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Moyen-Orient - Eclairage

Ihsane el-Kadi, icône de la presse libre en Algérie

Placé en détention provisoire jeudi soir, l'homme à la longue carrière journalistique a toujours milité pour la pluralité de l’information et la liberté de ton, mises à mal dans l'Algérie de Abdelmadjid Tebboune.

Ihsane el-Kadi, icône de la presse libre en Algérie

Ihsane El Kabi dans les bureaux de Radio M. Le directeur de la rédaction a été placé en détention provisoire jeudi. Photo /Aboubaker Khaled.

Peut-être le tient-il de son père, haut responsable du Front de libération nationale lors de la guerre d’indépendance algérienne. Ou bien de ces quelques mois passés dans les prisons du régime alors que, jeune étudiant, il rêve d’une Algérie démocratique. Le fait est qu’Ihsane el-Kadi nourrit un intarissable amour pour la liberté. Le journaliste de 63 ans est de ceux qui ne négocient pas leurs idéaux. Dans une Algérie tenue d’une main de fer par le pouvoir en place, il fait partie de ceux que l’on enferme. Figure du journalisme indépendant depuis les années 1980, Ihsane el-Kadi a été placé en détention provisoire jeudi. La fermeture des deux médias qu’il a fondés, mis sous scellés le lendemain de son arrestation, semble enfoncer encore un clou dans le cercueil de la liberté de la presse en Algérie. « Ihsane est le plus grand défenseur du journalisme indépendant du pays. En fermant Maghreb émergent et Radio M (la webradio associée), ils ont fermé les derniers médias qui continuent à travailler de manière libre », condamne Khaled Drareni, journaliste et représentant de Reporters sans frontières (RSF) en Afrique du Nord.

Ihsane el-Kadi avait été arrêté dans la nuit du 23 au 24 décembre chez lui. À deux reprises, sa garde à vue a été reconduite de 48 heures sans que personne ne sache vraiment ce qui lui était reproché. Jeudi soir, la nouvelle est tombée comme un coup de massue. Sur le site de Maghreb émergent, ses collègues annoncent qu’il a été « mis sous mandat de dépôt par le juge d'instruction auprès du tribunal de Sidi M'hamed, à Alger ». En d’autres termes, peu de chance qu’il échappe à la prison. Selon le média, le journaliste serait poursuivi en vertu d’un article du code pénal qui prévoit une peine de cinq à sept ans d’emprisonnement pour atteinte, entre autres, « à la sécurité de l’État », à « l’unité nationale », « aux intérêts fondamentaux de l'Algérie, à la sécurité et à l'ordre publics ».

« La révolution en bas de sa fenêtre »

« Entre nous, on disait que son arrestation allait arriver », ressasse Aboubaker Khaled, journaliste à Maghreb émergent depuis 2017. Selon lui, les ennuis de son rédacteur en chef ont commencé après le début du Hirak en février 2019 et l’élection de l’actuel président Abdelmadjid Tebboune en décembre de la même année. Les convocations, les interrogatoires, les arrestations ponctuelles deviennent alors progressivement son lot quotidien. Afin d’empêcher tout mouvement de contestation d’éclore à nouveau, le pouvoir multiplie les arrestations de journalistes, auxquelles s’ajoutent les chantages commerciaux traditionnellement exercés par l’État algérien sur les revenus publicitaires des médias. Si bien que la plupart ont dû se ranger à la botte du gouvernement pour ne pas étouffer économiquement, quand d’autres ont tout bonnement disparu du paysage. Le quotidien Liberté a par exemple fermé ses portes en avril dernier après des pressions répétées exercées sur son propriétaire. Quant à el-Watan, fondé en 1990 et fleuron de la presse indépendante, ses employés sont en grève depuis mars en raison du non-versement de leur salaire, conséquence indirecte de l’hostilité des pouvoirs publics. « Les médias traditionnels sont désormais tous muselés et sous contrôle de l’État », tranche Aboubaker Khaled.


Photo RYAD KRAMDI / AFP

Depuis peu, seuls quelques médias numériques réussissent encore à y échapper. En ce sens, Ihsane el-Kadi était un précurseur. En 2009, alors qu’il exerce en tant que journaliste indépendant, il est l’un des premiers à monter un journal uniquement en ligne avec Saïd Djaafer, son « acolyte », comme il l'appelle : Maghreb émergent, spécialisé dans l’actualité économique de la Mauritanie jusqu’à la Libye, voit le jour. Puis viendra Radio M en 2013, où des voix plurielles émergent. Véritable icône pour les journalistes qui ont travaillé avec lui, l’homme use de sa liberté de ton. « Il ne cache pas sa dimension politique et militante, bien au contraire, il la pose cartes sur table. Son travail de journaliste ne l’empêche pas de s’engager dans les luttes pour la liberté », confie Daikha Dridi, amie de longue date du journaliste. Ihsane el-Kadi est de gauche et le revendique. Dans la biographie de son compte Twitter, trône une citation de Karl Marx. Il épingle, aussi, une image d’une foule bruyante célébrant le Hirak. « Je souhaite à toute personne de bonne volonté de vivre une fois dans sa vie cet instant cosmique où la révolution de son rêve et de son action passe en bas de sa fenêtre de bureau », écrit-il.

Cœur battant du journalisme

C’est dans les années 80, sur les bancs de l’université, que le journaliste fait ses classes au militantisme. Le printemps berbère éclate, réclamant l’officialisation de la langue amazighe et de la reconnaissance de l’identité berbère en Algérie. Avec d’autres étudiants, le jeune Ihsane, dont la famille descend de la Grande Kabylie, se joint au mouvement. La répression menée par le régime lui vaut alors quelques mois de prison en 1981. Il en ressort convaincu que le journalisme est la seule manière de faire porter toutes les voix, toutes les causes au grand public.

Daikha Dridi le rencontre quelques années plus tard, lorsqu’elle intègre comme stagiaire le quotidien La Tribune, où Ihsane el-Kadi est rédacteur en chef. « C’était en 1994, les heures les plus sombres de la guerre civile en Algérie. Les journalistes tombaient comme des mouches sous les balles des terroristes. En dépit de toutes les pressions, il parvenait à garder sa constance et ne s’interdisait jamais de tout couvrir », se souvient celle qui n’a depuis jamais cessé d’exercer son métier. En pleine décennie noire, le journaliste pousse ses confrères à sortir des sentiers tracés par les autorités. « Il nous a ouvert les yeux sur la question des disparus, les gens enlevés par les services de sécurité. Il disait “Ça c’est le cœur battant du journalisme” », cite Daikha Dridi en exemple.

Alors que la désinformation s’érige comme arme politique dans le pays, Ihsane el-Kadi dénote par son intransigeante rigueur. « Il veille à tous les articles. Il ne s’oppose à aucune idée de ses journalistes, mais on n'a pas le droit à l’erreur. Si on en avait fait, Radio M et Maghreb émergent auraient fermé il y a bien longtemps », glisse Aboubaker Khaled qui continue à travailler pour son média à distance, mais craint une fermeture définitive. « On n’a jamais rien eu à se reprocher. Mais on avait peur au sujet d’Ihsane », ajoute-t-il.

Menottes

Ces dernières années, « l’inquiétude l’habitait », observe le journaliste. L’ancien ministre de la Communication Ammar Belhimer a porté plainte contre lui après la publication en 2020 d’un article soulignant la légitimité du mouvement conservateur islamiste Rachad – classé terroriste depuis – dans le Hirak. Pour lui, la diabolisation de la frange islamiste « trahit un empressement à tordre le coup à l’unité du Hirak ». En juin, il est ainsi condamné en première instance à une peine de six mois de prison, un verdict confirmé en appel il y a quelques jours. Des collègues ont bien essayé de le convaincre de se retirer le temps que la tempête passe, mais Ihsane el-Kadi refusait toujours : « Le pays, les citoyens ont besoin de nous, donc on reste et on les informe », disait-il. « Ce n’est pas quelqu’un qu’on peut intimider ou menacer », soutient Khaled Drareni, de RSF, qui a également travaillé à ses côtés pour Radio M pendant quelques années.

La veille de son arrestation, Ihsane el-Kadi publie un dernier tweet dans lequel il met en doute les récentes annonces des autorités algériennes dans la lutte anticorruption. Quelques jours auparavant, il avait également publié un papier d’analyse sur la question du second mandat du président Tebboune. De quoi, probablement, provoquer l’ire du gouvernement. Pour sa fille Tin Hinane el-Kadi, « l’ordre (de son arrestation) vient d’en haut, car aucune procédure judiciaire n’a été respectée », rapporte-t-elle dans plusieurs médias. Samedi dernier, alors qu’Aboubaker Khaled se rend dans les locaux de sa rédaction « comme tous les jours », il apprend avec les autres que son rédacteur en chef est arrêté. « On pensait qu’ils allaient le libérer dans l’après-midi », admet-il. Vers 15h ce jour-là, Ihsane el-Kadi apparaît bien dans les bureaux de Maghreb émergent. Mais, accompagné de policiers venus perquisitionner les lieux et les sceller jusqu’à nouvel ordre, c'est menotté que le directeur de la publication fait face à ses employés. « Même là, ce n'est pas sa situation à lui qui semblait l’inquiéter, affirme Aboubaker Khaled. C’est le sort de ses journalistes à qui on a confisqué le travail. »

Peut-être le tient-il de son père, haut responsable du Front de libération nationale lors de la guerre d’indépendance algérienne. Ou bien de ces quelques mois passés dans les prisons du régime alors que, jeune étudiant, il rêve d’une Algérie démocratique. Le fait est qu’Ihsane el-Kadi nourrit un intarissable amour pour la liberté. Le journaliste de 63 ans est de ceux qui ne...

commentaires (2)

le même systeme de terreur sur les pays musulmans,surtout.

Marie Claude

13 h 29, le 01 janvier 2023

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Commentaires (2)

  • le même systeme de terreur sur les pays musulmans,surtout.

    Marie Claude

    13 h 29, le 01 janvier 2023

  • Quel avenir a un pays qui emprisonne les meilleurs de ses fils : dépression, exode,...? Le lot de l'Algérie.

    F. Oscar

    09 h 24, le 31 décembre 2022

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