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Les urnes et les autres


On le disait défraîchi, émoussé, élimé, râpé par deux décennies de pouvoir. La prospérité économique, son point fort lors du début de son règne, semblait l’avoir renié. Même la nature s’y mettait, avec ce meurtrier séisme de février qui, à la fureur de la population sinistrée, révélait l’incroyable désorganisation des dispositifs d’urgence dans l’orgueilleuse, la quasi impériale République de Turquie.


De fait, et tout au long du palpitant scrutin de dimanche, l’indéboulonnable Recep Tayyip Erdogan a sans doute senti le vent du boulet. Mais parce que les sondages avaient dérapé en s’emballant pour son adversaire, le peu charismatique Kemal Kiliçdaroglu ; parce que les Turcs paraissent avoir préféré la continuité et la stabilité aux aléas d’une opposition passablement disparate ; parce que les électeurs ultranationalistes ont ravi aux Kurdes le titre de faiseurs de rois ; pour tout cela, voilà que le reis part apparemment favori pour le second round du 28 mai. Il voit même dans cette prolongation de match non point une déconvenue, une fâcheuse atteinte à son prestige, mais au contraire la preuve du sain fonctionnement de ce régime résolument présidentiel qu’il a mis en place : singulière démocratie, en vérité, qu’au demeurant, les politologues qualifient pudiquement d’hybride…


Or la suite des événements– et là est le plus paradoxal – risque fort de donner raison à ce faux démocrate qu’est Erdogan, en qui l’Occident voyait naguère un modèle d’islamisme modéré, mais qui exhibe désormais sa nature autoritaire ainsi que ses nostalgies de grandeur ottomane. Les lacunes qui ont entaché l’opération électorale de dimanche n’ont certes pas échappé aux observateurs européens postés sur place : les plus graves étant les pressions occultes, le manque de transparence dans le décompte des bulletins de vote et l’outrageux avantage médiatique dont bénéficiait le président. On peut cependant parier que l’Europe, obnubilée par la guerre d’Ukraine dans laquelle Ankara se pose en médiateur, n’en fera pas une maladie, s’agissant d’une région de la planète qui, de toute manière, n’a pas trop d’atomes crochus avec la démocratie. Qu’Erdogan remporte donc la seconde manche comme tout le laisse présumer, et il aura – ironie de l’histoire – doublement bétonné sa légitimité à la faveur d’un verdict à répétition des urnes, bien plus efficace en définitive qu’un vulgaire plébiscite.


Car après tout, le leader turc n’a pas eu le mauvais goût de se faire réélire d’office avec 99 % des suffrages, comme on le fait de père en fils en Syrie, par exemple. L’échéance présidentielle de Turquie n’aura pas nécessité non plus tout un carrousel d’interférences diplomatiques et de marchandages de bazar, de doigts plongés dans cet infâme tabboulé de clientélisme, de sectarisme et de corruption qu’est la démocratie parlementaire : telle qu’elle est pratiquée dans notre si extraordinaire Liban.

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P-S : Il n’est pas courant (et pour cause !) de trouver dans ces colonnes des brassées de fleurs lancées à nos gouvernants. Incapable de juguler la folle valse des prix dans les supermarchés, le ministre de l’Économie a néanmoins mérité une mention honorable, lors de l’une des réunions préparatoires du prochain sommet arabe de Djeddah. Le retour des réfugiés à leurs foyers, soutenait son homologue syrien, devra attendre un afflux d’investissements arabes permettant à ces derniers de trouver des moyens de subsistance. C’est plutôt leur retour dans des conditions sûres, a fait valoir le Libanais, qui sera perçu par les investisseurs comme un signe de normalité, les incitant ainsi à desserrer les cordons de la bourse. Encore faut-il que les détenteurs de pétrodollars en prennent de la graine…

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

On le disait défraîchi, émoussé, élimé, râpé par deux décennies de pouvoir. La prospérité économique, son point fort lors du début de son règne, semblait l’avoir renié. Même la nature s’y mettait, avec ce meurtrier séisme de février qui, à la fureur de la population sinistrée, révélait l’incroyable désorganisation des dispositifs d’urgence dans l’orgueilleuse, la...