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Lifestyle - Conférence

De Beyrouth à Leyde, Byblos racontée par Tania Zaven

Elle a pris l’exposition « Byblos, le plus ancien port au monde » à bras le corps en enfilant sa casquette de commissaire conjointe. La directrice archéologique du nord du Mont-Liban brosse le tableau des préparatifs qui ont précédé cet évènement.

De Beyrouth à Leyde, Byblos racontée par Tania Zaven

Tania Zaven au cours de sa conférence au musée de l’AUB. Photo musée de l’AUB

La conception de l’exposition « Byblos, le plus ancien port au monde », qui se tient depuis octobre dernier au musée national néerlandais des Antiquités, situé à Leyde, a été le fruit d’une préparation rigoureuse, tant pour le choix des objets que pour leur documentation et leur transport aux Pays-Bas. Au cours d’une conférence donnée au musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth, mercredi dernier, la commissaire conjointe de l’exposition et directrice régionale du Mont-Liban Nord et du site de Byblos depuis 1996 Tania Zaven a relaté les étapes-clés pour mettre au point cette importante manifestation que L’Orient-Le Jour avait présentée dans son édition du 11 octobre 2022.

« La proposition lancée par l’institution muséale néerlandaise d’organiser une exposition consacrée à Byblos remonte à 2018, indique-t-elle. C’était avant la crise financière, la pandémie de Covid-19 et les explosions au port de Beyrouth, ce qui signifie que nous n’imaginions pas les défis qui nous attendaient. Le ministère de la Culture et la Direction générale des antiquités (DGA) ayant toutefois décidé de piloter, avec optimisme, la visibilité et la promotion du Liban au niveau international, nous nous sommes lancés dans le projet. »

Une double jarre à tête de bélier (début de l’âge du bronze). Photo musée de l’AUB

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Puisant dans des milliers de pièces entreposées dans les dépôts de la DGA, et celles exposées au musée national de Beyrouth ainsi qu’au musée du site de Byblos, Tania Zaven et son équipe d’archéologues se sont chargés de la sélection des objets retraçant l’histoire, la culture et le grand commerce de Byblos depuis le néolithique d’il y a environ 8 900 ans jusqu’à la période romaine. « Nous avons souvent été obligés de modifier nos choix suivant le making of de l’exposition et l’évolution de la scénographie, ce qui a engendré une bonne dose de travail », indique Mme Zaven. « De plus, certaines pièces initialement sélectionnées n’ont pas pu être exposées à Leyde pour des raisons techniques. C’est le cas de la mosaïque de L’enlèvement d’Europe par Zeus transformé en taureau, un chef-d’œuvre du IIIe siècle de notre ère qui illustre la rencontre entre l’Orient et l’Occident », signale-t-elle, expliquant que « la largeur de la fenêtre du musée néerlandais était plus étroite de quatre centimètres que la mosaïque.

Le dieu phénicien du feu et de la foudre, Reshef, 1900-1600 avant J.-C. Photo musée de l’AUB

Elle a donc été remplacée par une autre, illustrant les trois qualités essentielles à la vie : eros (amour), acme (qualité) et charis (beauté et grâce) ». Quatre cent six artefacts illustrant les diverses périodes de l’histoire de Byblos ont été triés. Ils sont majoritairement issus des fouilles des années 1920-1975. L’ensemble a été enregistré dans une base de données complétée par une bibliographie en grande partie tirée de l’ouvrage Byblos et l’Égypte de Pierre Montet, qui avait mené quatre campagnes de fouilles à Byblos entre 1921-1924, ainsi que par des textes scientifiques de Maurice Dunand, qui avait poursuivi et élargi les travaux d’excavation de 1926 à 1975.

Vase Kamares, de Crète (début de l’âge du bronze). Photo musée de l’AUB

Assurance et emballage adaptés

Tous les objets ont été assurés pour le voyage à Leyde et confiés à des entreprises spécialisées pour leur emballage. « Ce processus d’empaquetage, essentiel à la sécurité et la conservation des biens archéologiques, a nécessité près de 12 heures de travail par jour pendant environ un mois », rapporte l’archéologue, soulignant qu’elle a été soutenue dans sa tâche par une équipe de 15 personnes, dont Marie-Antoinette Gemayel et la restauratrice d’œuvres d’art Nathalie Hanna qui a évalué l’état de chaque objet. La même procédure a été appliquée au musée néerlandais. « Déballer et vérifier l’état de chaque artefact, mais aussi préparer les supports appropriés (si nécessaire). La besogne a nécessité environ neuf semaines ». Tania Zaven souligne qu’« un élément majeur » a été ajouté à l’exposition : le tronc d’un cèdre vieux de 130 ans frappé par la foudre durant l’hiver 2021. « Cette pièce, qui provient du jardin de Najla Aouad, à Bhersaf, a permis aux visiteurs d’avoir un aperçu réel d’un cèdre centenaire, et d’apprécier sa couleur et son odeur. »

À l’affiche de l’exposition, le dieu Bes. Photo DR

Le dieu Bes à l’affiche

L’archéologue relève par ailleurs que l’affiche de l’exposition a été conçue par des spécialistes de la communication. Leur choix ne s’est pas porté sur les fameuses figurines anthropomorphes, qui sont la marque déposée de Byblos, ni sur une photo du sarcophage d’Ahiram ou sur celle du site archéologique. Après avoir passé en revue les objets sélectionnés, c’est le dieu Bes (ou Aha), une divinité apotropaïque (qui conjure le mauvais sort), vénérée en Égypte, qui a capté leur attention. « Découverte dans le temple-obélisque, la figurine datant de l’âge du bronze moyen mesure quelques centimètres de haut et représente Bes sous la forme d’un démon à face de lion qui vous regarde de manière provocante, vous incitant à en savoir plus. C’est donc Bes qui a été choisi pour illustrer l’affiche, dont la couleur rouge est destinée à renforcer la curiosité du public. ».

Pierre calcaire gravée d’une inscription latine datant de la période romaine. Photo musée de l’AUB

Reshef et la Dame de Byblos réunis

Parmi les 500 objets exposés sur 800m2, où, à l’initiative des responsables néerlandais, un parfum d’ambiance à base d’essence de bois de cèdre est pulvérisé en continu, 94 pièces ont été prêtées par des institutions muséales européennes, comme le Louvre, le British Museum, le musée de Pergame à Berlin, le musée royal d’Art et d’Histoire de Bruxelles, mais aussi la Bibliothèque nationale de France et le musée d’archéologie de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Ce dernier a mis à la disposition des organisateurs 13 objets archéologiques « sélectionnés avec l’aide de Nadine Panayot, la conservatrice du musée, et le concours de Reine Madi », signale Tania Zaven. Elle cite, à titre d’exemple, une inscription forestière d’Hadrien, datant de 121 après J.-C., délimitant la forêt de l’empereur dans l’arrière-pays de Byblos ; une amphore utilisée pour le transport de produits de base ; une double jarre à tête de bélier utilisée pour conserver les huiles, et un vase Kamares, de Crète, datant du début de l’âge du bronze, vraisemblablement employé pour servir de la bière. Sans oublier Reshef, le dieu phénicien du feu et de la foudre (âge du bronze moyen) qui rencontre à Leyde la Dame de Byblos (ou la déesse Baalat Gubal), « identifiée comme telle par une inscription phénicienne », précise l’archéologue. « Cette pièce en terre cuite datant de la fin de l’âge du fer (600-400 av. J.-C.) est unique », ajoute-t-elle. Elle a été prêtée par le musée royal d’Art et d’Histoire de Bruxelles.

La cité s’affiche en pop-up et documentaires

Parallèlement aux trésors archéologiques exposés, « une scénographie, conçue sous forme de livre pop-up par Anita Ohlerich, déroule des photographies aux découpes grandeur nature et couleurs chaudes de la terre », explique Tania Zaven, ajoutant que les clichés abordent les grands thèmes de la cité antique, ses rois et leurs relations avec les pharaons d’Égypte ; le commerce du bois, principalement celui de la forêt des cèdres ; le culte de Baalat Gubal ou celui de la Dame de Byblos ; et les offrandes aux temples et l’écriture. Quant à la mythologie phénicienne, elle est présentée « sous forme de bandes dessinées réalisées par l’un des illustrateurs les plus célèbres des Pays-Bas, Karst-Janneke Rogar ».

Pour mémoire

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L’exposition est également animée par des reconstitutions 3D de Byblos réalisées avec Mickael de Vreeze et Learning Sites, la société de patrimoine virtuel de Donald Sanders. Trois documentaires sont également projetés. L’un porte sur la réhabilitation du musée national de Beyrouth après la guerre civile libanaise, deux autres ayant été réalisés par le cinéaste libanais Vatche Boulghourjian, membre honorifique de l’Université de New York (NYU) et lauréat de nombreux prix à l’étranger. L’un présente les plus importantes découvertes faites à Byblos, l’une des plus vieilles villes du monde encore habitées. Le deuxième film comprend des entretiens avec 28 habitants originaires de cette ville qui relatent leurs témoignages et histoires de famille depuis le début des premières fouilles dans le années 1920.

Inaugurée le 14 octobre 2022 au musée national des Antiquités (Rijksmuseum van Oudheden) à Leyde, aux Pays-Bas, « Byblos, le plus ancien port au monde » a vu défiler jusqu’à présent 60 000 visiteurs, indique Tania Zaven. L’exposition se poursuit jusqu’au 12 mars prochain.

La conception de l’exposition « Byblos, le plus ancien port au monde », qui se tient depuis octobre dernier au musée national néerlandais des Antiquités, situé à Leyde, a été le fruit d’une préparation rigoureuse, tant pour le choix des objets que pour leur documentation et leur transport aux Pays-Bas. Au cours d’une conférence donnée au musée archéologique de...

commentaires (1)

Je n'étais pas au courant de l'existence de cette dame de Byblos ( la déesse Baalat Guba). (musée de Bruxelles pour l'instant à Leiden).

Stes David

10 h 20, le 24 janvier 2023

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Commentaires (1)

  • Je n'étais pas au courant de l'existence de cette dame de Byblos ( la déesse Baalat Guba). (musée de Bruxelles pour l'instant à Leiden).

    Stes David

    10 h 20, le 24 janvier 2023

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