
Ces images de destruction provenant d’Antioche hantent toujours les Libanais et tous les habitants de la région depuis le 6 février. Photo Mohammad Yassine
« Depuis le grand séisme en Turquie et en Syrie le 6 février, les médias nous inondent d’alertes. Je ne suis pas préparée à un risque de tsunami, comme on l’a cru il y a quelques jours quand il y a eu cette affaire de marée basse en Méditerranée. Ce serait encore pire qu’un tremblement de terre. Que va-t-on devenir ? Il n’y a aucune échappatoire dans ce genre de situation », s’alarme la jeune Yasmine dans un entretien avec L’Orient–Le Jour. Cela fait deux semaines qu’elle ne lâche pas son téléphone, même la nuit, au cas où il faudrait appeler des secours.
« En cas de catastrophe naturelle, il n’y a clairement pas le dispositif suffisant au Liban, poursuit son amie Lamia, qui vit un étage au-dessus d’elle. Pendant la guerre de 2006, ma mère, qui a vécu la guerre civile de 1975 à 1990, a su réagir et nous mettre à l’abri à la montagne. Mais face à un tel désastre, le Liban est tellement petit qu’il serait entièrement dévasté ou englouti. »
« Au moins, si l’on meurt, on sera ensemble »
Yasmine et Lamia vivent dans le même immeuble à Jeïtaoui, quartier populaire de Beyrouth, où les constructions semblent le plus souvent peu respectueuses des normes, antisismiques notamment. « Depuis la seconde secousse ressentie le 20 février au Liban – dont l’épicentre était toujours en Turquie –, je vis dans la crainte permanente d’un effondrement de mon immeuble. En prenant mon café le matin, je regarde les bâtiments en face : je me dis qu’en cas de séisme, aucun ne tiendrait », reprend Lamia.
Cette nuit-là, celle de la réplique de magnitude 6,4 degrés en Turquie, ressentie plus faiblement au Liban, Yasmine, résidente du deuxième étage, est montée passer la nuit chez Lamia. « C’était par précaution, dit-elle. Au moins, si l’on meurt, on sera ensemble. Et si l’immeuble s’effondre, je serais un peu moins sous les décombres. » Malgré le grand séisme du 6 février en Turquie et en Syrie, le plus violent sur cette faille depuis le XIIIe siècle, qui a provoqué la mort de plus de 47 000 personnes, l’État libanais est resté silencieux, ce qui a amplifié l’angoisse des habitants. Ils se sont rendu compte qu’aucune mesure n’est en place au cas où une telle catastrophe surviendrait dans le pays.
Les diverses secousses ressenties depuis deux semaines au Liban ont fini de semer la panique, réveillant des traumas précédents. Pour la psychiatre Hala Kerbage, ces secousses ne constituent pas un traumatisme en soi, car elles n’ont pas fait de morts. Néanmoins, la succession d’événements traumatiques vécue par les Libanais au cours des dernières années, voire décennies, a engendré des réactions de stress post-traumatiques, souligne l’experte. « L’angoisse est due à la perspective de l’arrivée imminente d’un tel incident, mais aussi et surtout à la réactivation de traumas antérieurs. Le fait de sentir la terre trembler et le bruit que cela provoque raniment à coup sûr les souvenirs de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, les bombardements pendant la guerre civile ou encore les attentats politiques », note Hala Kerbage.
« Pas le temps de s’en remettre »
Cette réactivation des troubles post-traumatiques précédents se manifeste tout d’abord, selon elle, par des réminiscences, c’est-à-dire l’impression de revivre l’événement, ou des réapparitions sous forme de cauchemars notamment. « Le lendemain de la puissante réplique du 20 février, je me suis réveillé en pleine nuit. Je sentais que tout tremblait autour de moi. Ça m’a pris un peu de temps avant de réaliser que ce n’était qu’une vision de mon esprit », narre Bastien, un jeune Français expatrié au Liban.
Il y a aussi des réactions d’évitement, qui se manifestent par la mise à l’écart de tout ce qui peut mettre en danger. « C’est problématique dans le cas des tremblements de terre, car quoi que l’on fasse, on ne peut pas l’éviter. Cette incertitude est un grand facteur d’angoisse », rappelle Hala Kerbage.
Comme beaucoup de Libanais, Lamia est devenue insomniaque. « Depuis deux semaines, je vois défiler des images de cadavres, de corps vivants bloqués sous les décombres. Je passe mes nuits à recenser tous les objets qui pourraient me tomber dessus. J’ai peur de passer des jours entiers coincée sous les décombres sans pouvoir appeler quiconque à l’aide », reconnaît Lamia. « Moi j’y pense tout le temps. Quand je prends ma douche, je pose un peignoir à côté au cas où il faudrait fuir en urgence », ajoute son amie Yasmine.
Le troisième symptôme est l’hypervigilance. Certaines personnes sont sans cesse sur les nerfs ou à l’affût du danger, comme si le corps était dans une préparation constante à un possible événement. Quand le danger n’est plus là, mais que cette hypervigilance demeure, il s’agit, selon la psychiatre, d’une hyperréactivité physiologique pouvant devenir gênante au quotidien. « Je m’empêche de dormir depuis deux semaines », raconte Rola, quadragénaire, qui a vécu la guerre et l’explosion au port. « Si un tremblement de terre survenait pendant mon sommeil, je prendrais trop de temps à me réveiller pour aller chercher ma mère âgée et malade. J’ai tout retiré dans l’entrée au cas où il faudrait évacuer les lieux, et j’ai laissé l’espace vide sous la table à manger pour s’y réfugier. »
Selon Hala Kerbage, cette réaction peut être normale lorsqu’une personne vit une répétition d’événements traumatisants sans avoir le temps de s’en remettre, surtout si l’environnement n’est pas rassurant et manque de ressources. Dans le contexte actuel de crise économique, une large partie de la population libanaise n’a pas accès aux besoins de base ou vit dans la pauvreté. « La résilience n’est pas seulement une affaire individuelle, c’est une question liée à l’environnement et dépend de plusieurs facteurs, conclut la psychiatre. Mais dans les circonstances actuelles, le seul support est la solidarité, ce lien interpersonnel qui fait la force des Libanais pour continuer à avancer. »
« Depuis le grand séisme en Turquie et en Syrie le 6 février, les médias nous inondent d’alertes. Je ne suis pas préparée à un risque de tsunami, comme on l’a cru il y a quelques jours quand il y a eu cette affaire de marée basse en Méditerranée. Ce serait encore pire qu’un tremblement de terre. Que va-t-on devenir ? Il n’y a aucune échappatoire dans ce genre de...
commentaires (2)
Pour continuer mon propos, à mon avis personnel, panique, angoisses et insomnies ne servent à rien. Il faut absolument continuer nos vies normale, sauf bien sûr quand l'habitat est endommagé structurellement, d'où l'urgence d'évacuer, et tenter de réparer les dégâts au plus vite.
Raed Habib
07 h 48, le 25 février 2023