Pas de trêve même en période des fêtes. Alors que l’élection présidentielle est, du moins en apparence, mise entre parenthèses jusqu’à la nouvelle année, les rivalités politiques continuent de battre leur plein. C’est surtout le cas entre le Courant patriotique libre d’un côté, et le tandem formé par le président du Parlement Nabih Berry et le Premier ministre sortant Nagib Mikati, de l’autre. Gestion du pays en période de vacance présidentielle, réformes... tout est sujet à désaccord entre les deux camps rivaux alors que le pays s’apprête à conclure sa neuvième semaine sans chef de l’État, faute d’un compromis autour de l’identité du successeur de Michel Aoun.
Aoun accuse Berry
C’est l’ancien président et père fondateur du CPL qui a ouvert le bal jeudi, dans une interview accordée à la chaîne OTV, affiliée à son parti. « Le président Nabih Berry s’opposait à mon élection et a saboté 18 dossiers sur lesquels je travaillais », a-t-il martelé, accusant le maître du perchoir d’être le principal responsable du blocage des réformes lors de son mandat. La réponse de Nabih Berry ne s’est pas fait attendre. « Tu n’as eu besoin de personne pour saboter ton mandat », a-t-il déclaré le lendemain. Et de surenchérir : « Tu nous a promis l’enfer, et tu as tenu ta promesse », en référence à une ancienne déclaration de Michel Aoun sur les dangers qui attendent le Liban si la crise politique perdure. Le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, lui aussi en plein bras de fer avec le camp aouniste, n’a pas été épargné non plus. Le chef du gouvernement a en effet tenu, le 5 décembre, un Conseil des ministres, alors que son cabinet expédie les affaires courantes et que la présidence de la République est vacante depuis le 31 octobre. Les aounistes avaient boycotté la séance, considérant que M. Mikati empiète sur les prérogatives du chef de l’État et essaye de mettre à l’écart les chrétiens. « Il s’agit d’une tentative par le Premier ministre et le chef du Parlement de gouverner seuls, sans un partenaire chrétien », accusait alors un ancien député aouniste, alors que la démarche du zaïm tripolitain bénéficie de l’appui explicite de Nabih Berry.
Malgré des tentatives de trouver un accord sur la démarche à suivre par son cabinet, et malgré ses promesses faites au patriarche maronite Béchara Raï d’éviter la provocation, Nagib Mikati semble déterminé à aller jusqu’au bout. Il a en effet demandé mercredi au secrétariat général du Conseil des ministres de prendre les mesures nécessaires pour mettre en application un décret accordant une aide sociale aux membres des institutions sécuritaires, voté lors du Conseil des ministres précité. Pourtant, le ministre de la Défense Maurice Slim (affilié au camp aouniste) insiste pour que le texte soit contresigné par l’intégralité de ses 23 collègues avant d’être mis en application, considérant qu’en période de vacance présidentielle et selon la Loi fondamentale, c’est le Conseil des ministres (dans son ensemble) qui exerce les prérogatives du chef de l’État, notamment pour ce qui est de la signature des décrets.
« Faux et usage de faux »
Cette démarche a valu au Premier ministre sortant une réponse cinglante de la part du CPL. Dans un communiqué publié jeudi soir, le bureau de presse du parti orange soutient que M. Mikati s’est rendu coupable de « faux et usage de faux » en publiant des décrets qui ne respectent pas « l’équilibre confessionnel, la Constitution et la loi ». « Après avoir prétendu que le ministre des Affaires sociales (un aouniste, NDLR) a signé un décret (relatif à un transfert de fonds au ministère en question à partir des réserves budgétaires) alors qu’il n’en est rien, il a émis un décret (relatif aux aides aux militaires) en prétendant que le ministre de la Défense l’avait signé, ce qui n’est pas le cas, Maurice Slim ayant signé une autre version du décret où un espace était réservé aux signatures de tous les ministres et qui ne comportait pas la mention “Approuvé par le Conseil des ministres” », dénonce le texte.
Du côté de Nagib Mikati, on accuse les aounistes de faire de la surenchère à des fins politiques. « Le chef du CPL Gebran Bassil sait qu’il se trouve face à une impasse dans l’élection présidentielle, analyse Ali Darwiche, ex-député alaouite de Tripoli et proche du Premier ministre sortant. Pour sortir de cette situation, il a recours à une rhétorique confessionnelle et essaye de s’ériger en héros des chrétiens. » Le CPL a été rejoint dans son opposition à la démarche du tandem Mikati-Berry par le patriarche maronite, mais aussi par son rival sur la scène chrétienne, les Forces libanaises. Il a alors profité de cet élan de solidarité pour appeler à un dialogue interchrétien dans l’objectif de s’accorder sur la candidature du successeur de Michel Aoun. M. Bassil s’oppose en effet à l’élection du leader des Marada Sleiman Frangié, pourtant soutenu par le Hezbollah. Il redoute aussi l’élection de Joseph Aoun, le commandant en chef de l’armée, vraisemblablement favori des chancelleries arabes et occidentales. C’est ainsi que Nagib Mikati a mis le doigt sur la plaie en accusant, dans un communiqué de réponse au CPL, les aounistes de vouloir « régler leurs comptes » avec l’armée, en s’opposant aux aides sociales à l’institution militaire. Le Premier ministre sortant prévoirait même la tenue d’une nouvelle séance du Conseil des ministres, afin de proroger les mandats du chef d’état-major Amine el-Orm et de l’inspecteur général Milad Ishac, tous deux membres du conseil militaire, organe de prise de décision au sein du commandement en chef de l’armée. Une démarche que le Hezbollah pourrait cependant ne pas soutenir, la dernière séance ayant fortement nui à ses relations avec son allié chrétien.
commentaires (8)
des surenchères qui n arrivent pas à couvrir leurs échecs qui ont abolis le Liban?
Samia Sarkis Samaha
20 h 19, le 05 janvier 2023