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Culture - Ce soir et demain à Beyrouth

Lily Abichahine et son long voyage en mer avec turbulences (de l’âme)

L’artiste pluridisciplinaire présente « Our Sea : Secrets of the Infinite Sea », ce soir mercredi 22 février en arabe et demain jeudi 23 février en anglais, à 20h30, au Mina Image Center. Une conférence-performance qui interpelle tous les sens.

Lily Abichahine et son long voyage en mer avec turbulences (de l’âme)

Lily Abichahine sonde la mer Méditerranée dans sa conférence-performance « Our Sea : Secrets of the Infinite Sea ». Photo Souraya Hammoud

L’artiste pluridisciplinaire Lily Abichahine présente ce soir et demain, au Mina Image Center, une conférenc-performance intitulée « Our Sea : Secrets of the Infinite Sea », où elle emmène l’assistance dans un périple sensoriel unique sur les ailes des mots en remontant les aiguilles d’une montre pour sonder le passé. Viens, dit l’oreille à l’œil, je vais t’accompagner sur les rives de la Méditerranée où Lily Abichahine a grandi. Et le spectateur devient tout d’un coup un homme universel chargé des stigmates de la lointaine histoire.

Voyage sensoriel…
Dans le noir de la salle, Lily Abichahine entame sa conférence-performance composée de quatre chapitres : « Sur les voyages », « Sur les croyances occultes », « Sur la lecture du foie », « Sur les écritures ». Elle raconte assise sur une chaise. Devant elle, une table, derrière elle, un grand écran où défilent des images mouvantes qui évoquent, comme les mots, la mer. D’abord semblable à l’utérus de la femme, elle devient au fil des mots rageuse, en colère. Elle a connu tellement de drames au fil du temps. Elle a englouti tellement d’embarcations et avalé tellement d’hommes. C’est la Mare Nostrum, la Méditerranée, la mer la plus intranquille et la plus criminelle du monde.

Lily, qui a grandi sur les rives de cette mer, la connaît bien, et elle cherche volontiers à suivre les ondulations de ses vagues et le vacarme de ses profondeurs.

L’artiste interroge ses propres peurs qui croisent la catastrophe des flux migratoires en Méditerranée de l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine. Où commence le réel et où s’arrête-t-il, laissant la place à la fiction qui prend parfois le dessus et s’enchevêtre avec la réalité ? « Je travaille par intuition, par morceaux, comme un patchwork, indique Abichahine. Parfois, je filme avant d’écrire et, d’autres fois, le contraire. » Si le public s’imagine, en écoutant le début du texte, que ça parle de voyage et de la peur de l’avion, il ne va pas tarder à opérer un plongeon dans ce bassin immense qu’était la Méditerranée au temps des Romains, comme un grand plongeon dans l’histoire de l’humanité.

Lily Abichahine sonde la mer Méditerranée dans sa conférence-performance « Our Sea : Secrets of the Infinite Sea ». Photo Souraya Hammoud

La Mare Nostrum, ce bassin unifiant
Lily Abichahine est avocate de formation. Elle fait des études de droit à l’Université Saint-Joseph (USJ) de 2003 à 2007 et pratique autant au Liban qu’en France. À 30 ans, elle bifurque vers l’art et effectue des études à Paris dans ce domaine pendant cinq ans. Elle se pose finalement en 2018 au Liban. « J’ai choisi ce pays car, quand on est artiste, on est témoin ; je veux vivre son histoire à partir d’ici. Ensuite, parce que ce bassin est important pour moi. C’est toute la réalité méditerranéenne que je touche. Le théâtre que j’exerce aujourd’hui est la lecture performée que j’ai héritée de mon mentor Rabih Mroué. »

Suite à des résidences organisées dans plusieurs villes méditerranéennes, le projet « Mare Nostrum » (« Notre Mer ») voit le jour. « Choreography for a Woman and a Stone » est le premier chapitre d’une série d’explorations qui se sont déroulées entre les villes de Palerme et de Beyrouth en 2021. L’artiste a exploré le mythe de Sisyphe, mettant en perspective les villes détruites par les tremblements de terre en Italie et la double explosion du 4 août à Beyrouth. « Je voyais dans Sisyphe l’éternel recommencement de la malédiction de Beyrouth. Palerme avec ses destructions rappelle aussi ce mythe. Comment des paysages d’immeubles détruits pouvaient nous impacter... »

Dans ce second chapitre, intitulé « Secrets of the Infinite Sea », et après deux résidences à Izmir et Marseille en 2022, l’artiste s’attaque au mythe de Prométhée. L’homme qui, d’une part, avait la gloire parce qu’il a maîtrisé le feu et qui, d’autre part, était torturé par un vautour qui dévorait son foie qui se régénérait chaque jour. « Je m’intéresse à la fragilité des héros, non à leur force, indique l’artiste. J’ai donc travaillé sur de vrais foies que j’ai posés sur les rochers d’Izmir et de Marseille. Ce qui m’emmena à parler du mythe fondateur de Marseille avec Gyptis et Protis. »

Dans son travail, Abichahine contemple les réalités mythiques de ces villes tout en traçant une connexion entre ces villes reliées dans le temps par des liens invisibles. Elle se réfère à ces mythes fondateurs pour les réinterpréter sur scène. « Quand j’ai commencé ce projet, le but était de défricher ces liens et les ponts entre ces villes, et aller au-delà des divisions et termes contemporains simplistes, comme Schengen, frontières, Global South, Europe, ou encore les visas qui éloignent les hommes les uns des autres. On rappelle ainsi aux gens que ce bassin, sous l’Empire romain, était un lac gouverné par la loi romaine unique et qu’on avait quelque chose d’unifiant qu’on a perdu. » Par ses projets, l’artiste voyage entre ces villes méditerranéennes, sonde leur passé et essaye de travailler sur leur futur. « L’image joue un rôle très important pour moi. La vidéo m’aide à dépasser le mot pour ne pas être forcément exacte mais toucher une dimension seconde, alternative. » L’artiste suggère, réécrit l’histoire en zigzag avec son propre style et en musique – « j’aime les petits bruits qui créent une atmosphère entre l’inquiétant et l’étrange ». Elle n’est pas là pour faire une lecture sur une étude scientifique, mais elle utilise des données vraies pour les raconter d’une autre manière.

Pour Lily Abichahine, « l’art ne rassure pas, il crée le doute et perturbe. C’est la science qui rassure ». Avec ce medium qui semble simple, l’artiste réinvente le monde. « Cette envie de changer le monde m’a fait abandonner le droit établi sur des faits rigides et techniques. Dans l’art, je vais à quelque chose de plus ancien et de plus matriciel. Si, aujourd’hui, je viens du Liban, un pays avec des limites géographiques, je réalise que je viens de plus loin : de l’Empire ottoman, romain ou plus loin encore. »

Devant cette mère mer un peu amère, attendez-vous à être troublés.

L’artiste pluridisciplinaire Lily Abichahine présente ce soir et demain, au Mina Image Center, une conférenc-performance intitulée « Our Sea : Secrets of the Infinite Sea », où elle emmène l’assistance dans un périple sensoriel unique sur les ailes des mots en remontant les aiguilles d’une montre pour sonder le passé. Viens, dit l’oreille à l’œil, je vais...

commentaires (1)

C'est triste de constater que le Liban s'anglicanise...Même les pancartes revendicatives sont écrites en arabe et en anglais... Et pourtant c'est toujours ""France, au secours""....Pour l'intérêt que les anglo-saxons portent au pays!!!

Lilou BOISSÉ

13 h 49, le 22 février 2023

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Commentaires (1)

  • C'est triste de constater que le Liban s'anglicanise...Même les pancartes revendicatives sont écrites en arabe et en anglais... Et pourtant c'est toujours ""France, au secours""....Pour l'intérêt que les anglo-saxons portent au pays!!!

    Lilou BOISSÉ

    13 h 49, le 22 février 2023

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