sur l’héroïne est peu crédible.

Lire aussi

Napoli Pasolini

Le passage liminaire du roman a donné le ton, celui de l’autocomplaisance, qui détaille le sex-appeal de Line, ses tenues, et la charge de désir qu’elle suscite chez les hommes. « Elle noue ses cheveux mouillés avec un élastique et rajuste les bretelles de sa robe trop décolletée. Sa peau sent l’huile de coco. Du sable y est resté collé par endroits. » La fausse modestie ne permet pas de rendre le personnage plus authentique et cohérent. « Elle aperçoit son reflet dans la vitre. Son corps mince, se chevelure abondante. Sa féminité lui fait horreur. »

Les limites fluides entre vérité et mensonge

Au fil du roman, on suit les péripéties de la gestion du théâtre, qui appartient à la sympathique Madame Sabah. Sa programmation et sa raison d’être suivent des lignes hasardeuses, mais c’est le seul endroit où les gens les plus divers se retrouvent. Dans ce cadre, Line tombe amoureuse d’un célèbre acteur français, B., et on bascule dans un vaudeville dix-neuviémiste avec le mari, la femme et l’amant. Parfois peu épargnés par les poncifs, s’entrelacent les tiraillements et les remords de rigueur, mais aussi un érotisme un peu réchauffé. « L’homme passe un doigt sur les sourcils orgueilleux, caresse les lèvres charnues, la naissance du cou. Il voudrait l’entendre gémir. Voir ses mains battre l’espace comme si elle manquait d’air. Jamais il n’a rencontré de femme à la jouissance aussi têtue. » Quant à la relation amoureuse en tant que telle, on ne peut pas vraiment parler d’originalité. « En sa présence, elle se sent revivre. Elle a l’impression d’avoir 18 ans. Il la fait rire comme personne d’autre. Le sexe est joyeux, sans tabou. Il y a toujours de la musique et du champagne frais. » Les deux amants échangent des lettres dont la teneur est souvent décevante. « Je me suis acheté une robe moulante. » Le comédien n’est pas plus imaginatif en parlant de Line à un ami. « J’ai retrouvé un désir sexuel que je pensais mort, une symbiose inespérée. Je ne me suis pas senti aussi vivant depuis une éternité et, crois-moi, ça vaut tous les honneurs. »

Lire aussi

Hikmat Abou Zeid passe du droit administratif à la poésie

Le charme est rompu lorsque le fameux B. propose à Line de l’accompagner à un festival en Israël. La relation prend un tournant géopolitique peu convaincant, et Line, qui se décrit comme « la Libanaise » (lourde responsabilité) refuse catégoriquement, avançant des arguments qui mélangent tout. « Comprends-moi bien, je n’ai rien contre eux. Je ne prétends pas que musulmane c’est mieux que juive. Mais ils ont largué des bombes sur nous. Ils ont occupé mon pays. Ils nous ont humiliés. Ce serait une trahison envers ma patrie, un démantèlement de tout mon être », explique-t-elle à celui qui l’appelle « mon petit fedayin ».

En parallèle, Line poursuit ses visites de camps de réfugiés, dans la Békaa notamment, et elle essaie de les impliquer dans un projet théâtral. On aurait aimé que le roman fonctionne comme le microcosme de ce théâtre, qu’il fasse tomber les masques. L’amour comme un empire laisse un goût d’inachevé, la mise en scène de soi de la narratrice la rend distante, et comme avec les hommes qu’elle rencontre, elle veut séduire son lecteur. La trame narrative aurait pu être un espace de réflexion sur la façon dont les femmes, orientales en particulier, se situent par rapport à la société, aux hommes et à elles-mêmes. La question n’est pas de savoir si elles ont le droit ou non de coucher avec leur voisin, ou si elles veulent une nouvelle paire de fesses, mais de se demander ce qu’elles souhaitent faire de leur vie. C’est à cette interrogation que l’on aimerait que Line se confronte. D’une certaine façon, elle y répond dans les dernières pages, par la relation qu’elle tisse avec son théâtre, où les limites fluides entre vérité et mensonge sont finalement assumées.

« Et elle sait qu’aucun dieu ne pouvait lui faire un plus beau cadeau : la rencontre inespérée de deux êtres que tout sépare. » 277 pages pour aboutir à une conclusion pour le moins convenue, et qui énonce l’un des fondements du romanesque… On peut se demander comment on en est arrivé là. Quadra de la bourgeoise beyrouthine, Line vit au bord de la mer dans un bel...

commentaires (2)

En résumé une libanaise qui bovaryse .. Ça a l’air plat comme un galet .. tu ne veux pas réécrire le roman Joséphine ? :)

Noha Baz

22 h 08, le 14 juillet 2023

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • En résumé une libanaise qui bovaryse .. Ça a l’air plat comme un galet .. tu ne veux pas réécrire le roman Joséphine ? :)

    Noha Baz

    22 h 08, le 14 juillet 2023

  • La journaliste de l’Olj a la recette d’un livre réussi. Qui vous dit que le lecteur partagera votre déception ? Le foisonnement de littérature féminine est intéressant, et son éditeur chez Gallimard avait d’autres raisons pour le publier…par ""ce côté malaisant"".

    Nabil

    17 h 57, le 21 juin 2023

Retour en haut