
Le siège de la direction générale des Finances, situé dans le secteur du Palais de justice de Beyrouth, le 18 janvier 2023. Photo P.H.B.
Fruit du hasard ou d’une concertation préalable ? Alors que des informations relayées par les médias lundi rapportaient que la Banque du Liban préparait des « mesures financières pour tenter de contrôler le taux (de change) sur le marché », le ministre sortant des Finances et ancien cadre de la Banque centrale, Youssef Khalil, a publié deux décisions qui semblent servir cet objectif avant toute autre considération.
La première passe par les douanes, la seconde par les banques. Les deux surviennent peu de temps après une tentative de la BDL de reprendre la main sur le taux du marché, mais qui n’a finalement pas réussi à faire durablement baisser ce taux.
Collecte des droits de douanes en cash
La première de ces mesures, qui est abondamment commentée sur les réseaux sociaux depuis mardi soir, consiste à exiger que le paiement d’au moins 50 % des droits de douanes se fasse désormais en espèces à la direction dédiée, le reste pouvant être réglé par virement ou chèque.
Les droits de douanes sont exigibles en livres libanaises et ont été majorés le 1er décembre dans le sillage de l’entrée tardive en vigueur du budget de l’Etat pour 2022. Depuis cette date, l’administration fiscale exige en effet qu’ils soient calculés à partir des prix hors-taxe en dollar en utilisant un taux de 15.000 livres pour un dollar, au lieu de l’ancienne parité officielle de 1.507,5 livres tombée en désuétude avec la crise.
Avec la nouvelle décision publiée mardi, ces montants qui ont donc été multipliés par 10 ne pourront donc plus être intégralement réglés par voie bancaire, ce qui pose plusieurs problèmes majeurs, affirme le président du syndicat des importateurs de denrées alimentaires, Hani Bohsali. « Les acteurs de la filière vont devoir aller récupérer leurs marchandises avec des milliards de livres en poche pour payer les droits qui leurs sont demandés. Cela pose avant tout un sérieux problème de sécurité », énonce-t-il.
« Le second problème est logistique, parce que les importateurs vont désormais devoir récupérer des quantités astronomiques de cash pour pouvoir dédouaner leurs marchandises », ajoute-t-il. Une situation qui se compliquera davantage si les autorités rapprochent le taux de change utilisé dans le calcul de ces droits de celui du marché, qui culmine actuellement au-delà de 48 000 livres pour un dollar. Même le taux de la plateforme Sayrafa de la BDL, 38 000 LL pour un dollar, est très élevé par rapport aux 15 000 LL actuels du « dollar douanier ».
Le troisième problème identifié par Hani Bohsali est purement financier. « La mesure des douanes va contribuer à déprécier encore plus la valeur des fonds déposés dans les banques et qui sont déjà impactés par les restrictions bancaires en place depuis le début de la crise », observe-t-il. Concrètement, les clients des banques libanaises ne peuvent ni retirer ni transférer autant de livres qu’ils le souhaitent, ni retirer à leur valeur réelle une importante partie des dollars qu’ils avaient déposés dans des comptes avant fin 2019 et qui ne sont pas considérés comme « frais », c'est-à-dire échangeable librement et à leur valeur réelle sur le marché.
Ces restrictions, en principe illégales, ont contribué à développer une économie du cash et encouragé la création d’un marché informel pour les chèques bancaires, qui s’échangent entre particuliers contre des montants en espèces avec un escompte par rapport à leur valeur nominale (environ 15 % pour les chèques en livres et plus de 85 % pour ceux en dollar). « La mesure des douanes risque de pousser à la hausse les taux d’escompte sur les chèques en livres, et donc la valeur réelle des dépôts liés », analyse une source bancaire sous couvert d’anonymat.
Enfin un autre défaut soulevé par de nombreux experts sur les réseaux sociaux est relatif à la transparence et la traçabilité des transactions, beaucoup plus compliquées lorsque les paiements sont effectués en dehors du secteur bancaire.
Collecte du produit des taxes en cash
La deuxième mesure du ministère des Finances a commencé à circuler mercredi matin. Elle consiste à exiger des banques qu’elles transfèrent en cash le produit des impôts, taxes et redevances qu’elles contribuent à collecter pour le compte de l’administration fiscale. La TVA, la taxe sur les propriétés construites, la taxe mécanique ou l’impôt sur les salaires entrent dans cette catégorie.
« Jusqu’ici, les banques récupéraient ces montants en espèces mais les transféraient ensuite au ministère en « bira » (le petit nom des livres libanaises coincées dans les comptes bancaires et dont les retraits sont plafonnés dans les banques libanaises, au même titre que les « lollars » désignant les dollars bancaires, Ndlr) », rappelle la source bancaire interrogée. A partir de maintenant, ces mêmes montants devront être déposés en espèces sur un compte du ministère spécifiquement créé à la BDL et dont le numéro a été publié avec la décision. Les dépôts pourront se faire tous les mercredis entre 9h et 14h.
Le ministère a justifié cette seconde mesure en indiquant que les paiements qu’il devait généralement effectuer, dont les traitements et salaires des fonctionnaires, se faisaient en cash. Pour être plus précis, ces salaires, qui ont été triplé avec l’adoption du budget de 2022, sont le plus souvent retirés intégralement en livres par leurs bénéficiaires qui ont le droit depuis fin 2021 de les convertir en dollar au taux de la plateforme Sayrafa de la BDL, soit actuellement 38.000 livres pour un dollar, un niveau plus avantageux que celui du marché.
Pour l’avocat fiscaliste Karim Daher, membre de l'Association libanaise pour les droits et l'information des contribuables (Aldic), cette seconde mesure du ministère vise surtout à aspirer le surplus de livres détenus par les banques et que certaines d’entre elles pourraient être tentées d’utiliser pour spéculer sur le marché des changes. Il ajoute que la finalité de cette mesure, comme de celle concernant les douanes, semble avoir comme objectif premier de limiter la masse monétaire en livres, en forte augmentation depuis le début de la crise (elle gravitait autour de 16.000 milliards début 2020, contre plus de 67.000 milliards le 15 janvier dernier). « Le problème, c’est que les autorités sont en train au passage d’accélérer la destruction de valeur des dépôts bancaires et de condamner toute perspective à court et moyen terme de renforcement de l’inclusion financière », constate-t-il.
Enfin ces mesures, comme celle de la BDL, qui a levé quelques jours dès fin décembre les plafonds de conversions de livres en dollars au taux de Sayrafa selon le mécanisme de sa circulaire n°161 pour tenter de faire baisser le taux de change, ne s’attèlent toujours pas aux véritables facteurs de la crise multidimensionnelle qui frappe le Liban depuis 2019.
Fruit du hasard ou d’une concertation préalable ? Alors que des informations relayées par les médias lundi rapportaient que la Banque du Liban préparait des « mesures financières pour tenter de contrôler le taux (de change) sur le marché », le ministre sortant des Finances et ancien cadre de la Banque centrale, Youssef Khalil, a publié deux décisions qui semblent servir cet objectif...
commentaires (4)
le reglement de toutes ces depenses en LBP cash va obliger les sociétés /individus a acheter des dollars sur le marche noir mais cela va contribuer a diminuer considérablement la masse de LBP en circulation, masse que la BDL a augmente de multiples fois ces 3 dernières années pour subventionner toutes sortes de situations; in fine, cela servira a établir le véritable taux LIBRE de la LBP vs dollar, peut être a 75,000 ou plus; c'est une mesure essentielle avant d'introduire des mesures d'assainissement
Kettaneh Tarek
12 h 57, le 20 janvier 2023