
Julien (à droite sur la photo) et Ali (au centre) préparent les manakich sur le saj, en ce dimanche ensoleillé à Aïn Mreissé. Photo Antoine Gallenne
Un four traditionnel (saj), une multitude d’ingrédients essentiels à la conception de spécialités libanaises, des arômes envoûtants et une voiture qui diffuse de la musique, fenêtres ouvertes. Il est 10 heures et, comme chaque dimanche, Julien, Ali, Lamytta et Rancy installent sur la corniche de Aïn Mreissé de quoi vendre des plats dotés d’une particularité : leur prix dérisoire. « 1 500 livres la galette de kechek ? On n’est plus habitué à ça », s’exclame le jeune Tarek, casquette à l’envers sur la tête et sac en bandoulière à la main. Quelques minutes plus tard, il repart, le sourire aux lèvres et le ventre plein.
« Nous voulons tout simplement les aider »
Depuis le 19 février, la bande d’amis surnommée « Shou Ra’yak » (Qu’est-ce que t’en penses, en arabe), composée d’étudiants et de jeunes salariés fraîchement diplômés, a lancé cette initiative pour pallier la dégringolade de la livre libanaise qui a perdu 98 % de sa valeur depuis 2019. Financés par leurs économies, les galettes et manakich sont vendus au prix de 1 500 livres libanaises, l’équivalent d’un dollar avant la crise.
« Les prix des denrées alimentaires sont devenus beaucoup trop élevés pour les Libanais. Nous voulons tout simplement les aider », affirme Lamytta, étudiante en économie de 18 ans, lunettes de soleil sur la tête et pantalon en cuir. Pour cela, les passants peuvent se procurer des galettes de kechek, des manakich au zaatar (thym) ainsi que des jus de fruits.
Forcément, l’initiative attire de nombreux curieux. « Pas tous à la fois », lâche Julien qui s’applique à étaler le zaatar sur une mankouché au milieu d’une vingtaine de personnes. Joumana, 50 ans, s’y rend pour la seconde fois avec sa famille pour profiter de la mer et des snacks concoctés par la bande d’amis. « Ils font du super boulot ! C’est délicieux ! » souligne-t-elle, avant de lister les plats qu’elle ne peut plus manger suite à l’augmentation des prix. « J’aimais bien cuisiner des pâtes avec de la viande. Maintenant je n’en mets quasiment plus », regrette la quinquagénaire.
Aux yeux de Rancy, un des jeunes de la bande, il était essentiel de s’engager auprès des Libanais. « Se nourrir, c’est la base de tout. Nous sommes furieux de voir l’état dans lequel se trouve le pays », déplore le jeune homme à la chemise grise.
Une initiative qui en amène une autre
Cette démarche a donné des idées à Steve, coiffeur à Beyrouth, qui a également installé son stand. Au milieu des ciseaux et des tondeuses, une affiche indique : « 5 500 livres pour une coupe. » En quelques minutes, le premier client est déjà installé.
« C’est la première fois que je me fais couper les cheveux en plein air ! » lâche Élie en riant. Sa femme, Chantal, est aussi présente. Le couple tient un magasin de prêt-à-porter dans la capitale. « La situation économique de notre boutique est très compliquée. Ce type d’initiative nous permet de respirer un peu », souffle la gérante qui se définit avec son mari comme des « survivors » (survivants).
Suivant l’exemple des jeunes, Steve le coiffeur s’est installé sur la corniche pour des coupes de cheveux à 5 500LL : il a su convaincre Elie. Photo Antoine Gallenne
Il est désormais 13 heures, et au stand des amis, le stock d’ingrédients a fondu à vue d’œil. Au total, plus de 300 manakich ont été vendues. « C’est une réussite ! » rapporte Ali, satisfait du résultat. Ils reviendront la semaine prochaine à la même heure. La bande d’amis voit même encore plus loin : « Nous avons le projet d’aller partout dans le pays pour aider tous les Libanais. »
Nos jeunes ...notre seul espoir
17 h 24, le 06 mars 2023