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Années 70, l’expérience communautaire

Années 70, l’expérience communautaire

S’il a d’abord déployé ses somptueuses aquarelles dans des récits de fiction (on se souvient notamment de son Muchacho, en 2004), voici quelques années qu’Emmanuel Lepage dessine des albums directement liés à ses expériences de voyage, notamment en mer. Une pratique du dessin maritime qui lui a valu de devenir, il y a peu, peintre officiel de la marine.

Or voici qu’il revient avec un album également tiré de son vécu, mais cette fois familial : Cache-cache bâton qui puise ses racines dans son enfance. Le titre de l’album évoque d’ailleurs un jeu inventé dans le temps par lui et ses amis. Emmanuel Lepage a passé une partie de cette enfance dans le « Gille Pesset », un terrain rural partagé par plusieurs familles qui, se retrouvant dans leurs engagements et leurs idées, ont mené, dans les années 70, une tentative de vie en communauté. Si chaque famille occupe un bâtiment, tout est partagé par la communauté, des tâches du quotidien aux déplacements en passant par la garde des enfants. On entre chez les uns et chez les autres sans prévenir, les enfants ont des adultes référents autres que leurs parents, et toutes les occasions sont bonnes pour s’entraider.

L’expérience qui dure de nombreuses années avant d’éclater est minée par un essoufflement et des querelles qui, trop retenues, finirent par émerger. Emmanuel Lepage entreprend dans son album d’interroger toutes les parties prenantes de cette aventure qui a fort à voir à son identité, puisqu’il y a grandi. Au-delà du récit de cette période, il s’intéresse plus largement au parcours de chacun, pour y trouver les raisons qui les ont poussés à entreprendre cette expérience de vie.

Le couple sur lequel il s’attarde le plus généreusement et sans filtre est bien entendu celui formé par ses parents. Leurs vies sont faites de secrets familiaux, de drames, et, surtout, d’un besoin d’appartenance à des « groupes ». Il s’agissait tour à tour de groupes liés à des mouvements religieux, notamment enthousiasmés par les réformes de Vatican II, ou à des mouvements proches ou cousins du scoutisme. En les suivant ainsi dans leur recherche de familles « choisies », on les voit arriver, petit à petit, vers l’expérience de la copropriété et de la vie en communauté.

Les récits longs, enquêtes ou reportages menés par un auteur de bande dessinée, ne sont aujourd’hui plus rares. Au contraire, ils forment un courant qui intéresse autant les auteurs émergeants que les auteurs qui, le long de leur carrière, n’avaient jusque-là tâté que de la fiction.

Les dessinateurs optent alors souvent pour un graphisme adapté aux fortes paginations, plus rapide, plus synthétique, un dessin qui file droit vers son sujet. Et c’est sans doute ce qui différencie Cache-cache bâton des autres albums de reportage : Emmanuel Lepage propose trois cents pages dans lesquelles il ne sacrifie rien de son dessin généreux, fait d’aquarelles minutieuses et gorgées de sensations. Son récit, chargé en paroles, entretiens et scènes de dialogue, n’en est ainsi pas moins au plus près de la chaire et des sentiments.

Cache-cache bâton de Emmanuel Lepage, Futuropolis, 2022, 304p.

S’il a d’abord déployé ses somptueuses aquarelles dans des récits de fiction (on se souvient notamment de son Muchacho, en 2004), voici quelques années qu’Emmanuel Lepage dessine des albums directement liés à ses expériences de voyage, notamment en mer. Une pratique du dessin maritime qui lui a valu de devenir, il y a peu, peintre officiel de la marine.Or voici qu’il revient avec...

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