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Sur les traces du nageur d’Auschwitz

Sur les traces du nageur d’Auschwitz

D.R.

Dans son dernier ouvrage, Le Nageur, récemment paru chez Gallimard, Pierre Assouline se penche sur le destin d’Alfred Nakache, non pas le président de la République libanaise, mais le grand nageur des années 1930 et 1940 qui remporta 15 titres de champion de France, 9 records de France, 3 records d’Europe et un record du monde. Né en 1915 à Constantine en Algérie, comme l’écrivain, le petit Alfred n’aimait pas se baigner. Un jour, c’est le déclic : il prend plaisir à nager, remporte compétition sur compétition, et finit par se mesurer au champion Jacques Cartonnet. Aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, celui qu’on surnomme désormais « Artem » (poisson), termine quatrième du relais 4x200m nage libre avec l’équipe de France.

Le nazisme est là, omniprésent, qui inquiète Nakache, issu d’une famille juive. La guerre venue, il se réfugie en zone libre, s’installe à Toulouse où il se marie. Mais tout bascule pour lui le jour où, dénoncé par un mouchard qui pourrait être son rival de toujours, Cartonnet, il est déporté depuis Drancy pour se retrouver à Auschwitz avec sa femme Paule et sa fille Annie, âgée de 2 ans, lesquelles sont gazées à leur arrivée – ce qu’il n’apprendra qu’après la guerre. Transféré dans un autre camp, celui de Buchenwald, il a le matricule 172 763 tatoué sur le bras. Sadiques, ses tortionnaires l’obligent à plonger dans des réservoirs d’eaux croupies pour y pêcher toutes sortes d’objets…

Sorti de l’enfer des camps à la Libération, très amoindri (il ne pèse alors que 40 kilos !), il participe en 1948 aux Jeux Olympiques de Londres et reprend son métier de professeur de sport. Après un séjour à l’île de la Réunion, il pose ses valises à Cerbère, dans les Pyrénées orientales. Le 4 août 1983, il décède à l’âge de 67 ans, victime d’un malaise cardiaque alors qu’il effectuait son kilomètre de nage quotidien.

Ce destin incroyable, qui rappelle un peu celui de l’acteur Harry Baur, dénoncé par un ami et incarcéré par la Gestapo, Pierre Assouline le raconte dans ce livre qui tient à la fois de la biographie et du roman, et qui reflète la passion de l’écrivain pour le sport (« Je dois tout au sport », admet-il dans un entretien au Monde) et sa profonde connaissance de l’histoire de l’Occupation à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages, réunis dans une anthologie parue dans la collection Bouquins chez Robert Laffont en 2018. L’hommage qu’il rend à Nakache est un témoignage de plus sur les horreurs du régime nazi. Si, en sortant du camp, Alfred se remet à plonger, c’est pour se laver, se purifier, de toutes les atrocités dont il a été victime, et pour reprendre son destin en main : « Le nageur (…) est capable d’avancer dans la direction de son choix, si nécessaire à contre-courant. Un nageur est maître de son destin », écrit Pierre Assouline dans ce récit bouleversant, à lire absolument.

Le Nageur de Pierre Assouline, Gallimard, 2023, 256p.


Dans son dernier ouvrage, Le Nageur, récemment paru chez Gallimard, Pierre Assouline se penche sur le destin d’Alfred Nakache, non pas le président de la République libanaise, mais le grand nageur des années 1930 et 1940 qui remporta 15 titres de champion de France, 9 records de France, 3 records d’Europe et un record du monde. Né en 1915 à Constantine en Algérie, comme l’écrivain,...

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