Créée pendant la guerre civile sur une ancienne carrière romaine à quelques pas du fameux temple de Baalbeck dans la Békaa, la décharge sauvage de Kayyal a été officiellement fermée le 24 janvier, après une intervention du mohafez de Baalbeck-Hermel, Bachir Khodr.
La fermeture forcée des lieux, décriés pour les effets néfastes sur la santé des habitants et sur l'environnement, a été exécutée en présence de M. Khodr qui était accompagné de militaires encagoulés et d’agents de sécurité. Il n'en fallait pas moins pour affronter le gérant de la décharge, Wissam Jaafar, un membre du clan Jaafar, l'une des familles les plus influentes de la région. Une situation ubuesque qui en dit long sur le délitement de l'État et qui rouvre le dossier de la gestion chaotique des déchets ménagers dans le pays.
Maintes fois fermée temporairement au fil des années, la décharge de Kayyal continuait de fonctionner malgré l'aménagement, à Baalbeck, de deux décharges construites en 2021 dans les normes, ainsi que d'une usine de traitement des déchets inaugurée en 2020. Cette décharge est non seulement totalement sauvage, mais elle est en outre située sur un site archéologique, une carrière romaine d'où ont été extraites des pierres utilisées pour l'exécution de certaines statues du temple de Baalbeck.
Pendant des années, les ordures qui y ont été transférées ont été recouvertes de sable ou brûlées à l'air libre, sans aucune forme de tri préalable. Dans des lettres adressées en 2019 et en 2022 à la municipalité de Baalbeck pour réclamer la fermeture imminente de la décharge, le mohafez dénonçait « la fumée et les odeurs qui affectent la santé des habitants et que l'on peut sentir jusqu'aux alentours du temple ». Il mentionne également la présence de « quelques pièces archéologiques romaines à l’emplacement de la décharge qui seront examinées et prises en charge ». « J’ai ordonné plus d’une fois la fermeture de ce site. Mais certains en tirent profit et s’opposent à cette décision », indique Bachir Khodr à L'Orient-Le Jour, sans donner plus de détails. « Nous avons été obligés de recourir à l’armée pour fermer cette décharge. La municipalité ne répondait pas à nos demandes, alors que les habitants de la région s'en plaignaient tout le temps », ajoute-t-il.
Transformée en jardin
« La décharge de Kayyal a été définitivement fermée », assure pour sa part le vice-président de la municipalité de Baalbeck, Moustapha Chall. Il précise que l'endroit « a toujours été une décharge sauvage ». « Elle a été utile jusqu'à la création, en 2020, de l'usine de tri, puis des deux décharges contrôlées de la région. Aujourd'hui, elle ne sert plus à grand chose », ajoute-t-il.
Selon lui, les décharges autorisées ont la capacité de travailler pendant les dix prochaines années. L'usine de tri, elle, peut gérer jusqu’à 150 tonnes d'ordures par jour. Pour expliquer le maintien de ce dépotoir sauvage malgré les avertissements des autorités, M. Chall évoque « des personnes qui bénéficiaient du terrain et se faisaient rémunérer par les municipalités de la région pour y enfouir leurs ordures », refusant de nommer quiconque.
L'OLJ a contacté le gérant de la charge Kayyal, Wissam Jaafar, à un numéro qui lui a été fourni par notre correspondante dans la région Sarah Abdallah. À l'autre bout du fil, un homme qui prétend n'avoir rien à faire avec cette affaire... Une source proche du dossier indique pour sa part que le gérant du site est craint par certains habitants de la région. La municipalité essayerait également de ne pas entrer en confrontation avec lui, selon cette source qui a requis l'anonymat.
Si cette décharge a été fermée pour l'heure, la question de la gestion des déchets ménagers n'est pas réglée pour autant. « La région de Baalbeck-Hermel compte des dizaines de dépotoirs sauvages. À cause de la crise, de nombreuses municipalités n’ont plus les moyens de faire acheminer leurs déchets jusqu'à l'usine de tri et recourent donc à ces décharges illégales », indique Bachir Khodr. Il appelle par ailleurs à « une meilleure gestion et davantage d'investissements dans ce domaine ». Quant à la décharge de Kayyal, elle pourrait être réaménagée en jardin, selon Moustapha Chall. « Une société italienne avait proposé de réhabiliter les lieux et d'y planter des arbres », révèle-t-il. La possibilité de mener des fouilles archéologiques sur les lieux n'a pas encore été abordée sérieusement.
Moi, je vois un avantage à ce dépotoir immonde... il protège nos trésors archéologiques des contrebandiers pour quelques siècles encore. Merci les mafieux de la poubelle !
08 h 44, le 02 février 2023