Hommages

Notre correspondant

Avec ses yeux bleus et sa barbe blanche qui le faisait ressembler à Socrate, Lucien George était une figure incontournable du paysage culturel libanais. Sans revendiquer le titre d'intellectuel – sa modestie l'en empêchait –, il aura joué un rôle éminent en servant le Liban, le journalisme, la francophonie et l'édition.

J'ai connu Lucien à l'occasion de la préparation du catalogue d'une des premières éditions du Salon du livre francophone de Beyrouth dont il avait la charge : il m'avait alors demandé de participer à l'aventure, j'avais accepté sans hésiter. Lui qui avait été le rédacteur en chef du quotidien L'Orient avant sa fusion avec Le Jour, avait connu une audience internationale en devenant le correspondant du Monde, mission dont il s'était acquitté avec brio pendant trente ans en maintenant une grande objectivité en temps de guerre comme en temps de paix… Fondateur des Fiches du Monde Arabe (FMA), il avait eu la bonne idée de lancer des coéditions avec les plus grands éditeurs français, ce qui lui avait permis de rééditer à Beyrouth, à des prix abordables, les livres de plusieurs auteurs de renom comme Jean Lacouture, Jean d'Ormesson, Amin Maalouf, Kenizé Mourad ou Robert Solé, ce qui ne l'avait pas empêché de publier aussi des ouvrages « locaux » comme La Paix manquée de Karim Pakradouni ou ma pièce de théâtre Le Crapaud. Ce faisant, il avait contribué à diffuser la francophonie et la littérature dans les foyers, tant et si bien que chaque Libanais, ou presque, possède aujourd'hui dans sa bibliothèque au moins un ouvrage édité par ses soins…

À l'occasion du Salon « Livres du Sud » qui, en avril 1996 à Villeneuve-sur-Lot, avait mis le Liban à l'honneur, nous avions décidé avec d'autres journalistes et écrivains, dont notre amie commune Josyane Savigneau, de lancer le Prix Phénix de littérature destiné à récompenser chaque année un auteur libanais francophone ou un auteur français ayant écrit sur le Liban. Membre du jury, Lucien était resté fidèle à ce prix et participait volontiers à ses cérémonies, n'hésitant pas à défendre son choix auprès des médias.

Ayant lancé l'édition Proche-Orient du Monde, il avait déployé beaucoup d'efforts pour la faire rayonner dans la région. Le succès avait été au rendez-vous, mais la crise économique et le recul des rentrées publicitaires l'avaient finalement dissuadé de poursuivre son projet.

Lucien aimait recevoir chez lui, dans son ancienne et belle demeure, journalistes, universitaires et intellectuels, notamment Ghassan Tuéni et Samir Frangié, et la soirée s'achevait souvent autour du piano, dans la bonne humeur…

Comme avocat, j'ai eu l'honneur de défendre ses droits, et l'accueillir dans mon étude me procurait un grand plaisir, tant ses propos étaient intéressants et ses histoires passionnantes. Discret de nature, il préférait l'ombre à la lumière, bien qu'il fût détenteur de la Légion d'honneur et lauréat de l'Académie française, et rechignait à écrire ses mémoires comme l'y invitait l'éditeur Jean-Claude Simoën. Que de fois l'a-t-on relancé à L'Orient littéraire pour un « point de vue » qu'il nous promettait sans conviction ? Pourquoi tergiversait-il ? Avait-il tout dit ? Était-il trop humble ou trop exigeant vis-à-vis de lui-même ? Était-ce par indolence ? Je ne saurais le dire. Ce que je sais, c'est que ce briscard aux grandes qualités de cœur et d'esprit a bien rempli sa vie, et qu'il est parti dans la sérénité avec la satisfaction du devoir accompli. S'il existe des correspondants au ciel comme sur terre, j'aimerais demander à Dieu de nommer Lucien afin qu'il ne cesse jamais de nous donner de ses nouvelles !


Avec ses yeux bleus et sa barbe blanche qui le faisait ressembler à Socrate, Lucien George était une figure incontournable du paysage culturel libanais. Sans revendiquer le titre d'intellectuel – sa modestie l'en empêchait –, il aura joué un rôle éminent en servant le Liban, le journalisme, la francophonie et l'édition.J'ai connu Lucien à l'occasion de la préparation du...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut