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Lifestyle - Conférence

Quatre femmes architectes urbanistes libanaises célébrées par le BAFF

Ces bâtisseuses racontent leur conquête de la profession, leurs réalisations et affirment leur foi dans un avenir meilleur.

Quatre femmes architectes urbanistes libanaises célébrées par le BAFF

Anastasia Elrouss. Photo DR

Lundi 6 mars, 48 heures avant la Journée internationale des droits de la femme, l’amphithéâtre Leila Turqui de la Bibliothèque orientale a accueilli une table ronde intitulée « Architecture et urbanisme au Liban. Des pionnières ». Modérée par l’architecte et paysagiste Samar Makki Haidar, elle a réuni quatre bâtisseuses et pas des moindres : Simone Kosremelli, Nouha Ghosseini, Anastasia Elrouss et Sophie Akoury, qui a participé à la rencontre depuis Los Angeles via Zoom. « Revenir sur l’histoire de ces femmes et de leurs premiers pas dans une discipline longtemps réservée aux hommes » était l’objectif d’Alice Mogabgab Karam, organisatrice de l’évènement et directrice du Beirut Art Film Festival (BAFF). « Nous voulons nous tourner vers les forces constructrices et affirmer notre foi dans un avenir meilleur », a ajouté Mme Mogabgab, rappelant qu’Anahid Mouchian (épouse de Habib Raad) et Madeleine Simonian (mariée à Khalil Khoury), respectivement diplômées en 1955 et 1956 de l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA), sont les premières architectes libanaises. Elles seront suivies en 1967 par Vassiliki Laios (l’épouse de Assem Salam), première étudiante en architecture de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), qui a mené, en 1966, des pétitions pour que les filles soient admises à la School of Engineering and Architecture de l’AUB.

Simone Kosremelli. Photo Géraldine Bruneel

Pour Simone Kosremelli, la femme architecte n’a pas droit à l’erreur

Dans un article intitulé « Les 30 Libanais(ses) qui ont (dé)fait 2012 », l’ancien rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour Ziad Makhoul, connu pour ses coups de cœur ou de griffes, avait écrit : « Cette architecte est une grammairienne. Une sorcière aussi : elle a créé une symbiose, une fusion, entre le traditionnel et le contemporain, l’ancien et le nouveau, le passé, le présent et le futur… » Pour Simone Kosremelli l’architecture est « une passion ». Formée à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), elle parfait et complète ses études de doctorat à la Columbia University of New York. En 1979, de retour des États-Unis, elle travaille sur le plan de reconstruction de Beyrouth au sein de l’équipe de Pierre el-Khoury, Assaad Raad et Khalil Khouri, et exerce ensuite dans divers bureaux d’architecture en free-lance. Mais son besoin viscéral d’indépendance prend le dessus. Convaincue de ses capacités professionnelles, elle fonde sa propre agence le 22 novembre 1981. On dit d’ailleurs qu’elle a été la première femme architecte à avoir son propre bureau alors que la guerre battait son plein au Liban. En 1990, elle ouvre une antenne à Abou Dhabi et conçoit des villas dans les pays du Golfe. « L’agence de Beyrouth est toujours active après plus de quarante ans ! Parallèlement, j’ai enseigné le design à l’AUB. Celui-ci me permettait de transmettre ma passion aux jeunes architectes. J’ai même eu comme étudiant un père et quelques années plus tard son fils. L’enseignement, qui pourrait être ingrat, a toujours constitué pour moi une source de joie. » Elle raconte aussi qu’« en première année, nous étions six ou sept étudiantes dans une classe d’une vingtaine d’élèves ; au second semestre nous n’étions plus que deux. La Berezina pour les filles ! Bien sûr, l’architecte Vassiliki Laios, à qui je dois une fière chandelle, avait ouvert la voie deux ans auparavant, mais le chemin n’était pas évident. Pendant de nombreuses années (à l’AUB), la gent féminine formait 20 à 30 % de l’effectif de la classe. Aujourd’hui, elle en constitue presque 90 %. Cependant, une grande proportion ne pratiquant plus leur métier, ont disparu des radars ».

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Simone Kosremelli considère que le travail des femmes architectes n’est pas reconnu à la hauteur de celui des hommes architectes. « On me percevait comme une bâtisseuse de maisons individuelles », et ce en raison des résidences construites un peu partout au Liban, notamment plus d’une dizaine, réalisées à Faraya et Faqra, dont celle de Raymond Audi qui a été publiée à maintes reprises et a fait la couverture du magazine de référence Mimar en décembre 1991. « J’ai cependant réussi à me diversifier et à construire toutes sortes de projets. » Pour citer quelques exemples, le bloc D de la banque Audi et la restauration de l’immeuble Melrose, et presque toutes les agences de la First National Bank (FNB) au Liban. Sans oublier les municipalités conçues à Mtein et Marjeyoun, ou encore une école technique au Akkar et des boutiques-hôtels. Elle a également travaillé sur le plan directeur de Annaya dans le caza de Jbeil, et de celui de Deir el-Qamar au Chouf. Simone Kosremelli relate sa première visite de chantier : « le ferronnier de service avait fait des sous-entendus salaces auxquels j’ai répondu du tac au tac au grand étonnement de tous les ouvriers présents qui ont arrêté ferme de ricaner. » Rien ne pourrait ébranler sa volonté de suivre de près ses chantiers, « mais chaque fois que je m’y rendais, c’était un “challenge” car je devais m’imposer dans une ambiance hyper-macho. J’ai réussi à le faire en évitant les erreurs et en anticipant les modifications éventuelles pour que les prestations soient de qualité. C’est la condition sine qua non de gagner le respect. »

Nouha Ghossaini. Photo DR

Nouha Ghossaini préconise les comités de quartiers

Elle a accumulé les titres, les rôles et les responsabilités. Diplômée en architecture de l’Université libanaise, Nouha Ghossaini détient un doctorat en urbanisme et aménagement du territoire de l’université Paris-Sorbonne en 1989, et d’un diplôme en architecture d’espaces publics et espaces verts de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles. Elle enchaîne les responsabilités, à la tête de la planification des espaces verts et publics au sein de la société Solidere de 1994 à l’an 2000 ; en tant que membre du comité national de rédaction de la loi sur la décentralisation administrative entre 2012 et 2014 ; présidente du conseil de la municipalité de Baakline et de la fédération du conseil des municipalités du Chouf es-Souayjani de 2004 et 2016. Elle devient la première femme à être nommée doyenne de la faculté des beaux-arts et d’architecture de l’Université libanaise où elle enseigne depuis 1992.

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Outre ses deux « passions », l’enseignement et son bureau d’étude, un « lieu qui (lui) tient à cœur, une source de libération et une force créatrice de transmutation », son expérience de maire de Baakline et de présidente de la fédération des municipalités du Chouf Souayjani durant deux mandats (2004-2010 et 2010-2016) mérite que nous nous y intéressions, d’autant plus que ses actions se démarquent de celles d’un grand nombre d’acteurs municipaux. De son séjour en France qui a duré plus de neuf ans, Nouha Ghossaini a gardé « un intérêt profond pour la politique de la décentralisation et ses avancées au niveau du développement local ». Elle mène campagne par le biais de Baladi, Baldati, Baladiyati pour la mise en œuvre d’une politique de décentralisation et se présente aux élections municipales de Baakline au Chouf en 1998. « J’étais consciente que les opportunités sont limitées par un système communautaire et familial figé dans des normes sociales traditionnelles. D’ailleurs, la liste électorale était déjà établie par consensus avec les familles et les forces politiques », relate Nouha Ghossaini. « Il a fallu le support de Walid Joumblatt pour me faire accepter. D’où l’indispensable rôle que peuvent jouer les partis politiques. » Les résultats des élections de Baakline étaient motivants : Ghossaini a obtenu le meilleur score au scrutin, reflétant l’aspiration des habitants de Baakline pour le changement. « À cette époque, il n’y avait que six femmes maires sur 1 058 postes dans l’ensemble du pays. » Dès lors, la présidente Ghossaini s’engage alors dans plusieurs projets. À titre d’exemple, la préservation du patrimoine naturel de sa région. « En 2000, avec l’aide précieuse de l’Agence française de développement (AFD), nous avons entamé un projet de préservation de la couverture végétale et d’écotourisme sur une partie de la forêt de Baakline. » La même année, grâce à des amis franco-libanais, elle établit une coopération décentralisée entre la ville française de Lille métropole et la fédération des municipalités du Chouf Souayjani. « C’était l’une des premières coopérations décentralisées au Liban. Cela nous a permis de réhabiliter une décharge sauvage sur le territoire du Chouf. Ce projet constituait un de mes rêves et j’ai bien œuvré pour le réaliser », ajoute Mme Ghossaini. Elle marque également un point fort, en créant des comités de quartiers pour faire participer toute la population à la vie publique locale. « Ainsi, nous avons pu surmonter la crise des déchets qui a frappé le pays en juillet 2015, avec un minimum de dommages par rapport à la plupart des régions du Liban. » Et d’ajouter en substance que l’organisation de tels comités de quartiers pourrait constituer une solution parfaite pour Beyrouth et les différentes régions du Liban.

Anastasia Elrouss. Photo DR

Anastasia Elrouss taille ses diamants dans le désert

Diplômée de la faculté d’architecture de l’Université américaine de Beyrouth, où elle enseigne actuellement le design, Anastasia Elrouss a fait ses premiers pas à l’atelier d’architecture Samir Atallah & Partners en 2005 et 2006, puis chez Jean Nouvel à Paris en 2007 avant de prendre la direction de l’atelier YTAA (Youssef Tohme Architects and Associates) dont elle devient partenaire dès 2011. C’est dans ce cadre qu’elle contribue au réaménagement architectural et urbanistique de Brazza à Bordeaux, à la conception d’un îlot de 120 logements à Nantes et du musée MARe (Museum for Modern and Contemporary Art) à Bucarest, en Roumanie. Allant toujours de l’avant, elle fonde en 2017 sa propre agence, ANA-Anastasia Elrouss Architects, dont les projets avant-gardistes et fonctionnels raflent des récompenses : l’Iconic Award et le German Design Award; L’Architizer Award et les Design that Educates Awards. Particulièrement sensible à la cause des femmes dans la lutte contre la pauvreté, elle crée l’ONG Warch(ée) (chantier en français), qui vise à développer les compétences des femmes dans la pratique de la menuiserie et leur permettre d’acquérir une indépendance financière. Dans leur atelier à Jisr el-Wati, elles réalisent actuellement des meubles à partir du recyclage du bois, et de kits modulaires simples, conçus par l’ONG et testés dans les laboratoires techniques de l’Université américaine de Beyrouth. Un autre atelier sera ouvert prochainement à Tripoli.

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Riche d’un parcours architectural ininterrompu depuis bientôt 20 ans, Anastasia Elrouss dit ne pas rencontrer de difficultés particulières inhérentes à son métier. Elle a préféré exposer sa vision de l’architecture et du jeu créatif au sein d’un site et d’un environnement sensibles, en présentant son projet en cours de construction à Bahrein. « La première ambition était donc de créer un microclimat, qui donnera au site sa singularité et sa notoriété », souligne l’architecte. Pour ce faire, elle travaille autour de trois thèmes : l’eau, la lumière et l’ombre. D’où le titre du projet : « Une cathédrale d’eau entre ombre et lumière : un diamant dans le désert. » En substance, Anastasia Elrouss explique que les 7 000m2 du site se couvrent de toitures de hauteurs et d’inclinaisons variées, insufflant l’idée d’une brise et créant une canopée à l’ombre de laquelle se développent les bâtiments, les jardins et les circulations. On croit accéder à une oasis. Des failles traversent ces toitures – et là encore il y a une référence aux failles créées par le vent dans les reliefs désertiques – permettant de différencier les paysages, selon qu’ils soient à l’ombre ou en pleine lumière. « Elles transmettent de la légèreté à l’ensemble et ouvrent une dimension verticale dans un complexe bâti mais qui, vu de loin, peut sembler horizontal et bas (10 mètres maximum), offrant ainsi l’impression d’un mirage du désert. » Le projet abrite des restaurants, un bâtiment thermal, des centres de remise en forme et de sport, plusieurs piscines, dont une surplombant le site s’étire sur 250 mètres de long. Des fontaines et un système de brumisateurs sont également prévus dans les jardins pour permettre de créer un microclimat.

Sophie Akoury. Photo DR

Le prix Frank Gerry pour Sophie Akoury

Etudiante en architecture à la Southern California Institute of Architecture, la jeune Sophie Akoury a été primée pour son projet de fin d’études dans lequel elle effectue un parallélisme entre la rivière de Los Angeles et le fleuve de Beyrouth. Son intervention via Zoom a été difficile à suivre en raison de la déformation du son. Aussi, nous publions des extraits de l’interview accordée à Sara Sader, parue dans L’Orient-Le Jour le 1e décembre 2022 : « C’est en longeant quotidiennement la rivière de Los Angeles (LA) pour se rendre à son université que germe l’idée de Sophie Akoury, la rivière américaine lui rappelant le fleuve de Beyrouth. » « Je me demandais comment il y a à LA un espace urbain aussi similaire à celui de Beyrouth. » Petit à petit, l’image de la rivière, de son histoire et même des mythes qui y sont associés ne la quitte plus. Son projet, qu’elle intitule « 51 miles + 25 km = 13 feet (pieds en anglais) » – 51 miles étant la longueur de la rivière de LA, 25 km celle du fleuve de Beyrouth, et 13 pieds (un peu moins de 4 mètres) celle de son installation –, est accompagné d’une projection vidéo où elle recrée ces mythes et histoires à partir des années 1800.

Dr Samar Makki. Photo DR

« Il y a un plan aujourd’hui pour renouveler la rivière, et le projet de Frank Gehry qui propose de construire un musée et un parc pour la rivière de LA. Ce que j’ai voulu montrer dans mon projet, c’est qu’il n’y a pas de mauvais point de vue, car c’est un espace qui implique tant de récits différents en même temps. Cette rivière ne peut pas être vue comme un seul objet urbain. Elle est un ensemble d’environnements combinés », indique en guise de conclusion la jeune architecte libanaise.

Lundi 6 mars, 48 heures avant la Journée internationale des droits de la femme, l’amphithéâtre Leila Turqui de la Bibliothèque orientale a accueilli une table ronde intitulée « Architecture et urbanisme au Liban. Des pionnières ». Modérée par l’architecte et paysagiste Samar Makki Haidar, elle a réuni quatre bâtisseuses et pas des moindres : Simone Kosremelli, Nouha...

commentaires (1)

Je tiens à dire mon admiration pour beaucoup de femmes libanaises en générale, mais en particulier pour ces architectes tellement plus intéressantes que ces hommes de la classe politique cupides, lâches et vulgaires. Que de persévérance à assurer : mon espoir se base sur ces architectes intelligentes et impliquées dans le présent et sur les choses importantes.

Cartier Murielle

19 h 20, le 10 mars 2023

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Commentaires (1)

  • Je tiens à dire mon admiration pour beaucoup de femmes libanaises en générale, mais en particulier pour ces architectes tellement plus intéressantes que ces hommes de la classe politique cupides, lâches et vulgaires. Que de persévérance à assurer : mon espoir se base sur ces architectes intelligentes et impliquées dans le présent et sur les choses importantes.

    Cartier Murielle

    19 h 20, le 10 mars 2023

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