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Société - Interview

« Le séisme est un détecteur infaillible de la faiblesse d’un bâtiment »

Un point sur les facteurs de fragilité et de résistance aux séismes avec le Dr Wolfgang Jalil, président honoraire de l’Association française de génie parasismique (AFPS).

« Le séisme est un détecteur infaillible de la faiblesse d’un bâtiment »

La tour Murr en 1981, en pleine construction. L’expert la cite comme un bon exemple de construction parasismique. Photo d’archives L’OLJ

Le Dr Wolfgang Jalil, président honoraire de l’Association française de génie parasismique (AFPS), connaît bien la Turquie, où il a effectué une mission de reconnaissance après le séisme destructeur d’Izmit en 1999, et le Liban dont il est originaire. Il fait le point sur les constructions les plus fragiles et les plus résistantes aux séismes.

Quelles sont les failles qui ont bougé en Turquie, et qu’est-ce qui explique la magnitude de ce séisme et de la réplique la plus forte qui a suivi ?

La Turquie est située sur une des zones les plus actives du monde. C’est la faille d’Anatolie de l’est qui a bougé. Elle s’étend jusqu’à la mer Morte en Palestine. L’épicentre est situé au croisement de la plaque tectonique d’Anatolie et de la plaque arabique. Elle n’avait pas connu de telles secousses depuis plus de 200 ans. La première secousse de magnitude 7,8 était à Gaziantep, à une profondeur de 17,9 kilomètres. Elle a généré un déplacement de 3,5 mètres localement.

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Comment expliquez-vous l’immense destruction en Turquie ? Quelles leçons tirer pour ce pays mais également pour le Liban ?

La réponse des bâtiments aux secousses a été de deux sortes : il y a d’une part les bâtiments récents construits après le séisme d’Izmit en 1999, à l’occasion duquel j’avais effectué une mission de deux semaines sur le site, et qui ont respecté les normes parasismiques turques modernes et adaptées. Ces bâtiments ont été très peu endommagés ; et d’autre part, les bâtiments anciens ou construits après 1999 mais sans respect des normes, qui se sont effondrés en grande partie. En effet en Turquie, contrairement à la France et même au Liban depuis une quinzaine d’années, il n’y a pas de validation technique des constructions effectuée par des bureaux de contrôle.

Comment éviter que les grands séismes n’anéantissent les constructions et comment s’y préparer ?

Le séisme est un détecteur infaillible du point faible d’un bâtiment, par lequel il s’infiltre pour endommager la structure. Il faut d’abord détecter les points qui pourraient générer des faiblesses.

On peut citer plusieurs causes qui augmentent les risques d’effondrement : la qualité du sol est un facteur important, bien que le terrain soit en général imposé au constructeur. Ainsi, à niveau de séismicité égale, le sol rocheux est idéal en toute situation, les sols plus fragiles peuvent majorer l’accélération et donc les effets du séisme jusqu’à 80 % par rapport à un sol rocheux.


Amplification du signal sismique suivant la nature du sol : à gauche un bâtiment sur rocher, à droite un bâtiment sur sol meuble avec amplification des effets du séisme dans un rapport de 1 à 1,8

Intervient ensuite la typologie de la structure retenue par l’architecte, qu’il s’agisse de bâtiments à murs porteurs, bâtiments en portiques ou bâtiments en poteaux/poutres avec remplissage en maçonnerie de parpaings ou de briques. Cette dernière technique est malheureusement le plus souvent employée dans notre région, c’est le cas pour la Turquie, la Syrie et le Liban. Ce système de construction est responsable de plus de 70 % des effondrements de bâtiments dans le monde entier, selon le centre de recherches américain USGS (US Geological Survey).

Ce système constructif est très souvent choisi pour son faible coût, car il ne nécessite aucun engin particulier autre que des échafaudages usuels en bois, par opposition aux murs en béton armés, lesquels nécessitent des échafaudages métalliques avec une grue pour la manutention, d’où le coût plus élevé.

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Si le système constructif des poutres avec remplissage de maçonnerie conduit à des effondrements en série, c’est qu’il ne respecte pas les normes parasismiques, qu’elles soient américaines ou européennes. En particulier en raison du manque de ferraillage. D’autant plus que la maçonnerie est montée après la mise en place des poteaux, au lieu d’être réalisée avant les portiques en béton armé.

Par opposition au système poteaux/poutres avec remplissage de maçonnerie, on devrait privilégier une conception de structures à base de murs en béton armé. Il a été prouvé, dans les observations post-séismes en Amérique du Sud, que même si cette typologie est utilisée avec des manquements au niveau du ferraillage, les bâtiments ainsi construits résistent très bien aux secousses. On peut citer à Beyrouth le cas de la tour Murr à Kantari, qui est un bon exemple de construction résistante aux séismes.

La conception architecturale joue aussi un rôle important : par exemple, il faudrait éviter les cages d’escalier complètement excentrées, ce qui génère une torsion néfaste.

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Pour ma part, je mentionnerais d’autres éléments architecturaux à éviter, comme les cloisons, cheminées, faux-plafonds, etc. Des dispositions doivent être prises pour éviter leur chute et des accidents fatals qui en découleraient, même en cas de séisme de faible intensité. Pour limiter cette vulnérabilité, l’ajout ou le remplacement d’éléments non structuraux dans le bâtiment doit s’effectuer conformément aux prescriptions du code européen. Tous ces facteurs doivent être pris en compte par le bureau d’études qui réalise le projet.

Ensuite pour des bâtiments de grande hauteur, il y a au Liban obligation de faire valider les études et l’exécution par un organisme agréé en tant que contrôleur technique, de façon à respecter les normes antisismiques (soit la norme américaine, soit la norme européenne). 

Le Dr Wolfgang Jalil, président honoraire de l’Association française de génie parasismique (AFPS), connaît bien la Turquie, où il a effectué une mission de reconnaissance après le séisme destructeur d’Izmit en 1999, et le Liban dont il est originaire. Il fait le point sur les constructions les plus fragiles et les plus résistantes aux séismes.Quelles sont les failles qui ont bougé...

commentaires (3)

"Ce système constructif est très souvent choisi pour son faible coût, car il ne nécessite aucun engin particulier autre que des échafaudages usuels en bois, par opposition aux murs en béton armés, lesquels nécessitent des échafaudages métalliques avec une grue pour la manutention, d’où le coût plus élevé." Je crois que Wolfgang Abdel Jalil(il a dû enlever le 'Abd' en France!) veut ici parler de coffrages, et non d'échafaudages...De plus, rien n'empêche de construire des murs en béton armé en utilisant de simples coffrages en bois: je sais, puisque je l'ai déjà fait dans le temps...Bien sûr, cela prend plus de temps, mais le résultat est le même du point de vue structure du bàtiment.

Georges MELKI

10 h 46, le 07 mars 2023

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Commentaires (3)

  • "Ce système constructif est très souvent choisi pour son faible coût, car il ne nécessite aucun engin particulier autre que des échafaudages usuels en bois, par opposition aux murs en béton armés, lesquels nécessitent des échafaudages métalliques avec une grue pour la manutention, d’où le coût plus élevé." Je crois que Wolfgang Abdel Jalil(il a dû enlever le 'Abd' en France!) veut ici parler de coffrages, et non d'échafaudages...De plus, rien n'empêche de construire des murs en béton armé en utilisant de simples coffrages en bois: je sais, puisque je l'ai déjà fait dans le temps...Bien sûr, cela prend plus de temps, mais le résultat est le même du point de vue structure du bàtiment.

    Georges MELKI

    10 h 46, le 07 mars 2023

  • La tour El Murr, excellent exemple d'application des normes anti-sismiques, certes... mais peut-être aurions nous préféré une conception plus légère lui petmettant de s'écrouler sur les envahisseurs présents dans votre photo d'archive !

    Ca va mieux en le disant

    22 h 07, le 06 mars 2023

  • La tour Murr est archi surdimensionee

    Zampano

    17 h 44, le 06 mars 2023

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