Critiques littéraires

Quand le passé faisait sens

Hommage subtil à ses grands-parents, Marc Lambron ressuscite dans un court texte d’une grande densité ces mille et une petites choses qui faisaient que chacun trouvait naturellement sa place dans le monde d’avant.

Quand le passé faisait sens

© Jean-François Paga

Le Monde d’avant de Marc Lambron, Grasset, 2023, 96 p.

Une petite commune située dans le département de la Nievre en région Bourgogne-Franche-Comté, des usines et des hauts fourneaux de métallurgie qui se sont tus, une atmosphère campagnarde, un air de cambrouse que l’on peut humer en « quelques coups de pédales qui portent assez vite le cycliste vers les ombrages des futaies et les saulaies du fleuve ».

Ce paysage si français, perdu entre son passé industriel et sa nature accorte, c’est le lieu d’enfance de Marc Lambron. Là, à Imphy, il a vu tout au long des longues vacances, son grand-père Pierre faire le jardin et sa grand-mère Léonie entonner des chansons de Berthe Sylva. Comme tout gosse des années 60, le gamin joue aux petits soldats à même la terre transformée en jungle et se repait indéfiniment des photos de Paris Match. Ce peut être des clichés d’astronomes en apesanteur comme des décolletés pigeonnants de Mylène Demongeot. Vu d’un petit village de France, à cet âge-là, comme l’histoire est ouateuse.

Surtout, à Imphy, il y a les habitants. Toute petite ville est un théâtre. Et le petit Marc qui, en même temps qu’il s’empare des livres dans la bibliothèque pour les dévorer – eux « qui abritent tous les secrets du monde » – apprend à regarder les gens. Il se souvient de chacun. Des histoires qu’on lui a racontées et de celles qu’il a vécues C’est la sœur Francine « soumise au droit de cuissage du fermier qui l’emploie », c’est la petite Monique, morte à quinze mois d’une toxicose, « le choléra enfantin » et qu’on allait prier à l’église ; ce sont des histoires de fierté ouvrière et des actes de résistance durant la guerre quand « Pierre qui était des leurs dissimulait à son épouse la nature de ces sorties nocturnes en arguant qu’il allait faire des heures supplémentaires à l’usine » ; c’est une dame qu’on avait surnommée le « cul noir » parce qu’elle s’était compromise avec l’occupant. Tout ce petit monde, c’est un village français.

Le petit Marc a eu le temps de connaître le père Diot, vendeur de journaux à la criée dont on disait qu’il battait sa femme le samedi soir ; il se souvient de Jean Mathé, « un garçon qui tuait le temps déguisé en explorateur », et d’autres personnages homériques comme le Russe Scherbakoff, le jardinier d’Imphy, peintre de natures, respecté par tout le village pour son talent ou encore de « la Vava », qui avait conçu vingt-trois enfants avec son époux le Charlot, un mari qui ne travailla jamais de sa vie. « Comme dans une comédie marseillaise ou un film italien, Imphy proposait une galerie de personnages pittoresques, farfelus, aptes à solliciter l’imagination des enfants, de ceux que l’on appelle les originaux. »

Le beau récit de Marc Lambron court les souvenirs à sauts de puce. Des mots de patois lui reviennent et des coutumes anciennes. Des peurs aussi, comme « la légende des dames blanches que l’on disait apparaître la nuit tombante à l’orée de forêts ». Puis les années passent et les êtres s’en vont. Marc remarque qu’au détour des années 70, le linoleum envahit l’espace et qu’on le colle à même le vieux bois épais. C’est ça la modernité. Elle recouvre tout.

Dans ce temps qu’il observe et cet espace qu’il chérit, Marc Lambron respecte infiniment les êtres et les choses. Face à eux, il peut dire qu’il est de quelque part. D’Imphy, près de Nevers. Et c’est une grâce. « J’écris ici comme un passant des jardins, habité par le scrupule de ne pas désobliger le passé des autres, celui aussi de ne pas m’approprier le récit de leur vaillance », dit-il, et ce faisant, à sa manière, pudique et précise, rend un hommage à ceux de la terre. On pense aux Vies minuscules de Pierre Michon et à la poésie d’un Vialatte.

Le Monde d’avant est un hommage aux gens simples, une ode aux anonymes qui ont fait dans leur temps le siècle. C’est un chant égrené non dépourvu de poésie qui redonne vie à des lieux, qui recrée des humeurs, qui raconte ce qui était dit ou rappelle ce qui était proscrit ou permis, se souvient des jours anciens, de la jeunesse.

Le Monde d’avant de Marc Lambron, Grasset, 2023, 96 p.Une petite commune située dans le département de la Nievre en région Bourgogne-Franche-Comté, des usines et des hauts fourneaux de métallurgie qui se sont tus, une atmosphère campagnarde, un air de cambrouse que l’on peut humer en « quelques coups de pédales qui portent assez vite le cycliste vers les ombrages des futaies et...

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