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Crystal Meth et Captagon font leur entrée dans les cures de désintoxication

La crise économique a favorisé l'émergence de nouvelles substances moins chères et produites au niveau local ou régional. Les centres de désintoxication, eux, sont débordés.

Crystal Meth et Captagon font leur entrée dans les cures de désintoxication

Un toxicomane attend d'être reçu par un thérapeute de l'ONG Skoun. Photo Instagram/skoun_org

Dans le centre de réhabilitation pour toxicomanes de l’ONG Skoun, situé dans l’enceinte de l’Hôpital gouvernemental Rafic Hariri à Beyrouth, d’anciens consommateurs de drogue patientent devant les locaux, en attendant leur rendez-vous hebdomadaire avec les psychothérapeutes de l’association.

Ce centre, qui prend en charge toutes sortes d’addictions, reçoit de plus en plus de consommateurs de Crystal Meth (métamphétamine) et de Captagon (amphétamine). Des drogues devenues accessibles dernièrement au Liban en raison d’une production locale et régionale et de prix abordables, ce qui pourrait avoir contibué à leur expansion dans le contexte de crise économique que traverse le pays depuis trois ans.

Un sondage mené en 2021 et publié en 2022 montrait déjà que ces substances étaient consommées par certains toxicomanes, aux côtés du cannabis ou encore de la cocaïne. Cette étude menée par Skoun et l'Union européenne, auprès d'un échantillon de 3.000 personnes âgées de 18 à 35 ans et via le site web de Skoun, avait montré les effets du Covid-19 et de la double explosion au port de Beyrouth sur la toxicomanie. Il en ressortait que 92% des sondés consommaient du tabac et du cannabis, 90% avaient recours à l'alcool, 42% à la cocaïne, 20% à l'amphétamine et 16% à la métamphétamine.

"Le Crystal Meth a été récemment introduit sur le marché libanais. Avant 2018, personne ne nous contactait pour se faire traiter pour une addiction à ce produit. Aujourd’hui, 25 personnes se font traiter dans nos centres pour se débarrasser d'une addiction au Crystal Meth", révèle à L'Orient-Le Jour Tatyana Sleimane, directrice de Skoun. Elle explique que ce produit a été introduit au Liban pendant la pandémie. "La contrebande de drogue a été ralentie par le confinement. Cuisiner du Crystal Meth est plutôt facile, ce qui fait qu'une production locale a commencé à émerger à cette période-là. Nous avons constaté cela grâce à notre travail sur le terrain", ajoute-t-elle

Concernant le Captagon, de nombreux rapports ont récemment démontré qu'il est majoritairement produit en Syrie, avec quelques laboratoires de production locale (voir notre série "Captagon : la face « cachets » du Liban", publiée en novembre 2022). "Nous avons remarqué beaucoup de consommation de Captagon dans les régions limitrophes (Syrie), dans le Nord et la Békaa", révèle la directrice de Skoun.

Le cannabis, largement cultivé dans la Békaa, continue aussi d'être consommé au Liban, "mais il est considéré moins nocif par les usagers, étant donné qu'il a été légalisé dans plusieurs pays", explique-t-elle. "Or, tout ce qui est excessif peut devenir dangereux. On peut rapidement arriver à l'abus de substance."

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Pour fournir ces données, Skoun se base "sur le nombre de personnes qui demandent à suivre des cures de désintoxication dans ses centres ainsi que sur le travail sur le terrain". Mais l'association n'a pas de chiffres précis sur la toxicomanie, le pays ne disposant pas de données nationales sur le sujet."Nous avons de plus en plus de toxicomanes qui demandent à être soignés pour addiction au Crystal Meth ou au Captagon, ce qui ne veut pas nécessairement dire que ces substances sont les plus consommées. Les patients viennent nous voir rapidement car les effets nocifs de ces drogues se manifestent très vite, contrairement à ceux qui prennent du cannabis par exemple. Un consommateur de cannabis peut fumer pendant plusieurs années avant de remarquer les effets néfastes de son addiction", explique Tatyana Sleimane.L'association Jeunesse Anti Drogue (JAD) révèle pour sa part une augmentation ces derniers mois de la consommation de Crystal Meth et de Captagon, rejoignant ainsi les observations de Skoun. « Le coût de production d’une pilule de Captagon est de 17 cents (17.000 LL au taux du marché). Or la pilule est parfois vendue moins cher que son coût de production, à 10.000 LL par exemple ou à 20.000 LL au maximum », relève Joseph Hawat, le directeur de la structure.Il indique avoir également remarqué une hausse de la consommation de Crystal Meth, notamment dans le cadre de certaines pratiques sexuelles, sans pouvoir avancer de chiffres. Selon lui, la consommation de cocaïne est en baisse "à cause de son prix élevé, qui varie entre 70 et 80 dollars le gramme".

Une pilule de Captagon. JOSEPH EID/AFP

Une augmentation de la consommation ?
S'il est plus que plausible que la consommation de stupéfiants augmente dans les périodes de crise, peut-on affirmer que tel est le cas au Liban ces dernières années, malgré l'absence de chiffres officiels ? "Une personne qui n’a pas de ressources ou de perspectives ou ne sachant pas gérer la pression est plus à risque d’utiliser des drogues comme échappatoire ou comme mécanisme d'adaptation", explique Denise Farès, psychothérapeute chez Skoun.

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La directrice de Skoun révèle pour sa part une augmentation du nombre de patients durant les trois dernières années, sans pouvoir assurer pour autant qu'il s'agit d'un indicateur sur l'augmentation de la toxicomanie de manière générale. "Nous pouvons accueillir 550 personnes par an et nous sommes au complet toute l’année. Les autres centres de désintoxication aussi. Nous ne savons pas si cela veut dire que les gens consomment davantage. Nous pensons que beaucoup de patients se tournent désormais vers les ONG car ils n'ont plus les moyens de se faire traiter dans les hôpitaux privés", analyse Tatyana Sleimane.Chez JAD, qui dispose de cliniques à Jbeil et Jal el-Dib, le nombre de toxicomanes qui viennent se faire soigner "a été multiplié par quatre ces trois dernières années", selon Joseph Hawat.

L'association Oum el-Nour, qui offre aussi des cures de désintoxication gratuites, assure que la demande a explosé. "Les appels reçus ont doublé depuis début 2022. Il s'agit de personnes qui demandent de l’aide ou des renseignements pour aider un proche", révèle Lina Khoury, directrice de la communication et du développement des programmes. Selon elle, "la consommation de stupéfiants a augmenté depuis 2019". En cause, "la pratique de l’automédication et l'usage des drogues pour traiter l'anxiété, l'insomnie, le stress post-traumatique lié aux explosions au port de Beyrouth, ou encore aux récents séismes".

Du Crystal Meth saisi par la police allemande. Photo d'illustration AFP

Des traitements compromis
Si la crise a favorisé l'émergence de nouvelles drogues, elle menace par ailleurs la disponibilité des cures de désintoxication. Les multiples pénuries de médicaments qui frappent le pays n'ont pas été sans se répercuter sur les traitements de substitution aux opiacés, employés pour traiter certaines addictions.Rami*, un ancien toxicomane suivi depuis huit ans par Skoun, vit dans la hantise de ne pas pouvoir poursuivre son traitement. "J'ai peur de revenir en arrière. J’ai beaucoup souffert pour arriver à me débarrasser de la drogue et je ne veux pas perdre le fruit de mes efforts", nous confie-t-il.Ce trentenaire fait partie des personnes dont les doses ont dû être diminuées pour pouvoir assurer la continuité du traitement à tout le monde. "A un moment, les substituts aux opiacés étaient introuvables au Liban. On a dû adapter les traitements en fonction, ce qui a semé un vent de panique parmi nos patients. Nous leur avons alors expliqué comment gérer les symptômes de sevrage qui peuvent en résulter", révèle Denise Farès. Elle ajoute par ailleurs que le centre ne reçoit plus de consommateurs d’héroine en cure de désintoxication, "car leur traitement n'est plus disponible à cause de la crise". Chez Oum el-Nour, le manque de ressources menace également le bon fonctionnement des opérations. La structure souffre au niveau financier à cause de la dépréciation de la livre libanaise et du manque de financements. "Parfois, nous n'avons pas assez de nourriture à offrir à nos patients", soupire Lina Khoury. Elle révèle par ailleurs que les employés de la structure arrivent à peine à survivre. "Nos salaires ne valent plus rien et nous n'avons pas assez de ressources. La santé mentale n'est pas une priorité pour les donateurs. Les ministères de la Santé et des Affaires sociales nous aidaient avant la crise, en couvrant 60% des soins, mais nous n'avons plus droit à rien aujourd'hui", confie-t-elle.

*Le prénom a été modifié. 

Dans le centre de réhabilitation pour toxicomanes de l’ONG Skoun, situé dans l’enceinte de l’Hôpital gouvernemental Rafic Hariri à Beyrouth, d’anciens consommateurs de drogue patientent devant les locaux, en attendant leur rendez-vous hebdomadaire avec les psychothérapeutes de l’association.Ce centre, qui prend en charge toutes sortes d’addictions, reçoit de plus en...

commentaires (2)

Tout ce qui nous reste à nous, libanais, pour nous sauver de nous-mêmes et de surtout de nos politiciens incompétents et corrompus, c'est la religion et la drogue pour arriver à tenir et supporter l'insupportable quotidien.

marwan el khoury

12 h 36, le 17 avril 2023

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Commentaires (2)

  • Tout ce qui nous reste à nous, libanais, pour nous sauver de nous-mêmes et de surtout de nos politiciens incompétents et corrompus, c'est la religion et la drogue pour arriver à tenir et supporter l'insupportable quotidien.

    marwan el khoury

    12 h 36, le 17 avril 2023

  • Il faut quand-même avouer qu'après s'être fait piller nos économies par les banques, c'est peut-être la seule chose qui nous reste pour planer un peu et pas cher !

    Ca va mieux en le disant

    02 h 32, le 17 avril 2023

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