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Propriété foncière des nationaux et pluralisme au Liban

Propriété foncière des nationaux et pluralisme au Liban

La loi libanaise limite le droit d’appropriation foncière par des étrangers. Photo J.R.B.

Le problème de la vente des terres dans des sociétés pluralistes, surtout dans une situation de petite dimension géographique comme au Liban, exige la vigilance à propos de transferts fonciers dont le but occulté est la transformation du tissu social pluraliste et l’hégémonie sectaire.

L’association Harakat al-ard au Liban a recensé des faits cumulés d’appropriations ciblées en faveur d’une communauté, notamment le long du secteur de la rue de Damas (an-Nahar, 13/1/2022). Le président de la municipalité de Hadeth avait manifesté une forte opposition à l’encontre de l’appropriation dans un but plus politique que foncier (Ghassan Hajjar, an-Nahar, 25/6/2019). Checri Bertou Khoury avait longuement alerté sur le problème (Ne gaspillez pas la terre du Liban, Beyrouth, 1964, 48 p.). Dernièrement, six députés de Beyrouth I ont alerté l’opinion sur l’appropriation d’un bien-fonds à la place Sassine sous le titre : « Achrafieh n’est pas à vendre » (an-Nahar, 24/12/2022).

La loi libanaise n° 11 614 du 4/1/1969, amendée en 1973, limite le droit d’appropriation foncière par des étrangers. Mais il s’agit aussi dans la situation au Liban de l’appropriation par des nationaux dans un but, non pas exclusivement foncier, mais d’hégémonie sectaire.

Le préambule de la Constitution libanaise souligne : « Le territoire libanais est un territoire un pour tous les Libanais. Tout Libanais a le droit de résider sur n’importe quelle partie de celui-ci et d’en jouir sous la protection de la souveraineté de la loi. Il n’est point de discrimination entre la population fondée sur une quelconque allégeance, ni de division, ou de partition, ou d’implantation. » Le droit de propriété foncière peut être exploité à la manière sioniste en Palestine, dans un but politique d’hégémonie ou de spéculations foncières, ce qui contraint la population locale à déserter des régions où elle se trouvait historiquement implantée.

La Cour européenne des droits de l’homme a dû se pencher sur le problème de l’appropriation des terres, notamment dans le recours Guillow c. Royaume-Uni n° 80/9063 du 24/11/1986 où le requérant a soulevé le problème de l’autonomie de Guernesey et l’exigence de protection de la propriété foncière dans l’île en faveur des habitants indigènes. La Cour européenne a reconnu la légitimité de cette mesure sans que cela implique une stricte application dans le cas considéré du fait que l’autorité locale n’a pas pris possession du bien-fonds acquis par l’acheteur en charge de l’aménagement des jardins de l’île.

Hollande, Danemark, Finlande…

Il faudra se pencher sur le droit de propriété foncière dans des pays à petite superficie et à structure multicommunautaire en comparaison avec le cas libanais. Peter Kovacs envisage la possibilité d’imposer des restrictions à l’appropriation foncière dans des sociétés plurielles, surtout en Hollande, au Danemark, en Finlande, en vue de la protection de leur tissu social. Le problème a été soulevé avec acuité à plusieurs reprises. En référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Pierre Kovacs écrit : « Il est à remarquer cependant – même si la Cour n’en faisait pas trop de souci – que plusieurs îles européennes connaissent la restriction des possibilités d’acquisition de propriétés immobilières aux habitants traditionnels (en fait autochtones) de l’île donnée (les îles frisonnes des Pays-Bas, les Féroé du Danemark, les Aland de Finlande (en ce temps-là non encore membre du Conseil de l’Europe), etc. La raison d’être de ces régimes de restrictions d’acquisition de propriété, liés en général à une “citoyenneté territoriale” était le souci d’empêcher que les “non-autochtones” arrivent en masse en altérant la configuration ethnique, linguistique ou purement locale et en poussant les autochtones moins fortunés vers l’émigration, faute d’immeubles économiquement accessibles pour eux sur place. Cette politique – in abstracto – n’était donc pas critiquée par la Cour » (Pierre Kovacs, La protection des minorités dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ap. Laszlo Trocsanyi et Laureline Congnard, dir., « Statut et protection des minorités : Exemples en Europe occidentale et centrale ainsi que dans les pays méditerranéens », Bruxelles, Bruylant, 2009, 254 p., pp. 49-81, p. 53).

L’enjeu des terres en Afrique du Sud

En Afrique du Sud, depuis la première réforme de 1994, la redistribution des terres aux Noirs qui en avaient été expropriés se heurte aux problèmes de corruption et à l’opposition des chefs traditionnels. L’objectif de la première réforme de 1994 était de redistribuer, sur la base du volontariat, 30 % des terres agricoles détenues par les Blancs aux Noirs, soit environ 24,5 millions d’hectares. La réforme de la propriété de 1994 avait prévu deux systèmes : la redistribution des terres aux Noirs qui pouvaient prouver que celles-ci avaient été confisquées et, dans le cas contraire, une redistribution des terres possédées par des Blancs avec, pour ces derniers, une compensation financière.

Le journal Le Monde, dans un dossier de quatre pages sur la situation, rapporte des propos de Blancs : « Nous sommes une espèce en voie de disparition. » Le Monde relève : « L’Afrique du Sud réalise que cette question est au centre du renouvellement de son contrat national. Il est évident que cette réforme est indispensable, parce que c’est notre âme qui doit être réparée en retrouvant les terres arrachées à nos parents », affirme Ithateng Mokgoro, architecte (Le Monde, 20-21/1/2019, pp. 14-17).

Autre volet du problème : le transfert massif de résidence au Liban pour un enjeu électoral, ce qui constitue un « gerrymandering communautaire ». Or l’art. 40 du régime du statut personnel du 7/12/1951 le prévient en exigeant une enquête sur les mobiles du changement et la reconnaissance du droit de refuser le transfert pour des « exigences justificatrices » (dârurât mûjiba li-zâlik).

Alerter sur la gravité du problème ne justifie pas cependant sa dramatisation. En perspective d’anthropologie culturelle, les Libanais ont atteint un niveau d’intégration sans équivalent dans le monde. Leur multiappartenance (« overlapping memberships ») dans les problèmes vitaux quotidiens l’emporte sur toutes les démarcations. Mais ils manquent de culture d’autonomie face à la mobilisation politique conflictuelle. Sans État souverain détenteur de ses attributs régaliens, toute appréhension est cependant justifiée.

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

La loi libanaise limite le droit d’appropriation foncière par des étrangers. Photo J.R.B.

Le problème de la vente des terres dans des sociétés pluralistes, surtout dans une situation de petite dimension géographique comme au Liban, exige la vigilance à propos de transferts fonciers dont le but occulté est la transformation du tissu social pluraliste et l’hégémonie sectaire.L’association Harakat al-ard au Liban a recensé des faits cumulés d’appropriations ciblées en...

commentaires (3)

Tres instructif ! Merci Mr Messara!

Madi- Skaff josyan

12 h 07, le 01 février 2023

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Commentaires (3)

  • Tres instructif ! Merci Mr Messara!

    Madi- Skaff josyan

    12 h 07, le 01 février 2023

  • """L’enjeu des terres en Afrique du Sud""". Que vient faire le cas de l’Afrique du Sud dans le cas libanais ? Pour la bonne lecture, il suffit de le lire : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/18/afrique-du-sud-terres-blanches-espoirs-noirs_5411031_3210.html?random=530401515

    Nabil

    01 h 12, le 01 février 2023

  • Voilà de quoi rester éveillé très tard pour lire ceci : ""LES LIBANAIS ONT ATTEINT UN NIVEAU D’INTÉGRATION SANS ÉQUIVALENT DANS LE MONDE. LEUR MULTIAPPARTENANCE (« OVERLAPPING MEMBERSHIPS ») DANS LES PROBLÈMES VITAUX QUOTIDIENS L’EMPORTE SUR TOUTES LES DÉMARCATIONS"". N’est-ce pas mettre la poussière sous le tapis en s’obstinant dans son déni de la réalité de la guerre civile depuis bien avant 1975. Les lignes de démarcation sautent aux yeux, mais il est trop tard pour dire que le niveau d’intégration est parfait, mais à l’intérieur de SA zone, où chacun est chez lui. Les exemples cités dans la contribution valent plusieurs polémiques. On oublie à dessein de se rappeler qu'une guerre est passée par là et les traces sont indélébiles, rien que pour justifier le fait accompli, où l’extension, l’expansion démographique d’une communauté se fait au détriment d’une autre.

    Nabil

    01 h 07, le 01 février 2023

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