Rechercher
Rechercher

Les deniers du Ciel


S’il est bien vrai que gouverner c’est prévoir, alors il faut constater que notre pauvre pays est doublement, et fort cruellement, pénalisé sur ce terrain.


Déjà démissionnaire – et donc astreint à la stricte expédition des affaires courantes –, le cabinet en place se borne ainsi à naviguer à vue, sans s’embarrasser de la moindre feuille de route : ses décisions ne sont que pitoyables expédients. Il s’avère en plus que ces frustes affaires courantes ont bien mérité leur nom : d’urgence en urgence, elles trottent effectivement beaucoup trop vite pour la poussive machine. Réuni hier, le gouvernement n’a pu que prendre acte du report, voté le matin même par la Chambre des députés, des élections municipales qui devaient avoir lieu le mois prochain. De s’être apparemment laissé couper l’herbe sous le pied par le Parlement aura tout de même épargné à l’équipe au pouvoir un casse-tête de taille. Tout scrutin coûte en effet de l’agent, et les caisses de l’État sont désespérément vides. Ne restait d’autre issue qu’un très hasardeux recours aux droits de tirage spéciaux auprès du FMI, ou alors à la bonne vieille planche à billets, cette imbattable faiseuse d’hyperinflation.


Ce n’était toutefois que partie remise, le brûlant dilemme se posant aussitôt avec les augmentations concédées, toujours hier, aux salariés des deux secteurs public et privé. Pour mérités que soient le plus souvent ces ajustements, de quels nouveaux impôts et taxes va-t-on toutefois accabler une population en proie à l’appauvrissement ? Qu’attendre encore par ailleurs d’une Assemblée elle-même passée experte dans l’art de foncer droit sur le désastre? À la veille des législatives de 2018, c’est pour des motivations bassement électorales, clientélistes, que les députés, sourds aux cris d’alarme des sommités financières, consentaient un substantiel magot à une administration publique déjà massivement parasitée : cela sans même se préoccuper, bien entendu, du financement de l’opération. C’était l’ère du Inchallah, du à Dieu vat, de la folle assurance que la Providence y pourvoirait. C’était, souvenez-vous encore, le temps où un fanfaron de ministre prétendait enseigner à la planète comment gérer un pays sans l’aide d’une invention aussi farfelue qu’un budget.


Mais les mentalités des responsables ont-elles vraiment changé depuis ? La classe dirigeante demeure viscéralement réfractaire à ces réformes structurelles qui, seules, peuvent encore sauver le pays. Gouvernement et Parlement confondus, elle ment comme elle respire, persistant à jouer au plus fin avec les institutions financières internationales. Elle-même frappée d’aveuglement, elle est incapable de nous montrer, de manière crédible, ne serait-ce qu’un coin d’horizon. Elle n’a jamais appris que prendre en charge la destinée d’un pays, c’est avant toute chose s’attendre au pire et veiller à l’éviter; c’est voir plus loin que le bout de son nez, c’est agir pour parer à l’immédiat bien sûr, mais aussi pour préparer le futur.


Les Libanais n’ont pas hélas ! de Churchill capable de les mobiliser en leur promettant, en même temps que le salut, du sang, de la sueur et des larmes. Et le Liban n’a franchement pas le souffle extraordinaire d’une Union soviétique qui, avant de finir par s’effondrer, a tenu durant sept décennies en exploitant le mythe des lendemains qui chantent. Ce que le Liban a seulement, c’est des dirigeants qui, dédaignant les leçons du passé, ont salopé le présent sans le moindre souci de l’avenir.


Et ça, même l’idiot du village était en mesure de le prévoir.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

S’il est bien vrai que gouverner c’est prévoir, alors il faut constater que notre pauvre pays est doublement, et fort cruellement, pénalisé sur ce terrain. Déjà démissionnaire – et donc astreint à la stricte expédition des affaires courantes –, le cabinet en place se borne ainsi à naviguer à vue, sans s’embarrasser de la moindre feuille de route : ses décisions ne sont...