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Nos Lecteurs ont la Parole

La déception culinaire

C’est d’une petite table dans un café aux Champs-Élysées que les émotions jaillissent ce matin. Les rayons de soleil qui illuminent la ville, un café qui brûle comme la colère de la vie, un pigeon affamé à la recherche d’une miette de pain et d’un brin d’amour, des passants qui me regardent écrire, comme un con ne faisant rien dans sa journée, des larmes qui coulent, une goutte, puis deux, puis trois, puis une dizaine. C’est la fin d’un voyage dans les pays baltes.

C’est marrant, mais si je reviens quelques mois en arrière, ce voyage ne m’aurait jamais paru réalisable. Tout a commencé à travers la création d’un compte Instagram et la vente de quelques kilogrammes de houmous pour partir en Pologne, en Lituanie, en Lettonie et en Estonie. Grâce à un petit peu de pois chiches, d’huile d’olive, d’ail, de citron, de sel et de tahineh, je suis parti à l’autre bout de l’Europe.

Aujourd’hui je suis de retour à Paris et juste avant de prendre mon train vers Bordeaux, je suis assis sur une chaise dans ce petit café et je repense à toutes mes aventures.

Quand on parle de culture balte, on fait référence à la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie. Chacun de ces pays possède son propre charme. Il suffit de se balader dans les quartiers de Vilnius, Riga et Tallinn pour comprendre que, malgré l’authenticité de chaque ville, l’histoire reste la même. L’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) ne différencia pas les Lituaniens des Lettons et des Estoniens. Les trois peuples ont dû proclamer leur indépendance et se battre pour leur propre identité. Cependant, certaines séquelles de l’occupation soviétique sont toujours présentes. La langue russe parlée par les plus âgés en témoigne. En termes de cuisine, hormis les boulettes de pommes de terre farcies lituaniennes et la saucisse de sang estonienne, il m’a été difficile de trouver de la cuisine traditionnelle dans cette région. Souvent, j’ai fini par manger indien, turc ou ukrainien. Même en demandant aux locaux les adresses des meilleurs restaurants, je finissais par manger un plat provenant d’un autre continent. Est-ce l’occupation qui modifia les habitudes culinaires des locaux ? Est-ce vraiment une région du monde qui ne possède pas une cuisine locale ? Peut-être qu’avec l’occupation soviétique, l’oppression est arrivée jusqu’à l’assiette.

À Paris, à Toulouse, à Bordeaux, à Strasbourg, à Berlin, à Bratislava, à Lisbonne… toutes les villes que j’ai visitées disposent non seulement de restaurants locaux, mais aussi d’une large gamme de cuisine allant du fin fond de l’Amérique au fin fond de l’Océanie en passant par l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Un Indien à Paris retrouvera toujours son chemin vers Delhi depuis le Montmartre, pareil pour un Sri Lankais en Australie, une Mexicaine à Bucarest ou un Malien à Budapest.

Au Liban, ce n’est pas le cas. Les Libanais sont fiers de leur cuisine. Les restaurants libanais sont éparpillés aux quatre coins de la terre. De loin vous pouvez croire que notre ouverture d’esprit est un exemple de mélange et de diversité. Mais est-ce vraiment le cas quand les seuls restaurants atypiques à Beyrouth présentent un menu français, mexicain, japonais ou italien ? Pourquoi est-il impossible de trouver un mansaf jordanien, une biryani pakistanaise ou même un kisra soudanais à Beyrouth ?

Pourquoi une Bangladaise au Liban est incapable de retrouver son chemin vers Dhaka ? Nous nous retournons vers des cuisines provenant de pays plutôt impérialistes. Les nouvelles générations tombent dans le piège de la sélection culinaire basée sur la réputation d’un pays. Nos habitudes s’engouffrent dans l’ignorance et ainsi nous passons à côté d’une tonne de recettes capables de faire danser nos papilles.

Il est peut-être temps de changer le fonctionnement de toute notre société. Beaucoup de comportements doivent être remis en question. Peut-être que demain, en commençant par mettre fin au système dit kafala qui nie toute possibilité d’autonomie aux migrants, nous pourrons nous vanter d’être une diaspora ouverte d’esprit et venant d’un pays où tout le monde arrive à se procurer une place. Peut-être qu’avec un peu de chance, les chemins entre le Népal et le Liban, Kaboul et Beyrouth, et beaucoup d’autres villes, seront un jour connectés.

En attendant, je vais sécher mes larmes, me remettre de mon voyage, partir rejoindre la gare et reprendre le souffle de la vie en me connectant de nouveau à la réalité.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

C’est d’une petite table dans un café aux Champs-Élysées que les émotions jaillissent ce matin. Les rayons de soleil qui illuminent la ville, un café qui brûle comme la colère de la vie, un pigeon affamé à la recherche d’une miette de pain et d’un brin d’amour, des passants qui me regardent écrire, comme un con ne faisant rien dans sa journée, des larmes qui coulent, une...

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