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L’émirat de toutes les saisons

C’est sur un Mondial décidément pas comme les autres que tombera demain le rideau. Jamais autant que ce planétaire happening de Doha, compétition sportive n’aura donné lieu en effet à un tel flot de commentaires sur les rapports ambigus, ou carrément coupables, entre la noble vigueur d’un jarret de footballeur, l’orgueil des nations et l’imperturbable puissance de l’argent.


Les rachats de champions ou même de clubs entiers, les scandales financiers qui ont plus d’une fois éclaboussé la FIFA, c’est déjà de l’histoire ancienne. L’opinion publique a fini par en prendre son parti, pourvu seulement que se perpétue, tous les quatre ans, l’universelle distribution d’adrénaline qu’assure – rondement – le ballon. Avec le Mondial de Doha cependant, c’est une dimension géopolitique absolument inédite que vient de revêtir la grande fête du football, même si elle a suscité une tempête de protestations. Les ONG concernées se sont ainsi indignées de l’intolérable tribut, en termes de vies humaines, qu’aura versé la main-d’œuvre d’importation – pauvre chair à ciment – affectée aux pharaoniques travaux d’infrastructure dédiés au dieu football. Les Verts, eux, ont dénoncé les graves atteintes à l’environnement causées par la clim tournant à plein régime dans les stades à ciel ouvert, ou encore par les nuées de vols de supporters atterrissant tous les jours sur l’aérodrome de Doha.


C’est dans ce contexte vaguement embarrassant qu’a éclaté le scandale du Qatargate, ces monceaux de billets de banque gracieusement offerts, par sacs entiers, à des parlementaires européens, dont une vice-présidente, à charge pour eux de faire reluire l’image de l’émirat. Depuis le temps que sont connues les libéralités du Qatar déployées en plus d’une démocratie occidentale, on n’ira pas croire toutefois que la gêne des dirigeants qataris s’est accrue pour autant. Institutionnalisé, théoriquement réglementé aux États-Unis, le recours au lobbying dûment rémunéré est généralement le fait d’États aspirant à un surcroît de puissance et d’influence (Israël, Corée du Sud) ou faisant face à des menaces graves, tel l’archipel de Taïwan ouvertement convoité par la Chine.


C’est évidemment dans la première de ces catégories que se classe un royaume à peine plus vaste que notre pays, peuplé à 90 % d’étrangers mais bourré de gaz naturel et acharné à diversifier ses amitiés au prix, il est vrai, d’incroyables contorsions, et finalement admis à jouer dans la cour des grands. Abritant la base américaine la plus grande du monde, le Qatar est néanmoins en bons termes avec l’Iran, en venant même à défier l’autorité du colosse saoudien du Golfe, lequel lui infligeait alors un boycottage de quatre ans. Doha héberge par ailleurs la direction du mouvement Hamas et assure – toujours à coups de valises d’argent transitant nécessairement par Israël – la survie socio-économique de la bande de Gaza ; première oléo-monarchie à accueillir une représentation israélienne, le Qatar se refuse néanmoins à parachever le processus de normalisation aussi longtemps que l’État hébreu ne se sera pas rallié au principe des deux États sur le territoire de la Palestine. Last but not least, l’émirat s’est trouvé mandaté pour faire office de médiateur dans des crises aussi variées que celles d’Afghanistan, du Tchad, de Syrie… et, bien sûr, du Liban, où n’est guère exclu d’ailleurs un retour sur le gazon de l’arbitre qatari.


Privés qu’ils sont de Mondial à domicile, nos concitoyens ont donc tout loisir de méditer sur le bien-fondé des talents d’arrangeur, de réparateur prêtés à cet infatigable touche-à-tout. À la modeste échelle de notre pays, le Qatar conserve le même et très large éventail d’amitiés on ne peut plus contradictoires. C’est à Doha même que les dirigeants de l’émirat réunissaient en 2008 les protagonistes libanais et les amenaient à s’entendre sur un candidat de compromis à la présidence de la République : scénario menaçant de se répéter avec la résurgence de ce mal, quasiment devenu chronique, qu’est la vacance présidentielle. Mais est-ce vraiment d’un président de compromis, d’un placide gestionnaire de crise qu’a encore besoin le pays ?


À l’impasse politique vient de s’ajouter, au demeurant, une préoccupation de taille, avec la meurtrière agression commise mercredi soir contre un paisible convoi irlandais de la Finul. Les coupables seront retrouvés et châtiés, se sont hasardés à promettre les dirigeants, mais ce n’était évidemment guère assez pour dissuader les Irlandais de procéder à leur propre enquête.


Ce n’était pas suffisant non plus pour faire oublier les menaces que proférait le Hezbollah quand se trouvait élargi, l’été dernier, le champ d’activité de la force internationale. C’est là une atteinte à la souveraineté, avait tonné alors Hassan Nasrallah. La souveraineté de l’État ? Celle plutôt de la milice ? Nul officiel ne s’était porté volontaire pour répondre.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est sur un Mondial décidément pas comme les autres que tombera demain le rideau. Jamais autant que ce planétaire happening de Doha, compétition sportive n’aura donné lieu en effet à un tel flot de commentaires sur les rapports ambigus, ou carrément coupables, entre la noble vigueur d’un jarret de footballeur, l’orgueil des nations et l’imperturbable puissance de l’argent. Les...