Compères disjonctés

Le Proche-Orient savoure aujourd’hui la crise du troisième âge de deux rigolos, dont les vapeurs fumantes assurent désormais l’animation. Vous avez aimé le couple Moshe Dayan-Gamal Abdel Nasser dans les années 50 et 60, puis la paire Ariel Sharon-Yasser Arafat deux décennies plus tard ? Vous allez adorer le ménage Benjamin Netanyahu-Ismaïl Haniyé, les deux compères disjonctés du troisième millénaire.

Le premier est un véritable poème. Sacré Bibi ! Fanatique, antipathique et teigneux : y en a vraiment qui exagèrent ! D’ailleurs, même modéré, sympa et affable, faudrait une sacrée dose de baryum pour le rendre comestible. Les Gazaouis ont de lui un souvenir attendri, l’époque où il les abreuvait d’obus en fumant ses havanes, pendant que sa femme Sara tabassait ses domestiques. Ils avaient l’impression de faire partie de la maison : solidarité des matraqués. Et comme en même temps la police le poursuivait parce qu’il était un peu forban sur les bords (et au centre aussi), ils se sentaient en famille : complicité des canailles. La vérité est que ce vestige du Likoud redoute de voir se fracasser son rêve d’enfance : une Palestine découpée en tranches fines autonomes, entre lesquelles des indigènes à keffieh continueraient à jouer à saute-mouton. Il se serait bien vu juché sur son char blanc, rasant gratis tout ce que la Cisjordanie et Gaza comptent comme barbus. Ce qui lui aurait permis de rester en tête à tête avec ses Hébreux ultras à papillotes, des agités de la kippa, frigides le shabbat, rigides sur les abats.

Le second larron n’est pas à proprement parler un comique troupier et, tout près de lui, notre Sayed barbu, chez qui il est venu dernièrement siroter un café, fait figure de boute-en-train palpitant. Ismaïl Haniyé, surnommé Mad Max par ses détracteurs, est arrivé à Gaza d’abord par les urnes. Mais c’était il y a très longtemps, pour dégommer le Fateh et ses sbires corrompus jusqu’à la moelle. Ismaïl, lui, pense que c’est un feu vert pour jouer les sultans à vie et débiter à la scie la vieille langue de bois bouffonne des années 50 : les Juifs à la mer et Palestine vaincra ! Aussi, plutôt que d’avancer un programme politique crédible pour amadouer les Européens, réduire les dépenses publiques avec moins de Mercedes rutilantes et de garde du corps hirsutes, et comme le saut suprême vers le harem des 70 vierges ne semble plus intéresser grand monde, il a préféré emmener brouter son peuple dans les tendres prairies de la roqueto-thérapie féroce, semant la joie de vivre dans cette enclave en folie. Résultat : plus un sou dans les caisses, et avec la petite monnaie qui lui reste, il n’a plus beaucoup de marge pour détruire Israël.

En un mot comme en mille, Benjamin-Laurel et Ismaïl-Hardy gambadent allègrement dans deux directions certes opposées, mais se retrouvent néanmoins à chanter les mêmes refrains acides sur les ruines fumantes d’un Proche-Orient exsangue.

gabynasr@lorientlejour.com