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Faune de caverne

À maintes reprises, responsables politiques et militaires israéliens ont menacé de détruire le Liban, au cas où éclaterait une nouvelle guerre : d’en pulvériser les infrastructures, de le ramener littéralement à l’âge de pierre. À l’apocalyptique perspective, deux ministres libanais en exercice répondaient à leur manière, l’été dernier, en pondant un pur joyau de stupidité et de ridicule : dûment escortés de caméras de télévision, ils s’en allaient lancer hardiment des cailloux par-dessus la frontière sud.


Pour transformer le Liban en une préhistorique caverne, leurs patrons, eux, ont fait preuve de plus de sérieux et de méthode. Généraux d’Israël, ne vous donnez surtout pas cette peine, les gouvernants locaux sont parfaitement capables de se charger du sale boulot, quand bien même cela prendrait forcément plus de temps. Après avoir pillé les ressources de l’État, ces dirigeants indignes ont ainsi laissé pourrir la crise économique et financière, en même temps qu’ils vidaient les institutions de tout contenu. Ils ont présidé à l’effondrement des secteurs bancaire et hospitalier ; et non contents d’écumer le présent, c’est l’avenir qu’ils hypothèquent criminellement en assistant, impassibles, au naufrage de l’enseignement.


Cela dit, quelle caverne – serait-elle même celle d’Ali Baba et ses voleurs – mériterait-elle d’être ainsi désignée si elle ne baignait pas dans l’obscurité ? L’accès à leurs économies séquestrées par les banques, à la santé, à l’alimentation : aussi innombrables que basiques et naturels sont les droits cruellement déniés aujourd’hui au citoyen libanais. S’il en est un cependant dont les incidences sont aussi dramatiquement vitales, c’est bien le droit au courant électrique, et il faut savoir gré à Human Rights Watch de le rappeler énergiquement à ceux d’entre nous qui l’auraient perdu de vue.


Car ce n’est pas là affaire de simple commodité, souligne cette ONG de notoriété mondiale vouée à la défense universelle des droits de l’homme, dans un long rapport qui vient d’être publié. Non seulement, y lit-on, la crise de l’électricité plonge la population dans le noir, mais elle exacerbe la pauvreté et les inégalités; elle entrave l’accès d’une part croissante de la population à la nourriture, à l’eau, à l’hygiène et à tout le reste. Le rapport ne manque pas de dénoncer la lamentable gestion, faite d’incurie, de corruption et de recours aux générateurs de quartier, dont a souffert longtemps ce secteur vital. HRW appelle enfin les institutions financières internationales à exiger une réforme drastique de ce secteur qui permettrait même aux plus démunis des Libanais d’obtenir leur ration – leur dû – d’ampères.


Pour bienvenu que soit cet accablant réquisitoire, on ne peut s’empêcher de regretter qu’il soit l’œuvre d’une prestigieuse ONG, plutôt que des forces locales œuvrant pour le changement. Les tristes flibustiers sont pourtant connus de tous, l’un d’eux a même écopé de sanctions américaines. Mais pour la plus grande honte de l’establishment politique, ceux-là et leurs hommes liges conservent, à ce jour, la haute main sur le département de l’électricité. Ils haussent les tarifs sans améliorer le moins du monde les prestations, sans même se soucier d’une honnête collecte des quittances. Et ils continuent de s’agiter sur la scène publique, pour s’assurer que toute transparence demeure interdite de séjour : que dans les sombres profondeurs de la caverne libanaise, rien ne viendra jeter une lumière crue sur les scandales aux kilowatts.


Pour bien moins que ça, il y aurait déjà ample raison de péter les plombs.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

À maintes reprises, responsables politiques et militaires israéliens ont menacé de détruire le Liban, au cas où éclaterait une nouvelle guerre : d’en pulvériser les infrastructures, de le ramener littéralement à l’âge de pierre. À l’apocalyptique perspective, deux ministres libanais en exercice répondaient à leur manière, l’été dernier, en pondant un pur joyau de...