Rechercher
Rechercher

Reclus ou exclu ?

Riches de solennelles promesses, mais aussi d’irréalistes attentes, sont le plus souvent les consultations entre États arabes. N’échappe pas à la tradition le bref sous-sommet restreint qui vient de se tenir à Amman, et dont l’objet était de mettre en chantier une ambitieuse feuille de route pour un règlement du conflit de Syrie. Dans la foulée est également envisagée une réhabilitation arabe de ce pays, dont l’adhésion à la Ligue était suspendue depuis 2011.


En attendant, deux points en particulier ont été débattus par les ministres des AE d’Arabie saoudite, d’Égypte, d’Irak, de Jordanie et de Syrie, réunis lundi : le retour volontaire à leurs foyers des quelque 12 millions de réfugiés syriens éparpillés dans la région ; et la fin de la contrebande de Captagon (lui aussi syrien) à destination des royaumes du Golfe. La Syrie, nous apprend le communiqué final, a accepté de prendre part à la lutte contre ce trafic en sécurisant ses frontières avec l’Irak et la Jordanie, par où transite l’infernale marchandise.


Mais surtout, Damas s’engage à œuvrer à identifier producteurs et convoyeurs de cette drogue hautement addictive. Et c’est là qu’en dépit de la gravité du problème, on n’est pas loin de se tordre de rire, comme sous l’effet d’un gaz hilarant. Car se résoudre subitement à combattre le fléau, n’est-ce pas reconnaître de la plus claire des manières qu’on s’est contenté, jusqu’à ce jour, de le tolérer, de l’exploiter ? N’est-il pas bien connu que les laboratoires de Syrie, à peine clandestins, sont contrôlés par des proches du régime, dont certains d’ailleurs sont déjà sous le coup de sanctions américaines, européennes et britanniques ? Ce qui ne prête guère à rire en revanche, c’est l’absence du Liban à ces assises, auxquelles prennent part pourtant les deux autres pays arabes partageant des frontières avec la Syrie. Plus désolant encore : la diplomatie libanaise ne s’en est pas émue pour autant…


C’est bien vrai hélas ! qu’en ce moment, notre pays fait figure d’éclopé, ruiné de surcroît, d’État failli privé de président et d’un gouvernement pleinement nanti : de has been incapable de vaquer même à ses affaires les plus intimes, et encore moins qualifié pour tâter des grands dossiers régionaux. Mais c’est oublier – ou feindre d’oublier – que le Libanais est un des peuples arabes les plus durement impactés par le conflit de Syrie ; rien qu’à ce seul titre, il a voix au chapitre. Qu’il s’agisse de Captagon ou de réfugiés, c’est oublier aussi qu’en toute logique, notre pays doit nécessairement être partie de toute solution. Après tout, les officines de drogue ne se trouvent pas qu’en Syrie; elles ont également élu domicile sur notre sol, par les bons soins des alliés locaux du régime baassiste. C’est également du Liban qu’ont été expédiées, puis interceptées, des cargaisons entières de fruits frais bourrés de capsules d’amphétamine, ce qui nous a d’ailleurs valu les foudres économiques de l’Arabie. Pourquoi, dès lors, faire l’impasse sur cette flagrante et honteuse connexion libanaise, si l’on veut réellement en finir?


Considérablement plus lourd d’implications (et d’interrogations) est évidemment le dossier des réfugiés. De tous les membres de la Ligue, et de par la faiblesse de ses moyens militaires et sa délicate texture démographique, le Liban était le moins susceptible d’abriter, sans gravissimes périls, une résistance armée palestinienne partout ailleurs muselée. Un demi-siècle plus tard, il reste le moins naturellement prédisposé pour accueillir, sans altérations irréparables, une masse de réfugiés syriens équivalant au tiers de sa propre population.


En somme, c’est de plus d’un cercle vicieux que notre pays se trouve en ce moment l’otage. Le premier est cette assistance internationale que la morale commande certes de fournir aux réfugiés ou déplacés, mais qui, la resquille aidant, a pour effet pervers de les fixer durablement sur place, de disputer souvent leur pain aux classes laborieuses libanaises, en attendant que Bachar el-Assad veuille bien les rapatrier. Un autre est l’échec patenté des Libanais amis d’Assad, longtemps installés au pouvoir pourtant, à obtenir de lui la moindre concession ; ceux-là ont beau jeu maintenant de dénoncer un sombre complot planétaire tramé contre le Liban et reposant sur de substantiels transferts de population.


Mais par-delà leurs serments d’amitié, que font de concret nos frères arabes pour lever toutes les ambiguïtés ambiantes? Pour les congressistes de Amman, une simple mais fort bienvenue politesse eût consisté, par exemple, à nous garder un siège au chaud.


Au diable l’orgueil en ces temps de misère, va même pour un strapontin !

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Riches de solennelles promesses, mais aussi d’irréalistes attentes, sont le plus souvent les consultations entre États arabes. N’échappe pas à la tradition le bref sous-sommet restreint qui vient de se tenir à Amman, et dont l’objet était de mettre en chantier une ambitieuse feuille de route pour un règlement du conflit de Syrie. Dans la foulée est également envisagée une...