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Économie - Réformes

Les attentes du FMI sur la fiscalité libanaise sont-elles réalistes ?

Les recommandations formulées par l’organisation dans un récent rapport ne mettent pas tout le monde d’accord.

Les attentes du FMI sur la fiscalité libanaise sont-elles réalistes ?

Le bâtiment de la direction générale de la TVA, à Beyrouth. Photo P.H.B.

C’est l’histoire d’un rapport finalisé en novembre et rendu public en janvier, parallèlement au vote, à l’entrée en vigueur et à la mise en application du budget de l’État libanais pour 2022. Intitulé « Put Tax Policy Back on Track » et accessible via le site du Fonds monétaire international, il détaille, sur environ 80 pages, les recommandations des experts de l’organisation sur la direction que devrait prendre le Liban en matière de fiscalité.

En d’autres termes, le FMI explique comment le pays, en crise profonde depuis 2019, devrait modifier la façon dont il fixe et collecte ses impôts et taxes de manière à suffisamment augmenter ses recettes pour garantir que ses institutions puissent fonctionner normalement, mais sans trop alourdir les impôts, taxes et redevances, afin de ne pas condamner toute perspective de croissance.

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Le rapport part du constat suivant : les recettes fiscales ont été divisées par deux entre 2019 et 2021 et le Liban a perdu beaucoup d’argent en n’ajustant pas le taux de change employé dans le calcul des prélèvements obligatoires à la réalité du marché. Il prévoit en conséquence des salves de mesures correctives à mettre en place immédiatement et d’autres à imposer à moyen et court termes.

Aussi brutales soient-elles pour les contribuables, les mesures du budget de 2022 entré en vigueur avec 10 mois et demi de retard restent plus douces que les ajustements préconisés par le Fonds, qui appelle notamment à employer le taux du marché (plus de 61 000 livres libanaises pour un dollar hier) ou, a minima, celui de Sayrafa, la plateforme de change de la Banque du Liban (38 000 LL hier), pour calculer la TVA, entre autres exemples. Avant le 15 novembre, tous les impôts étaient en effet toujours calculés sur base de l’ancienne parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar, entrée en désuétude dès le début de la crise.

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L’ajustement du taux de change employé pour calculer les impôts et taxes n’est que l’une des recommandations de l’organisation, qui doit être couplée avec toute une batterie d’ajustements visant les prélèvements obligatoires existants ainsi que les exemptions prévues par la loi libanaise.

Ces propositions ne font toutefois pas l’unanimité et même les voix qui y sont favorables remarquent qu’elles font l’impasse sur certains chantiers. L’Orient-Le Jour a contacté le président de l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB), Nicolas Chammas, et l’avocat fiscaliste Karim Daher, pour aborder ces points.

Bons principes

D’un côté, Nicolas Chammas considère que le rapport du FMI « vise, malgré tout, juste sur le plan des principes, mais pèche par son manque de réalisme économique ».

« On ne peut qu’adhérer avec certains grands principes énoncés dans le rapport, comme le fait de vouloir arrêter l’effritement de l’assiette fiscale du pays (les revenus pouvant être imposés), le fait de chercher à l’élargir, le fait de vouloir rétablir l’équité verticale en garantissant la progressivité des impôts, ainsi que de garantir l’équité horizontale (les personnes aux mêmes revenus payent les mêmes impôts, NDLR) », expose-t-il.

Nicolas Chammas reconnaît également que la nouvelle donne financière du pays plaide en faveur d’une réforme de la fiscalité. « Entre 2018 et 2021 : la pression fiscale est passé de 15,5 à 6,6 %, selon les chiffres officiels. Cela veut dire que la marge de manœuvre de l’État est extrêmement réduite, notamment pour financer les salaires des fonctionnaires », a-t-il insisté. « Et on a vu que sans l’État, l’économie ne peut pas fonctionner. Le budget doit engager un niveau minimum de dépenses pour que cela soit possible », a ajouté le président de l’ACB.

Pour mémoire

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En 2019, l’ambassadeur français chargé de la coordination du soutien international au Liban, Pierre Duquesne, avait déjà jugé que le niveau d’imposition au Liban, aux environs de 11 %, était trop bas. La Banque mondiale préconise pour sa part que les recettes publiques d’un pays doivent atteindre au moins 15 % du PIB pour permettre à un État d’être viable et de garantir un environnement des affaires propice à la croissance.

Approche discutable

Karim Daher est pour sa part beaucoup plus enthousiaste vis-à-vis de l’approche du FMI. « Le Fonds a vraiment changé ses habitudes. À ce stade des discussions avec un pays sollicitant son aide, ses experts considèrent que la priorité est d’augmenter les recettes et privilégient les impôts et taxes faciles à prélever (impôts sur les sociétés ou encore la TVA) », expose-t-il.

« Plutôt que de s’engager dans cette voie, les experts du FMI ont choisi des dispositions majoritairement adaptées à la réalité libanaise en favorisant l’inclusion et l’élargissement de la base d’imposition (de manière équitable) », poursuit Me Daher, avant d’illustrer son propos : « Les auteurs du rapport considèrent par exemple qu’augmenter la TVA d’un pourcentage déterminé ne sera ni efficace ni équitable et suggèrent plutôt d’aller chercher du côté des nombreux cas d’exemptions ou d’échappatoires qui existent dans la loi libanaise. »

Le changement ne s’arrête pas là, poursuit-il, mettant en avant le fait que le FMI ne propose par exemple aucune augmentation d’impôt à proprement parler, « ce qui peut être considéré comme une première ». L’organisation demande en échange que les impôts et taxes existants – taux, abattements, tranches, etc. – soient alignés au taux de change réel, à l’indice de cherté de vie ou à un seuil intermédiaire défini dans le cadre d’une phase de transition. « Ce type d’ajustement permet d’éviter de repasser par le Parlement en cas d’importantes fluctuations du taux de change », relève l’avocat fiscaliste.

Nicolas Chammas n’est pas favorable à cette approche. « Le fait de pouvoir compenser un manque à gagner en ajustant le taux de change employé pour le calcul des impôts est légitime, mais sa brutalité risque de provoquer un choc fiscal et économique parce que le pays est encore dans une phase de récession et que les entreprises reprennent à peine leur souffle », insiste-t-il. « Nous avons pu constater à quel point la transition vers un dollar douanier (le taux employé pour calculer les droits de douane en livres à partir des prix en dollars) à 15 000 livres au lieu de 1 507,5 a été brutale en décembre dernier et anarchique. Imaginez alors le passage de 15 000 livres au taux de Sayrafa (38 000 livres) en une fois », insiste-t-il. Pour le FMI, l’emploi du taux de change pour le calcul des impôts et taxes doit permettre de compenser la perte de plusieurs points de PIB de recettes fiscales (5,6 points en 2022 et 4,3 en 2023, selon les données du rapport).

Réformer les fondements

Me Daher met pour sa part au crédit de l’approche du FMI le fait qu’il introduit également des mesures qui commencent à réformer les fondements de la fiscalité du pays. « Le Fonds va dans la continuité de la loi sur la levée du secret bancaire (votée en octobre mais dépouillée de certains de ses attributs par le Parlement). Il recommande aux dirigeants libanais de donner les moyens à l’administration fiscale d’avoir accès aux comptes bancaires des contribuables à l’étranger et de compléter le processus lui permettant d’activer le mécanisme d’échange automatique d’informations fiscales », détaille encore Me Daher. Le Liban est en effet signataire de plusieurs conventions multilatérales qui l’obligent à mettre en œuvre les normes CRS (Common Reporting Standard, ou norme commune de déclaration).

Parmi les autres mesures d’assainissement de la législation fiscale demandée par le Fonds à moyen terme, Me Daher cite notamment :

• La modification du principe de résidence et d’établissement stables et effectifs. Dans sa forme actuelle, la loi libanaise permet en effet à des personnes résidant au Liban d’encaisser des revenus issus de l’étranger et de ne payer aucun impôt, nulle part, en cas de fiscalité avantageuse dans le pays de perception du revenu ou de dispositions conventionnelles adaptées.

• La réforme de l’impôt forfaitaire dont bénéficie une grande frange de contribuables (comme les membres des professions libérales), dont le système actuel permet de minorer les revenus déclarés, ce que le Fonds associe à un levier facilitant l’évasion fiscale.

• La création d’un régime spécifique, de micro-entreprise, pour augmenter l’inclusion dans la base des contribuables des petites sociétés, qui ne sont pas nombreuses à s’acquitter de leur impôt sur le revenu.

• Le rapprochement progressif d’une taxation uniforme du revenu (à l’opposé du régime cédulaire actuel – un impôt assis sur une catégorie particulière de revenus –, très perméable à l’évasion).

• La suppression de l’exemption foncière pour la vacance des propriétés bâties.

Mauvais timing

Sans remettre en question la totalité des recommandations une par une, Nicolas Chammas souligne pour sa part que l’une des principales erreurs d’appréciation du FMI concerne le timing de certaines mesures suggérées. « Outre la question de la modification du taux de change, la suppression à moyen terme du système de détaxe au profit des touristes pour limiter ce mécanisme aux acteurs dotés d’un numéro de TVA (alors que le bénéfice est minime en matière de recettes fiscales) ou encore la suppression des régimes spéciaux des sociétés offshore ou des holdings vont saper l’attractivité du pays au pire moment », explique-t-il, avant d’ajouter : « C’est la croissance qui va générer des recettes fiscales et cela passe par l’amélioration de l’environnement des affaires. »

Me Daher a un avis plus nuancé sur la question des sociétés holdings et des offshores. Il juge d’une part que supprimer à terme leur régime serait effectivement défavorable à un pays comme le Liban dont un des points forts est d’attirer les investissements et lui ferait perdre un avantage comparatif face à d’autres pays au profil similaire comme Chypre, Malte ou les Émirats arabes unis. Il considère en revanche que la suppression de l’exemption des cessions d’actions dans les sociétés anonymes et de l’imposition des dividendes des sociétés holdings et offshore versés aux résidents libanais (les étrangers pouvant être exemptés par l’effet des conventions fiscales bilatérales) n’est pas une mauvaise chose.

Lacunes importantes

Malgré leurs avis très contrastés, Nicolas Chammas et Karim Daher sont d’accord sur le fait que certaines lacunes portent préjudice à l’ensemble des recommandations du Fonds. M. Chammas lui reproche par exemple d’avoir fait l’impasse sur deux facteurs pourtant majeurs, sans lesquels toute tentative d’augmenter les recettes fiscales se résumera, selon lui, à « cannibaliser ce qui reste de contribuables qui souhaitent respecter les règles », à savoir : la rationalisation des dépenses publiques qui passe notamment par la réduction du nombre pléthorique de fonctionnaires (environ 300 000) et la lutte effective contre la contrebande et l’économie grise, dont la taille est estimée à 50 % du PIB. « Sans approche globale, les recommandations du FMI resteront lettre morte », conclut-il.

Me Daher s’étonne pour sa part que le FMI n’ait pas abordé la question de l’uniformisation du numéro fiscal à tous les contribuables libanais (nationaux et étrangers) pour faciliter la traçabilité, ou encore le développement de la numérisation des services de l’État, sans laquelle les meilleurs efforts de réorganisation seront voués à l’échec. Or s’il ne se donne pas les moyens d’appréhender ceux qui échappent à l’impôt, l’État sera une fois de plus tenté de ponctionner ceux qui jouent le jeu pour boucler ses budgets, regrette-t-il.

C’est l’histoire d’un rapport finalisé en novembre et rendu public en janvier, parallèlement au vote, à l’entrée en vigueur et à la mise en application du budget de l’État libanais pour 2022. Intitulé « Put Tax Policy Back on Track » et accessible via le site du Fonds monétaire international, il détaille, sur environ 80 pages, les recommandations des experts de...

commentaires (2)

Avant d'appliquer les principes fiscaux Europeens d'unifier les revenus et de faire les taxes progressives, il faudrait inclure tout le Liban dans le regime des taxes. Aujordhui (ou en 2019) 80% des gens habitant entre Beyrouth et Batroun paiaient les taxes et etaient harassés par les fonctionnaires du ministere des finances avec des regles floues et devaient meme payer des pots de vin pour pouvoir payer les taxes. Alors que 80% des habitants des autres regions ne savent meme pas c'est quoi une taxe, vivent de la contrebande, ne paient jamais de TVA ou de douannes. Justice sociale veut dire imposer tout le monde et arreter l'economie grise du hezbollah, et se debarasser des 100000 fonctionnaires inutiles. Avant de soumettre les 80% vivant dans les regions souverainistes au regime fiscal de la Suede, resolvez le probleme des 80% vivant dans les regions hezbollah qui suivent le regive fiscal de la Soumalie.

Tina Zaidan

11 h 39, le 27 janvier 2023

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Commentaires (2)

  • Avant d'appliquer les principes fiscaux Europeens d'unifier les revenus et de faire les taxes progressives, il faudrait inclure tout le Liban dans le regime des taxes. Aujordhui (ou en 2019) 80% des gens habitant entre Beyrouth et Batroun paiaient les taxes et etaient harassés par les fonctionnaires du ministere des finances avec des regles floues et devaient meme payer des pots de vin pour pouvoir payer les taxes. Alors que 80% des habitants des autres regions ne savent meme pas c'est quoi une taxe, vivent de la contrebande, ne paient jamais de TVA ou de douannes. Justice sociale veut dire imposer tout le monde et arreter l'economie grise du hezbollah, et se debarasser des 100000 fonctionnaires inutiles. Avant de soumettre les 80% vivant dans les regions souverainistes au regime fiscal de la Suede, resolvez le probleme des 80% vivant dans les regions hezbollah qui suivent le regive fiscal de la Soumalie.

    Tina Zaidan

    11 h 39, le 27 janvier 2023

  • Avec tous les respects pour les deux personnalités éminentes que sont Monsieur Chammas et Maître Daher, mais leurs propos s’adressent à des citoyens d’un ÉTAT DE DROIT. Ils oublient que la république libanaise dans ses composantes actuelles est un État bananier dirigé par des gangsters. Donc tout accroissement de la fiscalité ne servirait qu’à augmenter leurs comptes cachés dans les paradis fiscaux et seules quelques miettes iront au Trésor Public. Commencez par préconiser de balayer et de mettre à la poubelle toute cette classe politique pourrie et toute cette administration incompétente et corrompue et ensuite demandez à taxer d’avantage le citoyen. Comparez le Liban au modèle européen : que l’Etat prélevé 50% de la richesse mais que cet État assure TOUS LES SERVICES À SA CHARGE. Sinon tout ce beau discours s’apparente à du vol en bande organisée

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 05, le 27 janvier 2023

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