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Politique - Justice

Tarek Bitar pourrait-il gagner son pari ?

Le juge devrait pouvoir être maintenu en poste, les moyens de le révoquer n’étant pas évidents. Mais il est peu probable qu’il puisse faire exécuter les poursuites qu’il a engagées, selon des experts.

Tarek Bitar pourrait-il gagner son pari ?

Une sculpture montrant le symbole de la justice, le 24 janvier 2023 devant le port de Beyrouth, ravagé par l'explosion du 4 août 2020. Photo REUTERS/Mohamed Azakir

La décision prise lundi par le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar de relancer l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth après sa longue suspension, due aux embûches judiciaires que lui dressent notamment les personnalités politiques mises en cause dans l’affaire, a provoqué hier une tempête dans certains milieux qui n’ont pas intérêt à voir aboutir l’enquête.

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C’est que si le juge Bitar a aussitôt concrétisé sa démarche en ordonnant la remise en liberté de cinq détenus, il a surtout lancé une offensive en engageant des poursuites contre de grosses pointures du monde politique, sécuritaire, administratif et judiciaire. Deux députés du mouvement Amal, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, un ancien Premier ministre, Hassane Diab, le chef de la Sécurité de l’État, Tony Saliba, le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, ont ainsi été convoqués pour des audiences prévues à partir du 6 février. Ils avaient été mis en cause par le juge d’instruction peu après le début de sa mission en février 2021, mais n’avaient jamais été entendus, les uns se prévalant de leur statut, les autres d’une absence d’autorisation donnée par leurs ministres de tutelle. Tarek Bitar veut également interroger l’ancien ministre Nouhad Machnouk, l’ancien commandant en chef de l’armée Jean Kahwagi et le chef de la Sécurité nationale au sein de l’armée Jaoudat Oueidate, qu’il avait entendu une première fois en septembre 2021, ainsi que l’ex-chef des renseignements de l’armée Camille Daher, qu’il n’avait pu auditionner en raison de sa notification d’un recours en dessaisissement. Également visés, Assaad Toufeily et Gracia Azzi, respectivement président et membre du Conseil supérieur des douanes.

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Mais c’est surtout la convocation du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, qui s’était désisté de l’affaire du port en raison d’un lien de parenté avec Ghazi Zeaïter, qui a eu l’effet d’une bombe incendiaire. C’est bien la première fois que le détenteur de la plus haute autorité judiciaire du pays fait l’objet de poursuites. Tarek Bitar entend interroger également un autre magistrat du parquet de Cassation, Ghassan Khoury, ainsi que Jad Maalouf et Carla Chouah, anciens juges des référés de Beyrouth.

Dans le viseur du pouvoir politico-judiciaire

Tarek Bitar va-t-il pouvoir rester à son poste, ou sera-t-il cette fois définitivement neutralisé par le pouvoir politico-judiciaire qui a toujours cherché à réduire à néant sa marge de manœuvre ? Et pourra-t-il faire exécuter ses décisions ? Ou au contraire, le parquet de Cassation, compétent à ce niveau, se montrera-t-il plus que jamais réticent à coopérer ?

Selon l’agence Reuters, M. Oueidate a affirmé mardi, après l’annonce de la décision du juge d’instruction de le poursuivre, que l’enquête de ce dernier reste suspendue. « Nous avons appris le retour du juge Bitar par la presse. Puisqu’il considère le parquet comme inexistant, nous le considérons aussi comme tel », a affirmé M. Oueidate, interrogé également par l’AFP. La chaîne LBCI a fait circuler une information selon laquelle le procureur envisagerait de porter plainte contre M. Bitar pour « usurpation de pouvoir ». Mais contacté par L’Orient-Le Jour, M. Oueidate a affirmé que, « jusqu’à nouvel ordre », il ne pensait pas le faire. Selon l’ancien procureur général Hatem Madi, le procureur « n’a pas le pouvoir de contester la validité de la décision du juge d’instruction » près la Cour de justice, un tribunal d’exception. « La loi ne précise pas quelle juridiction serait compétente pour se pencher sur un tel recours », ajoute-t-il, interrogé par L’OLJ.

M. Oueidate a envoyé hier deux missives à M. Bitar, dans l’une desquelles il cite un verset coranique, signifiant en substance que « les mortels doivent être justes ». L’autre renferme une note dans laquelle il fait observer au juge d’instruction qu’il n’a plus la main sur le dossier, aucun recours judiciaire contre lui n’ayant été tranché. Selon des informations médiatiques diffusées en soirée, le procureur a décidé d’ordonner aux services sécuritaires de ne pas notifier les personnes concernées.

Limoger le juge d’instruction n’est pas aussi facile qu’on pourrait le penser. Des magistrats et avocats s’accordent à le dire, mais dans le même temps, ils estiment que son maintien en place ne lui permettra pas pour autant d’aller au bout de ses investigations. Paul Morcos, directeur du cabinet Justicia, revient sur les raisons qu’a avancées le juge Bitar pour motiver sa reprise en main du dossier de l’enquête, à savoir le fait qu’« aucun texte de loi ne prévoit sa récusation ». « Le champ des récusations dont peuvent être ciblés les juges des tribunaux ordinaires au moyen de recours judiciaires ne s’étend pas au juge d’instruction près la Cour de justice », acquiesce l’avocat, estimant qu’« il faut interpréter de manière restrictive les lois de procédure pénale ».

Les silos du port de Beyrouth, en octobre 2022. Photo d’archives João Sousa

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ou le ministre de la Justice, Henri Khoury, peuvent-ils décider de le révoquer, puisqu’il avait été nommé en Conseil des ministres sur proposition de l’ancienne ministre Marie-Claude Najm, après approbation du CSM ? « De telles autorités ne peuvent pas le démettre parce qu’elles n’ont pas la prérogative de juger la manière dont un magistrat gère son dossier », affirme M. Morcos. « En tout état de cause, le quorum requis (6) pour une réunion du CSM qui serait organisée pour débattre de la révocation du juge Bitar ne pourrait être atteint », renchérit un magistrat sous le couvert de l’anonymat, notant que « ni le président du CSM, Souheil Abboud, favorable à l’aboutissement de l’enquête, ni le procureur près la Cour de cassation, qui a le statut de mis en cause dans l’affaire du port, ne participeraient à une telle réunion ». Composé légalement de dix membres, le CSM n’en compte à l’heure actuelle que sept.

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« L’essentiel est d’élucider ce crime historique »

Le Conseil des ministres ne peut-il pas non plus démettre le juge ? « Étant démissionnaire, le gouvernement n’a pas la compétence de se pencher sur des questions de récusation ou de nomination », déclare M. Morcos, affirmant que « même au cas où il serait en pleine fonction, il ne serait pas compétent pour révoquer un juge qui travaille ».

Joseph Samaha, ancien membre et ancien président par intérim de la Cour de justice, évoque « le principe de la séparation des pouvoirs » pour expliquer l’incompétence du gouvernement en pareil cas. « Une révocation pour une question de gestion de dossier serait une ingérence dans l’action judiciaire », estime-t-il. Pour lui, la décision de retour prise par Tarek Bitar ne devrait pas lui valoir de sanctions. « Il ne s’agit pas d’une erreur, mais d’un avis juridique motivé. »

Une opinion que ne partage pas Hatem Madi : celui-ci estime que « la décision du juge Bitar de maîtriser de nouveau l’enquête est illégale, puisqu’il a les mains liées en raison des recours judiciaires portés contre lui ».

« Abstraction faite des moyens utilisés, l’essentiel est d’élucider ce crime historique », rétorque Saïd Malek, constitutionnaliste, notant que « la nécessité de voir un jour la justice faite est plus importante que les vices dont seraient entachée la décision de M. Bitar ». Joseph Samaha considère dans le même sens que « face au blocage de toutes les issues, Tarek Bitar n’avait plus d’autre choix que de décider de la sorte ». « La nécessité autorise les interdits », clame-t-il, citant un célèbre dicton arabe.

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Le juge Samaha pointe plus particulièrement du doigt l’attitude « négative et étrange » du parquet de Cassation à l’égard de cette enquête. « Le rôle du ministère public est de poursuivre tout suspect dans les affaires qui lui sont soumises », avance-t-il, déplorant qu’en l’espèce, « le parquet n’a pas soutenu Tarek Bitar et s’est montré hostile aux mesures qu’il a prises ».

Dans ces conditions, les juristes doutent fort que le parquet de Cassation accepte d’exécuter les poursuites engagées par M. Bitar en les notifiant à leurs destinataires. « Si le parquet le voulait, il l’aurait fait pour d’autres décisions émises auparavant », estime Saïd Malek. « Selon la loi, le parquet a le devoir de demander aux services sécuritaires de notifier les personnes concernées », indique Joseph Samaha, notant que « le procureur général près la Cour de cassation est le chef de la police judiciaire ».

En cas d’abstention du parquet de Cassation, le juge d’instruction peut procéder aux notifications par voie d’affichage à la porte de son bureau, au Palais de justice ou à celle des domiciles des personnes convoquées. Un moyen qui ne semble pas être plus efficace pour inciter les personnes suspectées à comparaître. Tarek Bitar pourrait en dernier lieu opter pour la publication d’un acte d’accusation, suppute le juge Samaha. On sait que 540 pages ont déjà été rédigées, et qu’il n’en manquerait qu’environ 200. « Les éléments qui manquent sont vraisemblablement les dépositions des personnes convoquées », présume-t-il. Il estime que « si ces dernières ne comparaissent pas, le juge Bitar pourrait en déduire qu’elles sont suspectes ».

La décision prise lundi par le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar de relancer l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth après sa longue suspension, due aux embûches judiciaires que lui dressent notamment les personnalités politiques mises en cause dans l’affaire, a provoqué hier une tempête dans certains milieux qui n’ont pas intérêt à voir...

commentaires (7)

vous connaissez le sujet du nouveau film de Speilberg "Falcone" ? oú Toto Riina assigne a domicile le juge Falcone et commence par eliminer tout les temoins a la Russe comme "Chaussee glissante et compagnie ". Et on fini par decouvrir a la fin du film,que les nations unis sont tous daccord pour camoufler toute la verite afin de couvrir un eventuel conflit entre l etat voyou qui dirige les usa et El Chapo

Jimmy Barakat

22 h 11, le 25 janvier 2023

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Commentaires (7)

  • vous connaissez le sujet du nouveau film de Speilberg "Falcone" ? oú Toto Riina assigne a domicile le juge Falcone et commence par eliminer tout les temoins a la Russe comme "Chaussee glissante et compagnie ". Et on fini par decouvrir a la fin du film,que les nations unis sont tous daccord pour camoufler toute la verite afin de couvrir un eventuel conflit entre l etat voyou qui dirige les usa et El Chapo

    Jimmy Barakat

    22 h 11, le 25 janvier 2023

  • Le Hezbollah et Amal ne sont pas clean alors ils veulent pas la vérité attention Bitar pour ta vie …

    Eleni Caridopoulou

    20 h 05, le 25 janvier 2023

  • Les choses deviennent plus claire que cette enquête avance . Il est certains maintint que des magistrats sont achetés ou vendus, selon et ne s’en cachent plus en divulguant leur méthodes de blocage certes illégales, dans le but de gagner du temps pour leurs maîtres ces vendus qui les paient. Comment expliquer l’attitude de certains qui ne veulent pas la vérité et qui abondent dans les sens des vendus pour noyer l’affaire et obstruer les voies de la justice pour satisfaire leurs maîtres. Le ver est dans le fruit et on plaint les fossoyeurs alors que des libanais sans conscience s’activent à leur faciliter la tâche de l’anéantissement de notre pays en échange de dollars et de pouvoir. L’amputation devient inévitable et urgente. Il ne faut plus traîner le Liban risque une septicémie.

    Sissi zayyat

    14 h 45, le 25 janvier 2023

  • Comment appeler autrement le jeu de l’obstruction de la justice ? Ghada Aoun poursuit un procureur. M. Bitar, magistrat instructeur engage des poursuites contre le procureur Oueidate et que celui-ci a déjà engagé des poursuites contre la procureure du Mont-Liban. La réaction du Procureur est de dessaisir M. Bitar juge de l’instruction. On ne s’y perd pas, mais les Libanais assistent désabusés à un jeu de toupie qui tourne sur elle-même le plus longtemps possible. À ce "jeu", politico-judiciaire, la vérité sera la première victime de la double explosion. À ce jeu, difficile de diagnostiquer un Tayyouné bis… mais on ne sait pas de quoi l’avenir est fait. La citation en haut de la missive de M. Oueidate est plus qu’éloquente,""les mortels doivent être justes"" : إن استطعتم أن تنفذوا من أقطار السماوات والأرض فانفذوا لا تنفذون إلا بسلطان بالكيل الذي به تكيلون يكال لكم ويزاد لكم أيها السامعون, c’est très clair.

    Nabil

    14 h 13, le 25 janvier 2023

  • Bravo au courageux Juge Bitar. QUe justice soit faite pour les familles des victimes, pour les personnes injustement arrêtées et pour tout le peuple libanais ! Une lueur d'espoir qui nous laisse entrevoir une sortie du tunnel !

    Abdallah TAMBEY

    10 h 06, le 25 janvier 2023

  • Il est clair que ni Amal ni le Hezbollah ni les Marada ne veulent que la vérité sur l’explosion du 4 août ne soit dévoilée. Devinez pourquoi ?

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 54, le 25 janvier 2023

  • - LE JUGE BITAR EST DE BONNE FOI. - MAIS DES BARBUS ET LEURS ALLIES LES CLIQUES, - VENDUES, POURRIES ET SURTOUT HORS LA LOI, - REPETERONT LEURS VILES RETHORIQUES. = - AVEC AU CRENEAU L,ETOILE COMPLICE - POUR DISCREDITER L,INTEGRE JUSTICE, - ET PAR DEFIS ET INTIMIDATIONS, - REMETTRE UN STOP AUX LEGALES ACTIONS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 44, le 25 janvier 2023

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